IMAGE EVALUATION TEST TARGET (MT-3) // 1.0 1.1 11.25 6" f> «^ w Photographie Sdenœs Corporation ^> ^\ ,v L1>^ <> ;\ 23 WIST MAIN STRUT WHSTM.N.Y. 14SS0 (716) I72-4S03 '^ CIHM/ICMH Microfiche Séries. CIHIVI/ICIVIH Collection de microfiches. Canadiati Instituta for Historical Microraproductions / Institut canadian da rnicroraproductions hiatoriquas Technical and Bibliographie Notes/Notes techniques et bibliographiques The Instituts has attempted to obtain the beat original copy available for filnting. 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A TOULOUSE, Noel-Etienne sens, Imprimeiw- Chei ) ^^^' ' ^^^ Peyras , près les Changes. Auguste G A UDÈ, Libraire^ rue S. -Rome ^ ?j . ** 44 ; ^u f oud de la Cour. ;i8io. fîZ /Sio \ 1 â ■V t' > -• •• »- ^l .j, S; »,"». <.,. *■ f , •^ .••.-•» - J Fi \ rf • * -■ . ^ .'-T iiîf?^f h-vi:fi>î .ioiii • •v l> n ? r'/îi, y f * '■f '•■' -*■* »'M^ -,^.'' • J ^^ f (' i LETTRES ÉDIFIANTES ET CURIEUSES , ÉCRITES , PAR DES MISSIONNAIRES / DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS/i MÉMOIRES DU LEVANT. LETTRE DvL père Monier » de la Compagnie de Jésus, au Père Fleunau^ de la même Compagnie, > Mon révérend père, La paix de N. Sk Nous avons Tbonneur de tous envoyer les Mémoires de nos Missions en Arménie. Vous nous les demandez , et vous les attendez depuis long-temps ; mais tout ce temps , qui nous a paru aussi long qu'à vousj nous a été nécessaire pour les ramasser et pour les vérifier. Tome IIL 4^ m k! -a Lettres ÉDiFi ANTEs Recevrz-les , s'il vous plait , avec la même bonté que si nous avions été plus diligens à vous obéir. Nous souhaitons qu'ils vous soient agréables et aux personnes auxquelles vous jugerez à propos de les communiquer. Peut - être que ceux qui les auront lus , auraient voiju qu'ils fyssent plus éjleqdiis et plus circonstanciés ; mais nous les prions de considérer que nous so^imes des Mission- naires de. profession , et non pas des Histo- riens. Si saint Paul disait dé lui et des autres Apôtres, qu'il n'était pas juste qu'ils aban- donnassent le ministère de la parole , pour pourvoir aux besoins des ta bks , l'exemple de cet Apôtre ne nous autorise-t-il pas à dire avec lui , dans un sens peu éloigné du sien , qu'il n'est pas à propos que nous laissions les fonctions Ëvangéliques de nos emplois dans^ les Missions, pour alXer (âixe des recl^ercbes j qui n'auraient point d'autre fruit que ce}ui de satisfaire la curiosité d'un petit nombre de personnes ? Ceppndan,t ceux qui sç donneront la peine de lire ces Mémoires , ne seront pas tout-h- fait privés du plaisir, d'apprendre ce qui s*est passé et ce qui se passe encore aujour- d'hui dans despayjs é}pignés d'eux. De plus, ils serrent édifiés de ce qu'ils y liront , et béni-? ront Dievi dg ce que i|,e Christianisme , non- seulepent sje çoi^serve , mqis fait encore, du progrès chez une desî plus bt^tles Natiops du l^eyanl, malgré.les efforts de l'tipfer pour y' détruire le Royaume de Jésus-Chrîst, Nous 9yo^s renfermé §ous b-wit Chapitres, aème ens à • \ voua Lt lus , idi^s et tons de ission- Hisio- s autres 5 aban- L-, pour as il dire du sien , ssions les ipis dans. I^erclics j ^ue celui nombre ET CURIEUSES. 3 qui composent la première partie de ces Mé-> moires , ce qui nous a paru plus digne de tenir place dans une histoire d'Arménie; savoir: TEtat ancien et présent de ce Royaume, autres fois très'Ûorissant ; son Gouvernement Ecclé- siastique^ et les moyens dont la Providence s'est servie pour y établir et y conseiTer le Christianisme. Comme les Rois et les Patriarches de l'Ar^ ménie ont eu la principale part dans Téta* blissement et dans l'affaiblissement du Christ tianisme dans ce Royaume , nous avons cm faire plaisir à ceux qui liront ces Mémoires, de leur exposer dans ce Chapitre Tordre des Rois qui ont gouverné TArménie pendant plusieurs siècles , et celui des Patriarches qui se sont succédés les uns aux autres sur le Trône Patriarcal , depuis saint Grégoire , que les Arméniens ont surnommé riflumif- nateur, jusqu'au temps présent. Entre ceâ Patriarches , on en verra plusieurs qui ont mérité d'être mis au nombre des Sainta ; et l'Arménie honore aussi comme Saints quelques-uns de ses Rois, Les Chapitres suivans expliqueront le Rit des Arméniens schismatiques dans l'adminis- tration des Sacromens, çl les erreurs où le schisme les a insensiblement conduits. Enfin , le dernier Chapitre sera en faveur de nos frèi-cs qui sont en France , et cjui souhaitent et demandent à nos Supérii'urs la permission de venir partager avec noué les travaux de nos Missions. Ce Chapitre contient des règles pour annoncer utilement A 2 4r- I fl ' i Lettres édifiantes la parole de Dieu aux Arméniens , et nos nouveaux Missionuaii'es ne pourront mieux faire que de les suivre fidèlement. Après avoir donné dans la.première Partie de ces Mémoires des connaissances générales de l'état de r Arménie, nous (exposerons dans la seconde l'état particulier de nos Missions , dans quelques-unes de ses plus anciennes villes ; savoir ; h. Trébizonde , k Erz^rom, à Erivan , et à Chamaki. Le récit que nous ferons , donnera de nouvelles preuves que c^est parmi les croix que naissent les fruits delà Ï parole divine ; mais elles ont aussi ^ ces croix , 'avantage d'animer et de consoler ses Mini^ très , et d'affermir la Foi des Fidèles. Comme les Missions dont nous parlerons nous o))ligent d'aller souvent de l'une à l'autre, quelques-uns de nos Missionnaires ont pris ^oin de mettre par écrit le Journal de leurs voyages. Je suis de ce nombre ; j'ai fait le Journal de mon voyage d'Erzerom à Tré- bizonde, et de mon retour de Trébizonde à Ërzerom ; j'étais à la suite de Musjtaplia Aga, que je dois app qui infecte tout ce qu'on cuit. Toutes ces incommodités n'empêchent pas que le pays ne soit assez bien peuplé , son terroir étant très- fertile. Le nombre des villages y est grand , mais les villes y sont peu considérables. Les Laboureurs n'ouvrent la terre qu'au printemps , pour faire la récolte vers le commencement de Septembre. Leur usage est de faire les sillons très-profonds ; ce qui les oblige d'atteler jusqu'à douze paires dé bœufs à leurs charrues. Les vignes sont cou- vertes de terre pendant l'hiver. Le vin qu'elles donnent ^ mériterait qu'on les laissât toujours enterrées » tant il est mauvais. L'eau-de-vie qu'on en tire , ne vaut pas mieux. Ail reste , l'Arménie ne se ressemble pas en toutes ses parties. Pendant que les unes sont exposées au grand froid , les autres souffrent une chaleur excessive. Elle est si grande à Erivan , que ses habitans sont obligés de quitter la ville , pour aller cher- cher le frais sur les montagnes voisines. L'Arménie étant située entre le 87.* et 4i** degré de latitude , la chaleur y serait uni- verselle si elle n'était extrêmement tempérée par les neiges abondantes des montagnes qiii l'environnent. .1. tp ET GUmiEVSES. L CHAPITRE II. Division de Vuirminie. * Arménie est ÎD^galement partagée entre les Turcs et les Persans, qui se la sont disputée par de longues et sanglantes guerres. Les Turcs en possèdent une grande partie , dont Erzevom est la ville capitale. Les Persans sont maîtres de Tautre partie , dont la capitale est Eris^an, On croit communément qu*Erzerom est l'ancienne Théodosiopolis : Procope prétend que Théodose -le -Grand se contenta de l'honorer de son nom , en la laissant ouverte comme un village ; mais que dans la suite l'Empereur Anastase la ferma de murailles, et la mit en état de défense contre les Perses. Cette opinion qu'Erzerom soit l'ancienne Théodosiopolis , ne peut s'accommoder avec la situation que Procope lui donne : car cet Auteur ajoute que Théodosiopolis était à 43 stades , c'est-h-dire , à deux lieues environ de la source de l'Euphrate. Or il est certain qu'Erzerom en est beaucoup plus éloigné ; car il est situé entre deux rivières , qui vont se joindre à trois journées au-dessous de celte ville , et qui forment TEuphrate de leurs conîluens. L'une de ces rivières coule à une journée d'Erzerom , et l'autre à une journée et demie. Quelques-un» prétendent que cette ville est l'ancienne Chamo , que / ■ •l8 Lettres édifiantes â*autres appellent Clnirni , où Héraclîusreve-^ iiant de sa glorieuse expédition contre les Perses , assembla un Concile des Ëvêques d'Arménie ; mais peut-ôtre que Charno fut le premier et Tancieu nom qui fut ensuite changé en celui de Théodosiopolis. Quoi qu'il en soit , Ërzerom est au pied de la montagne qui donne naissance aux deux rivières dont on vient de parler , et à quantité de ruisseaux qui viennent l'arroser. La ville a devant elle une b^lle et fertile plaine qui s'étend entre les deux premiers bras de l'Euplirate. Elle est fermée d'une double enceinte de murailles assez mau- vaises , qui ont des tours d'espace en espace. Son château bâti sur une hauteur n'est.guère en meilleur état : il est commandé par une espèce de donjon plus élevé , où l'Aga des Janissaires loge , et commande indépendam- ment du Bâcha. li-^^ On lient qu'il y a à Erzerom dix-huit mille Turcs j sept h huit mille Arméniens, et environ cinq cens Grecs. Ces derniers, ramassés ensemble dans yn faubourg , tra- vaillent à faire de la vaisselle et des usten- siles de cuivre. Ils y ont une petite Eglise. Les Arméniens en ont deux dans la ville ; ils y exercent toutes sortes de métiers , et font commerce de marchandises. Il n'est pas permis aux Chrétiens d'avoir des maisons dans le château ; et s'ils y vont pour leurs alFaires , ou pour y travailler , ils sont obligés d'en sortir avant la nuit. ,^,4 Cette ville paraît d'autant plus peuplée j ET CURIEUSES. I9 qu*il y arrive continuellement des caravanes. Comme c*est le passage « onnu pour le plus sur entre la Turquie et la Perse , il est aussi le plus fréquenté : ainsi Erzerom est tou- jours rempli d'un grand nombre d'étrangers. On dit que le Grand-Seigneur tire eliaque année d'Lrzerom , et de ses dépendanees , plus de six cens bourses, 'et que le Bâcha en a trois cens pour son compte. Chaque bourse est de cinq cens écus. Erzerom est environ au 4o.* degré de latitude, et néan- moins l'hiver y est rude et long ; à peine y est- on délivré du froid au mois de Juin, et il Tcvienl dès le mois de Septembre , de sorte qu'on peut prendre à la lettre ce que dit Horace : Usquè nec Amienis in oris , jimice f^algi , stat glacies iners Menses per otnnes, « A deux lieues d'Erzerom ou environ , et près d'un village nommé Elija , il y a un bain d'eau chaude , qui se renouvelle con- tinuellement par deux sources , qui jettent deux bouillons aussi gros chacun que le corps d'un homme. Le bassin est octogone, environné d'un bâtiment de la même figure, dont la voûte est ouverte au milieu. Ces bains sont très-fréquenlés, sur-tout dans un pays où les bhins sont si fort à la mode. D'Erzerom à Erivan , il y a quatorze ou quinze journées de caravanes , les unes plus grandes , les autres plus petites ^ suivant la I! i >n i fi i; u lli i! i|L I ao Lettres ÉDIFIANTES eomm^^dité des gites. On a le choix de deux différentes routes ; Tune par Cars , qui est la dernière place des Turcs en Arménie ; l'autre par Teflîs, capitale de la Géorgie. Erivan est la seule place importante que le Roi de Perse possède en Arménie : elle est la conquête de Cha- Séphi , fils de Cha- Abas , qui Tan i635 l'emporta d'assaut , et fit main-basse sur la garnison Turque , qui était , dit-on , de vingt-deux mille hornmcs. Erivan n'était pas alors où il est aujour- d'hui , mais à huit ou neuf cens pas plus loin. Les Persans ont Jugé que cette nouvelle situation serait plus avantageuse. Son châ- teau est sur un roc escarpé et inaccessible vers le couchant ; le reste est défendu par une triple enceinte de murailles de briques fiéchées au soleil. C'est la demeure du Kan ou du Gouverneur , et des autres Ofïîciers de la garnison. La ville est au-dessus en- fermée d'une double muraille , plus remplie de jardins et de vignes que de maisons. On y compte environ quatre mille âmes. Les Arméniens n'en font que la quatrième partie, et ont cependant quatre Eglises. Au pied du roc sur lequel est bâti le châ- teau^ on voit une rivière , ou pour mieux dire, un torrent nommé Zengui , qui descend d'un grand lac de vingt-cinq lieues de tour, à deux journées et demie de la ville vers le Nord : c'est le lac d'Agtamar. Dans une des Iles qu'il forme , il y a un Monastère où ré- side un Prélat , qui se donne le titre de Pa- ET CURIEUSES. 21 trîarclie d'Arménie , quoique sa juridiction 9oit bornée dans son Ile. On dira en son lieu h. quelle occasion fut fondé ce Patriarcat imaginaire. Le Zengui va se jeter dans TA- raxe , à trois lieues au-dessous d'Erivau ; on le passe en cette ville sur un beau pont de trois arches , sous lesquelles on a pratiqué des chambres pour y aller prendre le frais. Il y a encore de l'autre côté une petite rivière nommée Queurhoulac. La ville est de plus arrosée de plusieurs ruisseaux et de fontaines. Cette abondance d'eau n'en donne que de mauvaise à boire , au lieu que celles d'Ër- zerom sont excellentes ; mais en récompense le vin d'Erivan est excellent , et celui d*Er- zeroin est détestable. En sortant d'Erivan , on entre dans une charmante plaine^ fertile en toutes sortes de fruits et de grains , abondante en riz et coton , avec de beaux vignobles et de gras pâturages. Grand nombre de villages et de jolies maisons de plaisance agréablement situées , donnent à cette ville une vue délicieuse. OnmetErivanentrele 28." et le 29.' degré d'élévation du pôle (i). Les glaces et les neiges n'y manquent pas pendant l'hiver ; mais en été l'air s'enflamme si vivement, et devient .si mal-sain , que le Kan et la plupart des habitans sont contraints d'abandonner la ville pour aller respirer un meilleur air sujt les montagnes. Elles sont alors couvertes v'i) C'est sans doute «ne erreur de Copiste, Frivaa est entre le 40." et le 41*" degré du latitude , oud'élévftr tien du pôl(» h" M 1' as Lettres édifiantes d'un peuple très-nombreux. Il se loge sous des tentes^ et l'on dit qu'on y en dresse plus de vingt mille ; car non^seulement les Curdes qui n'en sont pas éloignés , mais encore d'autres peuples qui viennent du fond de la Chûldée , y conduisent leurs troupeaux pour y consumer les herbages , et pour y éviter les chaleurs. Erivan est , de même qu'ErzerDm , le chemin le plus ordinaire des caravanes qui vont de Turquie en Perse , et de Perse en Turquie , parce qu'elles y trouvent plus abondamment , et à bon marché , les rat'raî- chissemens si agréables aux voyageurs , et toutes les commodités de la vie. Celte Province remplit les coffres du Roi de Perse de grosses sommes d'argent. L'opi- nion commune est qu'elle vaut au Kan plus de vingt mille tomans, qui valent de notre monnaie environ neuf cent mille livres, (i). L'abassis fait un peu plus de dix-huit sous six deniers , et le toman vaut cinquante abas- sis , c'est-à-dire , environ cinquante livres monnaie c|e France. .. v-t, A trois lieues d'Erivan , du côté d'Erze- l'om, est le célèbre Monastère d'Ichmiadzin ou d'Echmiadzin, qu'on nomme aussi le Mo- nastère des trois Eglises, lieu de la résidence ordinaire du Patriarche d'Arménie. Il est composé de quatre grands corps-de-logis , qui forment une vaste cuur plus longue que large, (i) Selon li^ prix aci.uc'l dn marr (l'arji,pnt , 1«* tomaa vaut 6u livres d(' notre muuuaie ; cl le£ yia^l lUiile tomans fout 1 ,200,000 livres, ET CURIEUSES. 23 dans laquelle l'Eglise Patriarcale est bûtie d'une ancienne et solide structure de pierres de taille. Cette disposition des b.^timens, et celle de l'Eglise, est conforme à ranliquité. Eusèbe , qui nous fait la description de l'Eglise que saint Paulin fit bAtir à Tyr , la place dans une grande cour environnée de Mtimens , pour loger l'Evêque , le Clergé et leurs Officiers. Echmiadzîn , dans son étymologie , signifie Descente du Fils unique ; parce que selon une ancienne tradition , Jésus-Christ apparut en ce lieu-là à S. Grégoire l'Illuminateur, Apôtre d'Arménie, à qui l'Eglise est dédiée. On tient encore pour constant dans le pays, que Tiridate , premier Roi Chrétien d'Ar- ménie , avait son Palais en cet endroit , et qu'il le céda a saint Grégoire ; que ce Palais était au centre d'une grande ville capitale du Royaume, et nommée Vagarsciabat, dont néanmoins il ne reste aucun vestige. l'Eglise de ce Monastère est obscure, mais riche en vases sacrés et en ornemens. Comme elle est l'objet principal de la vénération des Arméniens , le peuple , naturellement dévot , fournil libéralement h sa décoration. Il y a toujours à Echmiadzin un bon iion»hrp de Prélats et de Vertabîets ; c'est le nom ie leurs Docteurs ou Prédicateurs , qui y vivrtr comfne les Moines , c'est-à-dire , tr^s-fiuglcnient. Les Moines cultivent de grands et u^aux jardins, et toutes les terres d'alcPtour. Les doux a^rcs Eglises de cç Monastère. \ III I a4 Lettres édifiantes sont hors de son enclos ; Tune est dédiée à sainte Gaïena , et l'autre à sainte Ripsime. La tradition est que ces deux Saintes étaient nobles Vierges Romaines , et que pour se soustraire à la cruauté de Dioclétien , elles se réfugièrent avec vingt-trois autres com- pagnes en Arménie , où. elles ne purent éviter celle de Tiridate^ autre persécuteur des Chrétiens , mais qui fut ensuite Chrétien lui-même par la miséricorde de Dieu : ainsi cette même miséricorde , toujours attentive à nos véritables intérêts , conduisit à la palme du Martyre ces Vierges ^ qui paraissaient la, vouloir fuir. Le Mont Ararat est trop célèbre pour n'en pas dire un mot. C'est , dit-on , où TArche de Noé s'arrêta quand les eaux du déluge commencèr/enth baisser. Les Arméniens Tout en grande vénération : sitôt qu'ils Taper* Goivent ils se prosternent en terre et la baisent. Ils appellent cette montagne MesC' sousat, c'est-à-dire, montagne de l'Arche. On croit , sur l'autorité de Joseph et de S. Bpiphane , que cette montagne est dans l'ancienne Géographie le Mont Gordien, Mons Gordiœus. Son sommet est divisé en deux pointes , toujours couvertes de neige , et presque toujours environnées de nuées et de brouillards qui en dérobent la vu^* Au bas de la montagne , ce sont dej: sables jnouvans , entrecoupés de quelques pelouses maigres , o^ de pauvres Bergers conduisent des troupeaux qui se sentent de^* mauvaise pâturie. Plus ha^t, ce sont d'**''ei«L rochers noirsy 25 ET CURIEUSES. noirs , et entassés les uns sur les autres , où néanmoins des tigres et des corneilles trou- vent à se nourrir. On n'y peut parvenir qu'avec d'extrêmes difficultés , h cause de la roideur de la montagne , de l'abondance des sables , et du manque d'eau. Le Mont Ararat est à dix ou douze lieues d'Erivan , tirant entre le Midi et l'Orient (i). CHAPITRE III. J Etat présent des Ainnéniens, E ne m'arrêterai pas h décrire les qualités qu'on attribue communément aux Armé- niens. On loue en eux un sens droit , leur pru- dence , leur habileté dans le commerce , leur application continuelle et infatigable au tra- vail, qu'ils aiment d'inclination , un fond de bonté naturelle , qui les lie aisément avec les Etrangers , qui exclut d'entre eux toute querelle , pourvu que l'intérêt ne s'en mêle pas. Les défauts qu'on leur reproche sont ceux de presque toutes les Nations , d'aimer la bonne chère , le vin , et par-dessus tout leur intérêt ; mais il faut dire à leur louange , qu'il n'est peut-être pas au monde un peuple plus susceptible des sentimens de Religion , (i) C'est encore mie erreur de Cnpîsle. Vour aller d'Erivan au Mont Araiat , il faut tirer entre le MiUi et rOccid'nl. Tome IIL B I! ' l ! I il!. . ' ( ! ' Il ;' il il' il I aG Lettres édifiantes et plus constant à les suivre. Ils aîment les discours et les livres de piété. Ils n'épargnent rien pour la décoration de leurs Eglises , qpi sont les mieux ornées de tout l'Orient. Le Christianisme qu'ils professent a pour eux de grandes rigueurs ; il les oblige h des jeûnes longs et austères , qu'ils observent avec une régularité si scrupuleuse , qu'ils ne s'en dispensent , ni pour cause des longs et pénibles voyages où leur commerce les en- gage , ni même pour cause de maladie ; leur ^délité à s'acquitter de la prière n'est pas moins édifiante. On sait que Cha-Abas I , surnommé le Grand , désespérant de garder • l'Arménie cpntre les Turcs , et ne voulant leur laisser qu'un pays désert , enleva plus de vingt-deux mille familles Arméniennes , et les divisa en plusieurs Colonies , qu'il dispersa dans les diverse». provinces de ses Etats. Mais la plus grande partie de ces Colonies ayant été con- fondues avec les Mahométans dans les régions (éloignées , ont eu le malheur avec le temps- d'oublier leur origine , et la religion de leurs pères. Il n'en a pas été ainsi de la Colopie que Cha-Abas établit \\ une lieue , et comme daiis le faubourg d'Ispaban. Ce Prince , qui avait de grandes vues » ayant reconnu que ses Etats pouvaient fournir à un riche com- merce ; mais que les Persans , portés natu- rellement à l'oisiveté et h la profusion , étaient incapables de l'entreprendre et de T' ntrete- »ir, résolut de se servir des Anixcaiens , liMI ET CURIEUSES. '^'J peuple d'un naturel tout contraire , pour mettre h profit dans ses Etats les richesses qu'il y trouvait. Il comprit d'ailleurs que les Armé* niens étant Chrétiens , seraient mieux venus dans l'Europe que toute autre Nation qui ne l'était pas. Il réussit dans ses desseins ; les Arméniens prirent goût au commerce , et depuis ce temps-là ils ont porlé par-tout le monde le commerce de la Perse. : Un des premiers fruits qu'ils en retirèrent , fut de se bâtir une ville près d'Ispahan , capitale de la Perse : ils la nommèrent Zulfa , ou Julfa , du nom d'une ville de leur pre- mière patrie , et cette ville est aujourd'hui considérable : elle a son Ralanther de leur Nation. Cet Officier est comme qui dirait parmi nous un Maire ou un Juge de la Police. Le commerce ayant fait sortir les Armé- niens de leur pays , ils se sont établis , par des colonies volontaires , dans presque tous les endroits oii ils l'ont exercé ; dans la Géorgie et les Provinces voisines , dans la Perse , dans la Turquie , dans la petite Tar- tarie , jusqu'en Pologne , et dans les autres lieux où les guerres qui ravageaient leur patrie les ont contraints de se réfugier ; de sorte que le§ Arméniens , qui , dispersés comme ils le sont, paraissent un peuple infini , réunis ensemble ne feraient peut-être pas deux ou trois provinces de France, Les Infidèles , qui sont leurs maîtres , exercent sur eux un dur empire ; ils les cliar- gent d'impôts et les exigent avec violence , B 2 if I .'lî 1.,!/' lih ^8 Lettres édifiantes ce qui entretient dans les esprits de toute la nation une timidité qui passe des pères aux €nfans. Mais , qui plus est , ils aggravent eux- mêmes leur propre servitude , fesant éclater au-dchors Avs dissentious et des jalousies mutuelles , qui servent de prétexte à leurs mn lires pour leur faire des avanies , et pour en tirer de grosses sommes. Il n*y a point de noblesse parmi eux , non plus que parmi les autres peuples d'Orient. L^exclusion qu'ils ont des emplois honora- bles , ne leur laisse pour toute distinction , que celle d^avoir plus ou moins de biens. Tous apprennent un métier dans leur jeu- nesse , et cessent de l'exercer quand ils se mettent au commerce, ou qu'ils ont d'ail- leurs de quoi faire subsister leur famille. Une grande partie de la nation est occupée des travaux de la campagne , à labourer les terres et à cultiver les vignes. pour ce qui est des femmes , il en est d'elles comme de toutes celles qui sont dans TOrient. L'on peut dire qu'elles sont condamnées , pour ainsi parler , à une prison perpétuelle. Si elles sont obligées de sortir du logis , c'est toujours sous l'enveloppe d'un long manteau et d'un grand voile blanc , qui les couvrent de telle mauière , qu'ils ne leur laissent de libre que les yeux pour se conduire et le nez pour respirer. Cependant, afin qu'elles puissent se visiter et s'entretenir , on leur fait des por- tes de communication avec les maisons voi- sines ; mais ces portes , bien différentes dq ^vUeç du temple de Janus , js'puvreut quand t'T CURIEUSES. * " ftp les Dames sont en paix , et se ferment quand elles sont en guerre. Les filles et les jeunes femmes ne paraissent à l'Eglise qu'une ou deux fois Tannée , quoiqu'elles aillent bien plus souvent aux bains. Voilà à-peu-prèa l'état où se trouvent à présent les Armé-' niens. L CHAPITRE IV. Gouvernement Ecclésiastique» E Patriarche , qui fait sa résidence à Eclimiadzin , et dont nous avons déjà parlé , est reconnu et honoré par tous les Armé-* niens , non-seulement de la grande Arménie , mais encore par ceux qui commercent danv la Perse , la Romélie et la petite Tartarie , comme le chef de leur Eglise et de leur Gou- vernement Ecclésiastique. Ce Prélat prendt lui-même le nom et la qualité de Pasteur catholique et universel de toute la Nation , quoiqu'elle se soit laissée malheureusement diviser entr'elle par un ancien schisme , doni nous dirons l'origine ailleurs. Outre ce grand et célèbre Patriarcat , trois autres Prélats ont encore le titre de Pa- triarche , mais ils sont bien moins considérés et moins considérables : le premier de ces trois Prélats réside à Sis ou en Cilicie , et étend sa juridiction sur la petite Arménie et les provinces voisines , sur la Natolîe et sur la Syrie. Les deux autres sont à peine connus^) B 3 ( I i r.i 3o Lettres édifiantes leur pouvoir est borné dans l'espace d'un Diocèse ; l'un est en Albanie , et l'autre à Agtamar. Les Arméniens catholiques de la province de Nnschivan ont un Archevêque , qui relève immédiatement du saint Siège. Ce Prélat et tout son Clergé sont de l'Ordre de Saint- Dominique , mais du rit Arménien. Les Ar- méniens établis en Pologne , et unis h l'Eglise Romainp , ont aussi un Archevêché h Léopol. Le grand Patriarche est élu à la pluralité des voix des Evoques qui se trouvent à Ech- mîadzin. Tj'acle de son élection est envoyé à la Cour de perse , pour en avoir l'agrément du Boi. Cet agrément s'achète sous le nom spécieux d'un présent pour Sa Majesté et pour ses ministres. Mais si Pambition et la partialité viennent à partager les suffrages , et h causer une double élection , alors le Pa- triarcat est mis à l'enchère , et adjugé au plus offrant et dernier encb''risseur. Le Roi n'attend pas toujours que l'élection soit faite , il la prévient quand il vtut j et même , sans y avoir égard , il nomme pour Patriarche qui il lui plait. Le Patriarche ainsi nommé , ou agréé par le Roi , prend possession de sa dignité, dont il est r«nre qu'il soit déposé avant sa mort. Lorsqu'il est une fois monté sur son Siège , il s'attribue un pouvoir absolu sur les au- tres prélats , Archevêques et Evêques , avec le droit non-seulement de les nommer et de les consacrer , mais même de les destituer. ; Ce droit cependant est bien resserré par m ce d'un l'autre à province ui relève e Prélat ie Sainl- Les Ar- n'Eglise Léopol. pluralité t a EcU- it envoyé igrément s le nom [ajeàté et ion et la iulfrages , )rs le Pa- djugé au . Le Roi oit faite , me , sans 'atriarche agréé par ilé, dont sa mort. »n Siège , ir les au- nes, avec ner et de iesliluer. serré par vl ET CVRIE17SES. 3t le fait , et réduit uniquement h confirmer lea élections qui se font par les Eglises particu- lims, ou les nominations qui viennent de la part du Grand-Seigneur ou du Roi de perse. Le Patriarche consacre la plupart de CCS Prélnts à Echmiadzin. Il en consacre même plusieurs autres , sans leur assigner d'Eglise propre , et qui sont à-peu-près comme nos Evê([ues in partibus. C'est poui^ quoi il a toujours dans son Monastère , et auprès de sa personne , plusieurs de ces Evo- ques , et quelques autres , forcés par des pei»- sécutions d'abandonner leurs Sièges. Les revenus du Patriarche sont très*-con- si cl érables , et montent tout au moins h deux cent mille écus , sans que pour être si riche il en soit plus magnifique ; car il est vêtu sim* plcment, et porte, comme les Moines , une cuculle et un manteau noir ; sa nourriture est frugale , vivant en communauté et comme sa Communauté, c'est-à-dire qu'il ne mange jamais de viande , qu'on ne lui sevt que des légumes , qu'il ne boit point de vin , et qu'on ne lui >oit ni train ni équipage. Son grand revenu vient en partie des terres appartenan- tes à son Monastère , et en partie des con* tributions de tout son peuple : mais ce re- venu est presque tout consumé à acheter de la protection à la Cour , à entretenir le Mo- nastère , à réparer et à orner des Eglises , h contribuer aux frais de la Nation , et à payer le tribut pour quantité de pauvres , dont l'in- digence serait une occasion prochaine d'aban- donner le Christianisme. ^ B4 .8 )¥ t; Sa Lettres ÉDIFIA NTTîS Tous les trois ans le Patriarclie bénit le saint Clitt^me, et députe quelques-uns des Ëvéques qui sont auprès de lui , et sans ter- ritoire , pour le porter aux Prélats qui ont des Diocèses , et ceux-ci le distribuent aux Curés. Cette distribution est très-fructueuse au Patriarche ; car chaque Arménien se fait honneur et gloire , dans cette occasion , de faire un présent au Patriarche, selon l'éten- due de ses moyens. Outre un Procureur ou Receveur établi en chaque Eglise par le Patriarche , pour rece- voir les gratifications qui lui sont faites , il jnet continuellement en campagne , soit des Evêques , soit des Vertabiels , pour lever ses droits et pour porter ses ordres. Ces courses ne sont jamais stériles à ceux qui les fout ; ils sont très-bien reçus par-tout, et les pré- sens ne leur manquent jamais. Chaque Eglise particulière a son conseil , composé des anciens les plus considérables : ils élisent leur Evéque , et l'élu va se faire sacrer à Ëchmiadzin. , î Ils prétendent avoir droit de le destituer 9'ils n'en sont pas contens , ce qui retient leur Ëvêque dans la crainte continuelle , ou de sa déposition de la part du Conseil , ou de l'excommunication de son Patriarche , la- quelle leur est très-sensible. Les Evêques font leur résidence ordinaire dans les Monastères, et y vivent en com- munauté avec les Moines. Leur revenu con- siste dans les aumônes et dans les revenans- bons qu'ils exigent pour les ordinations et ( L-.'ti: ETCURlECSES. 33 pour les secondes noces. Ils ne portent point la croix sur la poitrine , comme nos Evoques ; mais ils ont la mitre , Vanneau et la crosse. Les Vertahiels , ou Docteurs , tiennent un grand rang dans l'Eglise d*Arménie. Ils ne font point de difficulté de prendre le pas sur les Evéques qui n'ont pas le degré de Doc- teur. Ils portent la crosse, et ont une Mis- sion générale pour prêcher par-tout ou il Icurplait. Plusieurs sont Supérieurs de Mo- nastères , et les autres courent le monde , dé- bitant leurs sermons , que les peuples écou- tent avec respect. Pour avoir et porter ce titre honorable de Vertabiet , il ne leur en coûte que d'avoir été disciple d'un Vertabiet : celui qui l'a une fois acquis, le communique à autant d^iu- tres de ses disciples qu'il le juge à propos* Lorsqu'ils ont appris le nom des saints Pères , quelques traits de l'Histoire Ecclésiastique , sur-tout de ceux qui ont rapport à leurs opi* nions erronées , c'en est assez ; les voilà des docteurs consommés. Au reste, ces Vertabiets se font rendre un grand respect : ils reçoivent , étant assis , les personnes qui les vont voir , sans en excepter même les Prêtres. On s'avance modestement vers eux pour leur baiser la main ; et après s'être retiré à trois ou quatre pas d'eux , on se met à genoux pour recevoir leurs avis. Les beaux endroits des sermons qu'ils font au peuple , sont des histoires fabuleuses , sou- vent mêlées d'invectives contre les Latins. Leur morale tend ordinairement à entre- L 5 i,M 34 Lettres 6*0 if 1 an tes tenir, des pratiques superstitieuses , telle qu'est celle de sacrifier des animaux. Tous les Prêtres séculiers sont Curés • si plusieurs desservent une même Eglise , la Pa- roisse se partage entr'eux. Ils sont mariés avant que de recevoir l'Ordination. Pour ce qui est de leur science , comme ils sortent ordinairement de la lie du peu- ple , elle ne va guère plus loin qu'à savoir lire couramment le Missel , qui est en Ar- ménien littéral , et à entendre les rubriques. Toute leur préparation pour recevoir l'Or- dre de la Prêtrise , se termine à demeurer quarante jours dans l'Eglise ; le quarantième jour ils disent la Messe ; elle est toujours suivie d'un grand festin, pendant lequel la Papadie , c'est-à-dire ^ la femme du nouveau Prêtre, demeure assise sur un escabeau, les yeux bandés , les oreilles bouchées , et la bouche fermée , pour marquer la retenue qu'elle doit avoir à l'égard des saintes fonc- tions où son mari va être employé. Chaque fois qu'un Prêtre doit dire la Messe , il passe la nuit précédente dans TEglise : si l'Eglise a plusieurs Prêtres, l'Hebdomadaire y passe toutes les nuits de sa semaine. Les Prêtres ne se croient point obligés au Bréviaire hors du Chœur ; les plus réguliers se contentent de réciter tous les jours quel- que partie du Pseautier. Le Pseautier , l'An- liphonaire, le Lectionnaire , les Hymnes et les Proses , sont autant de livres séparés , et notés pour le chant par des points sur les voyelles. Dans le cour« de l'année , les Prê- , telle urés • si e , la Pa- ; mariés comme du peu- l'à savoir ; en Ar- ibriques. ^oirl'Or- lemeurer rantième toujours lequcïl la nouveau beau , les I réguliers ET CURIEUSES. 35 très ne vont h l'Eglise que le matin , pour les Matines, et le soir pour les Vêpres. Pendant le Carême , ils y vont encore à midi ; bien que Matines se disent à une ou deux heures avant le jour , il ne laisse pas de s'y trouver un assez grand nombre de sécu- liers. Tout le peuple chante ; les jeunes gens qui apprennent à chanter dès leur enfance , mêlent leurs voix avec celles de leurs pères et mères ; mais ce qui est infiniment édifiant , c'est de voir la modestie que tous observent dans leurs exercices de Religion , et dans les lieux saints. Lorsque les enfans ont apprisàlire, leurs Maîtres d'école les présentent h l'Evêque ; l'Evêque les ordonne dès l'Age de dix ou douze ans ; et après l'Ordination , ils demeu- rent deux ou trois jours à l'Eglise sans en sor- tir. On les y fait lire , ils y jouent , on leur y porte à mar er, et ils y couchent : ils ont toujours leur ^etit surplis sur le corps , et ils ne le quittent que lorsque les Prêtres les re- conduisent chez leurs parens ; les parens et les amis du nouvel Ordonné , ne manquent ])as de régaler l'Evêque avec ses Prêtres. L'Evêque ne reçoit que douze sous de chaque Ordonné. B e n m\ 36 Lettres édifiantes i. .«','► -.4 M H m ,- (' CHAPITRE V. L* établissement du Christianisme dans Vjirménie, L * ANCIENNE tradition est que les Apôtres ayant partagé entr'eux tout l'Univers , pour porter les lumières de l'Evangile jusqu'aux extrémités les plus reculées et les moins con- nues , sajnt Barthélemi et saint Tliadéc fu- rent envoyés aux Indes , et ensuite en Ariné- nie , pour annoncer le Royaume de Dieu à iAhgare , Roi d'Edesse ; et que ce Prince , touché de leurs paroles , embrassa la Foi chrétienne , et la fit embrasser à ses peuples. . C'est par la même tradition que nous sa- vons ([u'ylhgare , qui vécut saintement et constamment dans sa foi , eut pour successeur udnanus son fils , lequel , bien différent de son père , fut un roi impie , et ennemi des Chrétiens. Sanatragus , fils de la sœur d' Ab- gare, régna »près Ananus, et apostasia. C'est à ce Prince apostat , et à son frère Polimius , et à un autre petit Roi de Baby- lone , que l'on attribue la mort des deux saints Apôtres , saint Barthélemi et saint Thadée. Le dernier ordonna saint Atlhée Evêque d'Edesse, qui fut couronné du Mar- tyre sous Ananus , fils d'Abgare , et qui en .alla recevoir la palme dans le Ciel , pendant que saint Thadée , son maître , combattait encore sur terre pour la mériter. ET C URIE TSES. 87 Saint Attliéc eut pour successeur Théo- phile dans la même Eglise ; mais depuis Théophile , jusqu'au temps de Constantin , ou environ, la tradition et l'histoire ne font mention d'aucun Roi d'Arménie qui ait fait profession delà Foi chrétienne, et même ne nous font apercevoir aucun vestige du Chris- tianisme dans cette nation. Mais le Seigneur qui se ressouvient toujours de sa miséricorde , voulut donner un nouvel Apôtre aux Armé- niens, et cet Apôtre fut saint Grégoire, sur- nommé rilluminateur. Il était , disent les Historiens , issu de leurs Rois Arsacides. Son père , nommé Anac , fut un traître, qui assassina Chosroës , son Roi et son parent , dans le temps que , les armes à la main , il remportait de continuelles victoires sur Arta- siras , Roi de Perse , et qu'il conquérait l'Assyrie. L'auteur de ce crime énorme fut à l'instant jeté du Haut d'un pont dans un fleuve très-rapide , où il fut noyé , et ses en- fans furent mis à «icrt. Grégoire , dont nous parlons , fils d'un tel père , mais destiné de Dieu pour être l'Apôlre des Arméniens , fut préservé du sort de ses frères. Il se réfu- gia à Césarée de Cappadocc , où il Jy[t reçu chez une dame vertueuse , qui prit grand soin de le faire bien instruire de tous les principes et des saintes pratiques de la Reli- gion chrétienne. A peine fut-il en état de les enseigner à SCS compatriotes, qu'il commença parmi eux son apostolat. Il annonçait l'Evangile de Jésus-Christ, et en particulier et en public. mi lïïm 38 Lettres édifiantes Les Arméniens , charmés d'entendre un de ieurs frères , qui les instruisait avec tant de science et de zèle , accouraient de toutes parts pour suivre ses instructions. Tiridate , fils de Chosroës , qui régnait alors, fut bientôt informé que le fils d'Anac , l'as- sassin de son père , prêchait le Christianisme dans ses Etats avec un succès surprenant. La haine de ce Prince contre le Christianisme , et son vif ressentiment du meurtre du Roi son père l'irritèrent à l'excès contre Grégoire. Il le fit arrêter et tourmenter de toute ma- nière, jusqu'à le faire cruellement jeter dans un puits infecté , où le Saint vécut quatorze ans d'un peu de pain , qu'une bonne et charitable veuve Chrétienne lui apportait en secret. Sa fureur contre Grégoire s'étendit jusques sur tous les Chrétiens de l'un et l'autre sexe , qu'il persécutait à toute ou- trance. Les saintes Vierges Ripsime et Caïenne , sorties de Rome pour éviter la persécution de Dioclétien, et plusieurs autres de leurs compa- gnes , réfugiées en Arménie avec elles , furent ^es innocentes victimes de sa cruauté. Mais la main de Dieu , qui avait ses vues sur ce prince , le punit dans sa miséricorde : on dit qu'il fut changé en bête , comme un autre Nabuchodonosor, et qu'il demeura sous cette humiliante figure , jusqu'à ce qu'il plût à Dieu que sainte Ripsime avertît en songe lu sœur de Tiridate, nommée Cœsaroduitc^Q\\xe ce serait Grégoire , dont le Roi son frère avait é4c le cruel persécuteur , qui obtiendrait par ET CURIEUSES. '5q ses prières la délivrance de son triste état , et sa conversion. Ce double miracle de la bonté ùivine arriva comme il avait été prédit. Tiridate , rétabli dans son premier état , et touché vivement de la grâce divine , fit à l'instant sortir Grégoire du puits où il l'avait fait précipiter. Il se jeta humblement à ses pied' , lui demanda pardon de sa cruauté , le conjura de prier Dieu pour lui , et de l'ins- truire pour embrasser la Religion chré- tienne. Grégoire l'instruisit. Le Roi instruit, ne se contenta pas de faire une profession pu- blique de la Religion des Chrétiens ; mais il fit de plus un Edit pour exciter ses sujets à imiter son exemple , et promit à Grégoire toute sa protection pour l'établissement de la foi Catholique dans son Royaume. Grégoire commença par consulter Dicusur ce qu'il avait à faire pour le salul des Armé- niens. Il alla h Césarée de Cappadoce pour se faire ordonner Evéque, par Léon , Arche- vêque de cette ville , et à son retour , il établit son Siège Episcopal h Vagarsciabat, Capitale d'Arménie, et située au lieu où est aujour- d'hui le Monastère d'Echmiadzin. Ses premières prédications sur le bord de l'Euphrate, produisirent chaque jour des effets surprenans et presque incroyables. L'on voyait, dit-on, une colonne avec une Croix de lumière sur la tête des Baptisés. Le pro- grès de l'Evangile fut si grand, que l'histoire de ce temps assure que dans l'année 3io , il y eut au moins quatre millions d'ames régé- nérées dans les eaux salutaires du Baptêmç. ! i h '11! I tll« I I' ,*ll f !!' 4o Lettres édifiantes • L'année suivante 3ii , Tiridate voulant donner au successeur de sai nt Pierre des preu- ves sincères de sa conversion , fit le voyage de Rome, accompagné de Grégoire et des principaux de sa Cour. Saint Sylvestre occu- pait alors le saint Siège « et Constantin tenait TEmpire (i). Ils reçurent l'un et l'autre le Roi Tiridate et Grégoire , avec tous les hon- neurs possibles , et les plus grandes démons- trations d'amitié. Grégoire , en présence du Pape et de l'Empereur , lilla profession de foi au nom du Roi et de ses sujets , reconnut la primauté du Pape , et supplia sa Sain- teté de recevoir à sa communion son Eglise et sa nation. Le saint Pape reçut l'un et l'au- tre avec toute la joie d'un père qui voit reve- nir à soi ses enfans. Il fit plus ; car , pour donner h. ses nouveaux enfans des marques de isa tendresse , et pour mettre leur Evêque plus en état de leur être utile, il le sacra pre- mier Patriarche des Arméniens , lui donna le pouvoir d'établir des Patriarches chez les Ibériens et chez les Albanois. Le nouveau Patriarche revint de Rome en Arménie , revêtu de celte respectable dignité. Il la regarda comme une obligation qui lui était imposée , plus grande que jamais, de s'ap- pliquer totalement au gouvernement de son Eglise. Il la gouverna pendant plus de trente \h\4 (i) Cette légende Arménienne souffre bien des difficul- tés. S. Sylvestre ïi'c'tail point Pupeen 3m. Il n'est monté sur la Chaire de S. Pierre ((u'an comitieurementde l'année 3i4' Constantin n'était point à Home eu3ii j iln'y (iutia qu'eu 3i2 , vers la lia de l'auu<2e. ni ' 4* ET CURIKURES. ans , et toujours avec le même zèle et la même application. DI 'u , de son côté , versait ses bénédictions en si grande abondance sur les travaux continuels et infatigables de son ser- viteur, qu'il eut la consolation , pendant son gouvernement , de sacrer quatre cent trente bons Evêques , de bâtir plusieurs Eglises , d'ordonner de vertueux Prêtres pour les des- servir, de détruire le culte des Idoles , d'éle- ver la croix de Jésus-Christ sur leurs débris, et de voir , avant sa mort , sa chère patrie soumise à la loi du Messie. Lorsqu'il se vit avancé en âge, et qu'il sen- tit approcher la fin de sa vie, il ordonna son pelit-lils Grégoire , Prêtre et Patriarche de l'Albanie , sur les confins de la Géorgie , et établit son fils Aristarces , sur son Siège pa- triarcal d'Arménie. Enfin, après avoir gouverné seul l'Eglise Arménienne pendant trente-trois ans , et sept autres années suivantes avec son fils Aristarces et son siiccesseur , il se retira dans une solitude , sur le haut d'une montagne nommée Sépuh , pour vaquer uniquement à la contemplation des choses célestes , et finit sa vie dans cette sainte occupation. Ses reliques demeurèrent long-temps cachées : elles ne furent trouvées que sous l'Empereur Zenon ; elles furent portées à Tuerlan , et transportées ensuite à Constantinople. La main drcite du Saint fut demandée par le monastère d'Echmiadzin, où elle est encore aujourd'hui conservée et honorée. La main gauche fut portée à Nérito j son chef et ses ' I *, îfr le' . I #''' lli : ' ' i';; ' ■! I' !v i\. ' ri S iii'iii i...- 4 a Lettres ÉDIFIANTES- autres ossemens sont à Naples , dans une Eglise k L Li„-iff,E.;*,iir.yB»i. ET CURIEUSES. ^9 tradition lui donne de plus vraisemblable. Il est certain que les Arméniens pendant ce premier schisme , souflrirent beaucoup des persans. L'Empereur Hcraclius traver- sant l'Arménie, après avoir fait la guerre au Roi de Perse , et l'avoir vaincu , eut pitié de ce peuple affligé : ayant reconnu que le schisme était la principale source de ses maux , il entreprit de le détruire. Il assembla à cet «fïet , en 622 , un Concile à Carny , qu'on appelle aujourd'hui Erzerom. Dans ce Concile, le Patriarche Jéser, et plusieurs Ev éques Grecs et Arméniens , après un mois de conférences , rejetèrent le Conciliabule de Thévin , cassèrent ses décrets , reçurent une secondé fois le Concile de Calcédoine , retranchèrent l'addition du 2'risagion , or- donnèrent qu'on célébrerait à l'ordinaire la fête de Noël le 2$ Décembre , et celle de l'Epiphanie le 6 Janvier ; qu'on mêlerait l'eau avec le vin dans les sacrés mystères ; et enfin les Pères de ce Concile se réunirent aux scntimens de l'Eglise Romaine. Cette réunion dura io5 ans , sous les Patriarcats de Nier- ces III , d'Anastase , d'Israël , d'Isaac IV , et d'Elie. Nierces III bûtit le palais Patriariial à Echmiadzin , et une Eglise à Thévin. L'an '^1'] , Jean Otxîiiensis (i) leur suc- cesseur , renouvella le schisme ; il assembla à Manaskiert , par ordre d'Honiar , chef des Sarrasins , et avec le secours du Calife de iil (1) C'est Jean Dotzni. Dotzni en Aiménieu sij^iMiîe un serpent. Tome HL C i' M :|' '¥ , I] Il ■^:S^ '.¥ ! 'M 11- M'^ '1 ',('; 1^ f 5o Lettres édifiantes Babylone , un Conciliabule de peu d'Evêques Arméniens , et de six Evêques Assyriens , où il fit définir qu'il n'y avait qu'une seule nature en Jésus-^Glirist , une volonté et une opération , et qu'on retrancherait à l'avenir l'eau des sacrés mystères , pour ne point marquer deux natures en Jésus-Christ , par le mélange de l'eau avec le vin. Comme ce Patriarche était aussi hypocrite qu'artificieux, il trouva le moyen de se faire la réputation d'un Saint ; mais il ne lui cq coûta que la peine d'affecter extérieurement un air mortifié , et de faire des ordonnances sévères , dont l'une défen- dit , dans les jours de jeûne , l'usage du pois- son , de l'huile d'olive et du vin , aussi étroi- tement que la viande et les œufs y étaient défendus. Quoique les Arméniens n'aient pas jugé à propos de s'assujétir à toutes ces dures pratiques, leur auteur ne laisse pas d'être considéré parmi eux comme un autre illuminateur. Le schisme renouvelé par ce Patriarche hérétique , dura jusqu'en Tan 862 , sous ses successeurs David I , Tiridatel , Tiridatell, Sion , Isaïe , Etienne I , Joab , Salomon , George I , Joseph II , David II et Jean V. Le Patriarche Zacharie , qui succéda au dernier en 862 , s'elForça déréunirson Eglise à celle de Rome. Il assembla un Concile à Chiraguan , où l'on rétablit tout ce qui avait été détruit dans les Conciliabules de Thévin et de Manaskiert. On y dressa de plus plu- sieurs Canons sur diiférentes matières , et un ciitr'iaulrjBs qui anuthématise cevix qui sou- I i l'Evêqucs riens , où lie nature pération , Teau des :[uer deux élange de rche était trouva le un Saint ; d'affecter !t de faire me défen- de du pois- lussi étroi- I y étaient ns n'aient toutes ces laisse pas e un autre Patriarche sous ses iridatell, 5alomon , Jean V. uccéda au son Eglise Concile à ;e qui avait le Théviii plus plii- îres, et un i qui sou- ET C uni RUSES, :)i Ml tiennent que le Saint-Esprit ne procède pas du Fils. L'histoire ne donne point h con- naître que cette réunion ait été constante. George 11 succéda à Zacharie , et a George succéda Machdouets. Ce dernier dressa le Rituel qui porte son nom. Il eut pour suc- cesseur Théodore I , et à celui-ci succéda Jean VI » qui écrivit une admirable lettre pour prouver les deux natures en Jésus- Christ. Eliàée I , Ananie et Vahan , furent les successeurs de Jean VI ; Vahan , de con- cert avec Grégoire Narieclialh , travailla à rétablir la foi Catholique , et à abolir la mémoire des deux derniers Conciliabules hérétiques ; mais leur attachement à l'Eglise Romaine , fît chasser Vahan de son siège paï* les Schismatiques. On i bien de la peine à démêler dans riiistc , si les Patriarches su i vans demeu- rèrent dans le schisme ou non. Il est cepen- dant plus croyable qu'ils furent tous schis- jmatiques ; car , au rapport de saint Nicon , la nation Arménienne était alors plus infec- tée d'erreurs , qu'elle ne l'est aujourd'hui. Les successeurs de Vahan , furent Etienne II , Racik I , et Serge I. Mais comme dans tous les temps , Dieu se réserve des servitc^urs qui ne fléchissent point le genou devant l'idole, sa providence fit voir alois trois hom- mes d'une éminente vertu , que l'Eglise Ro- maine reconnaît pour Saints. Lepn'mierfut saint Nicon', qui après avoir travaillé inutile- ment à rendre sa nation Catholique, secot;a la poussière de ses souliers , et passa eu Eu- C y. î>2 LeTTRIîS ÉDll'IAMES lope pour y prêcher la vérité : il la confinna par plusieurs miracles , et mourut dans File de Crète. Le second fut saint Macaire , Pa- triarche d'Antioche ; il renonça à sa dignité , visita les Eglises d'Occident, et mourut en Flandre l'an 1012. Le troisième fut saint Simon , qui vint h Home , où il fut comblé d'honneurs par le Pape Benoît VIII , et mourut à Mantoue l'an 1016, après s'être rendu célèbre par la sainteté de sa vie , et par ses miracles. Après la mort du Patriarche Serge I , que nous venons de nommer , Pierre , frère de Kacik , monta sur le siège Patriarcal. Les schismaliques l'en chassèrent , pour mettre Dioscore en sa place , et chassèrent bientôt après celui-ci pour rétablir Pierre. Kacik II , successeur de Pierre , voyant le ravage que les Turcs fesaient sans cesse en Arménie , transporta son siège à Sébaste en Cappadoce , Tan io()o, ou environ, pour «e mettre sous la protection des Empereurs Grecs. Après sa mort , l'Empereur Constantin Ducas, prétendit avoir droit de nommer au Patriarcat vacant j mais ayant été quatre ans sans user de son droit préteiidu , il se commit des désordres inihiis pendant la va- cance de ce siège. Pour y Aiettre fin , la Prin- cesse Marie , sœur d'un Seigneur Arménien , nommé Racik , supplia l'Empereur Emma- nuel de nommer au Patriarcat vacant , Gré- goire Ughaiaser , fils du Prince Magîiistios , te qui lui fut accorde. Çti çjioi^ fut univcTscilomcnt approuvé ; ET CURIEUSES. 53 car Grégoire avait les qualités les plus capa- bles de lui concilier restime et le respect de toute sa nation : une naissance illustre , étant issu des anciens Princes d'Arménie , un é mi- nent savoir, et une piété singulière qu'il avait acquise dans l'éloignemcnt du monde depuis plusieurs années. Ayant été forcé d'accepter la dignité Pa- triarcale , il crut que Dieu l'en avait chargé , afin qu'il fît au moins ce qui serait en son pouvoir pour bannir le schisme , et rétablir la Catholicité. Il alla à Constanlinople pour s'assurer de l'autorité séculière , étaJ)lie de Dieu pour soutenir la spirituelle ; il supplia l'Empereur Alexis Comnène de l'aider de sa puissance , pour ramener son troupeau de l'erreur h la , érité ; mais Dieu ne permit pas que ses bonnes intentions eussent l'effet qu'il desirait. Les factions des Schismatiques en empêchèrent l'exécution. Tout ce qu'il put faire , ce fut de laisser à son Eglise plusieurs belles traductions de livres grecs et syriaques Cil sa propre langue. Pendant que ce Patriarche donnait tous ses soins pour faire rentrer sa Nation dans le véritable chemin du salut , Kacik , Seigneur Arménien , dont nous venons de parler , et qui était de l'illustre Maison des Pacracides , entreprit de relever le Royaume le la petite Arménie. Il prit le titre de Roi ; et non- seulement il s'en rendit le maître , mais il y joignit la Cilicie avec une partie de la Cap- padoce. Il eut deux fils , Robin ou Rupin y et Léon. Rupin succéda à son père ; mais ce C 3 I il lï ?'il .l\"'. ^^ ■: [ y,M', 5i Lettres ÈDiPiANTEa fils ne laissant qu'une (ille , qui était son uni- que hciitiore , il pria Léon son frère , en mourant, de prendre la Régence, et la tutelle de sa fille ; mais Léon s'empara des Etats de f on frère dont il était Régent , et monta sur son Trône. A peine s'y fut-il assis , qu'il s'y trouva environné des Iniidèles , qui mena- çaient de l'attaquer. Dans l'embarras où il se trouva , il eut recours aux Latins -, pour se les rendre favorables , et s'attirer leur consi- dération , il pria le Pape Célestin III de lui donner un Cardinal , pour faire la cérémonie de son Couronnement. Le Cardinal Conrad de Vittelsback, Archevêque de Mayence , était alors Légat en Orient. Sa Sainteté le tiomma pour couronner le nouveau Roi des Arméniens. Léon , pour mieux affermir sa Couronne , envoya un Ambassadeur à l'EmpereurOthon. Sa conduite avec le Pape Célestin III et avec l'Empereur, fut si heureuse , que ces deux Hautes-Puissances lui accordèrent le titre de Roi , h condition qu*il ferait apprendre le latin à tous les enfans qui seraient au-dessous de douze ans. On ne sait point si cette con- dition fut exigée et observée ; mais Léon , soit par politique , pour plaire au Pape et à l'Empereur , soit autrement , donna toute la protection qui lui fut possible à la Religion Catholique ; et les Patriarches de son temps , qui étaient Orthodoxes , en profitèrent pour entretenir une parfaite intelligence avec Rome. Grégoire Ugh; iscr , dont nous avons es: ET CURIEUSES. 5$ parlé , envoya en 1080 des Ambassadeurs au Pape Grégoire VII , dont il reçut des règles pour gouverner l'Eglise Arménienne dans la Foi Orthodoxe. Basile , son parent et son successeur , les suivit fidèlement. Gré- goire III , fils d'une sœur de Grégoire II , et successeur de Basile , envoya deux fois des Ambassadeurs à Rome : la première fois à Innocent II , et la seconde à Eugène III. • Nierces IV , surnommé Glajensis , frère de Grégoire III , lui^ succéda. Ce fut un ^*f> triarcbe animé d'un zèle aussi pur qu'ardent pour défendre la Foi de Jésus-Christ , et la faire embrasser , s'il l'eût pu , h toute l'Ar- ménie. II avait un talent rare pour la poésie , qu'il n'employa que pour des sujets de piété. Il composa plusieurs beaux Livres , et un entr'autres , qui est ici très-commun et très- estimé. Il a pour titre ,^ Jésus Filius (i)* Il écrivit de savantes Lettres à l'Empereur Manuel , sur la Trinité et l'Incarnation dtt Verbe. Cet Empereur lui envoya Théorien ^ Tliéologien Grec , pour conférer avec lui. Leur conférence est rapportée dans la Biblio- thèque des Pères. Ce fut après cette confè- re nce , que ce Théologien s'écria : Je suis liomain , et je combattrai toute ma vie avec les Romains contre tes Annénieiis schisma^ tiques. La Nation Arménienne le met au nombre des Saints. Il ne fut que sept ans sur le Siège Patriarcal. Après la mort de ce Patriarche , le Siceje :is avons (1) En Arménien Isous-overti. C4 1 i lif ' iji' ',\M''i lif! i'ij •iijllil |i / ' -1 i i 56 L F. T T R E s É D 1 r I A N T E 9 fut transporté à Sis, Ville de la petite Ar- ménie, l'on ii'^i , et y demeura 'Z'jo ans , jusqu'au temps du Moine Cyriaque, dont nous parlerons dans la suite. On croit devoir attribuer cette translation .du Siège Patriarcal , au trop grand empire que les Grecs voulaient exercer sur les Patriarches. Ce fut, h ce qu'on croit , Grégoire IV , neveu du saint Patriarche dont nous venons* de parler , qui fit cette translation. Il con- voqua ensuite un Concile à Tarse , ville de Cilicie , l'an 1177. Nierces de Lampron , Evêque de Tarse , que les Arméniens appel- lent le Chrysostôme de l'Arménie, et dont ils célèbrent la Fête le 7 juillet, y présida. Il en fit l'ouverture par un discours très- éloquent et très-pathétique, dans lequel il exposa vivement les malheurs que le schisme avait causés à sa Nation , et toutes les ten-ta- tives qui avaient été faites en différens temps pour le détruire. Il finit sa Harangue par des paroles si touchantes et si persuasives , que tous les Prélats , et autres convoqués au Concile , se sentirent aussi animés pour la bonne cause, que le Prélat l'était lui-même. On devait , ce semble , beaucoup espérer de si belles dispositions ; mais la mort de l'Em- pereur Manuel interrompit ce Concile , et en empêcha la conclusion. L'Histoire Arménienne fait mention , en ce temps , c'est-à-dire en 1221 , d'une irrup- tion des Tartares en Arménie. Ils s'emparèrent de la Géorgie et de la ET CURIEUSES. 5j grande Arménie. Ils détruisirent la villo de Dam, dans laquelle on comptait mille Eglises, et cent mille familles. Si le schisme n'avait pas suscité et entretenu une continuelle division entre les Catholiques et ceux qui ne l'étaient pas , les Arméniens auraient tou- jours été les plus forts contre leurs ennemis ; d'autant plus que leurs Rois et leurs Patriar- ches étaient en ce temps Catholiques. Les successeurs de Grégoire IV qui convoqua le Concile de Tarse , furent Grégoire V et Gré- goire VI. Ce dernier écrivit au Pape Innocent III , successeur de Céleslin III , des Lettres pleines de soumissions , où il remerciait sa Sainteté de ce que son prédécesseur avait envoyé rArchevêque de Mayence, pour cou- ronner le Roi Léon I." , Roi d'Arménie ; Léon , de son côté , envoya au Pape un Ambassadeur, et le Pape lui fit présent de l'étendart de saint Pierre contre les Sarra- sins. Les Arméniens prétendent qu'Inno- cent III confirma au Roi les privilèges accordés autrefois par saint Sylvestre en leur faveur. A Grégoire VI , succédèrent Jean VU , David III , Jean VIII j Constantin I. Celui-ci ayant eu quelque contestation avec le Pa- triarche d'Antioche , au sujet de la juridic- tion , le Pape Grégoire IX lui ordonna d'obéir au Patriarche d'Antioche , qui avait l'Arménie mineure dans son Diocèse. Il lui envoya cependant le Pallium , la Mître , la Croix et l'Anneau , l'an 1239. Le Roi Léon I mourut quatre ans après, en 1243. C 5 Il ne Il' il S8 Lettres édifiantes laissa , ainsi que son frère , qu'une fille héri- tière de SCS Etats. Constant, Gentilhomme Arménien , l'en- leva de force , et la fit épouser à son fils Hayton. Celui-ci , en vertu de son mariijgc avec l'héritière des Ëtats de Léon, se mit en |)osscssion du Royaume d'Arménie. On dit que Constant , son père , fit mourir 6'a Seigneurs Arméniens , pour délivrer son fils de tous ses concurrens. Ce nouveau Roi, ne se croyant pas encore assez afierini sur son Trône , alla trouver le Roi des Tartares , et .fit une ligue offensive et défensive avec lui. On prétend même qu'il persuada au Roi Tartare , et à son frèie liaison , d'embrasser la Foi Chrétienne. Quoi qu'il en soit, Halson accompagna le Roi d'Arménie avec une puis- sante armée , pour le délivrer du joug des Sarrasins. Il commença d'abord par se rendre maître de la Perse : il prit de force Baby- lone , et fit esclave le Calife; puis joignant ses forces avec celles du Roi d'Arménie , ils attaquèrent ensemble les Sarrasins , prirent Alep , Damas , et presque toute la Syrie. Halson , poursuivant ses conquêtes , s'avan- çait déjà vers Jérusalem , pour l'assiéger, lorsqu'il apprit la mort du Roi des Tartares , qui l'obligea de s'en retourner prompte- ment. Le Sultan d'Egypte ne manqua pas de profiter du départ de Halson; il attaqua aussitôt son Lieutenant , et le défit. Halson , sur ces nouvelles , revin . sur ses pas ; mais chemin fesant , il fut enlevé par une mort subite. La perte de ce vaillant Capitaine 3ëS ET CURIEUSES. 5j) causa celle de rArménie ; car les Sarrasins y entrèrent avec peu de résistance ; elle demeura leur proie , et la Syrie fut celle du Sultan. Hayton^ découragé par tant de disgrâces, reçut des lettres de Clément IV, qui lui offrait du secours , et l'excitait à recourir encore aux Tartares. Il le fit; mais les Sarra- sins n'en ravagèrent pas moins ses terres. Son fils aine, combattant contre eux , fut tué , et Léon , son cadet , fut pris prisonnier. Leur père , après cette dernière disgrâce , vit bien qu'il n'avait point d'autre parti à prendre, que celui de s'accommoder avec le Sultan , qui le reçut plus favorablement qu'il ne l'avait espéré , et qui lui rendit son fils. Hayton , son père , après avoir régné ^5 ans , et avoir connu , par sa propre expérience , la fragilité des grandeurs humaine» , prit la résolution d'y renoncer. Il abandonna à son fils Léon , tous ses droits sur l'Arménie ; et ayant tout quitté jusqu'à son nom , pour prendre celui de Macaire , il embrassa la vie solitaire , où il mourut quelques années après. Léon second, son fils, était un Prince sage, prudent, et qui avait le talent de se faire aimer. Abaga, Roi des Tartares en Perse , ami de son père et le sien , lui offrit le Royaume de Syrie , qu'il avait conquis : il ne l'accepta pas , aimant mieux se conserver les Etats de son père , et faire tous ses efforts pour en cbasser les Sarrasins , ses ennemis. Le Pape Grégoire X , touché de tous les désordres que causait ce peuple barbare par C 6 h." I ■Il 'I I y ! M II'! '' !'■' "(1 in i t.. H lai r :i'iil 60 Lettres ÉDIFIANTES ses fréquentes irruptions en Arménie et ailleurs, convoqua un Synode à Lyon, Tnn ' la-^i, pour y prendre les moyens de coni- baltre avantageusement les Sarr-isins , et d«' les chasser une bonne fois de tous les p.'iy ■> Chrétiens. Il y invita le Roi Abiga , et Léon II. Abaga y envoya ses Ambassadeurs, qui y reçurent le Bapterne des mains du Cardinal Pierre, Evêque d'Ostie, depuis Pape, sous le nom d'Innocent V. Léon , à la prière du Pape , y porta les actes entiers du Concile de Nicce, et de plusieurs autres Synodes, traduits eu langue Arménienne. Le» Sarra- sins , instruits de ce qui se passait au Synode de Lyon , prévinrent l'effet des résolutions qu'on y devait prendre , et vinrent fondre tout-à-coup sur l'Arménie. Ils y massacrè- rent plus de vingt mille hommes , et em- menèrent dix mille esclaves , tant jeunes filles que garçons. Léon instruit de ce car- nage, et plus animé que jamais contre cette Nation sanguinaire , vint demander du secours au Roi des Tartares. Abaga lui en- voya aussitôt de bonnes troupes , et soa propre frère Mangodamore , pour les com- jnander. Léon , de son côté , leur joignit toutes celles qu'il put ramasser dans ses Etats; et tous deux ayant réuni leurs forces , atta- quèrent si vivement les Sarrasins , qu'ils los défirent. La victoire de ces deux Princes eut été complète , si le peu d'expérience du jeune frère du Roi des Tartares ne lui eût fait faire une retraite mal-à-propos , qui lui ifit perdre le fruit de ses armes ^ et qui livra ' * ET CURIEUSES. f>ï malheureusement les Arméniens à la fureur de leurs ennemis. , Abaga voulant poursuivre la victoire qui avait écliappé à ses troupes > méditait d'en- voyer à Léon un nouveau secours , lorsque lui et son frère Mangodamore moururent empoisonnés du fait des Sarrasins , comme l'on n'en douta pas alors. Argon son (ils, lui succéda , après s'être défait de son oncle Tangader , apostat du Christianisme , et persécuteur des Chrétiens. Il était un troi- sième frère du Roi Al>aga. Argon , aussi bien intentionné que son père pour les Roisd'Ai- ménie , et aussi ennemi des Sarrasins, -se lia d'amitié et d'intérêt avec Hayton , lils de liéon , qui mourut en ce temps - là : ils s'adressèrent au Pape jNicolas IV, aux Rois de France et de Sicile , pour se joindre à eux contre les Sarrasins; mais les Sarrasins, plus expérimentés que ces jeunes Princes daus le métier de la guerre, savaient tou- jours proiiler du temps qu'on employait aux préparatifs contre eux. Ils surprirent le jeune Roi Hayton II, ravagèrent ses terres, emmenèrent prisonnier le Patriarche Etienne III , successeur de Constantin , qui mourut dans sa captivité. Le Sultan se saisit en môme-temps ih la main de saint Grégoire, et l'enleva; mais on prétend que cette précieuse Relique eut dans son pays l'effet qu'eut l'Arche d'Alliance chez les Philistins. La peste y fit un effroyable ravage, et ce fléau ne <^essa que lorsqucr le Sultan eut renvoyé ce sacré dépôt au Roi ^1 91a i ;à ; -i ■ ' 'VI '■t ^9, Lettres édtfta?:ttîs Hayton. Le prince attribua cet événement, et un autre qui le suivit , à la protection du saint Apôtre de l'Arménie; car le Sultan, qui craignait d'ailleurs l'arrivée de l'armée des Croisés , qui avait déjà passé la mer, se rendit facile à faire un traité de paix avec Hayton. Hayton , après ce traité, se croyant tranquille dans ses Etats, s'adonna aux exer- cices de piété ; et comme dans ce temps les Frères Mineurs étaient en grande vénéra- tion dans l'Orient , et que ce Prince les honorait singulièrement, sa dévotion le porta à changer son manteau royal en un habit de saint François : il prit le nom de Jean , sans quitter cependant encore le gouver- nement de son Royaume. Alors on vit un Roi avec l'habit de Religieux , manier un sceptre. Un an après, c'est-à-dire, en 1294» le mariage de sa soeur Marie ayant été conclu avec Michel , fils de l'Empereur Andronic , il prit la résolution d'accompagner sa sœur à Constantinople , où ses noces devaient être célébrées : mais pendant son voyage, Sembat, son second frère , sous prétexte que le Roi avait embrassé la vie religieuse, jugea à propos de s'emparer de son Royaume. Il épousa en même-temps une fille Tartare, dans l'espé- rance que ce mariage lui gagnerait les bonnes grâces du Roi des Tartares et sa protection. Il voulut aussi s'assurer de celle du Pape Grégoire VIII , qui tenait le saint Sic'ge. Sembat lui envoya des Ambassadeurs, pour être les garans de sa soumission filiale , et ITT CURIEUSES. 63 pour engager Sa Sainteté à le reconnaître pour Roi légitime. Pendant que cette révolution se passait en Arménie, Hayton, après les noces de sa sœur, partit de Constantinoplc , se croyant toujours en paisible possession de ses Ëtats ; mais il eut nou /elle en chemin, que son frère lui avait en- levé la Couronne, et se Tétait mise sur la tête. Alors , prévoyant bien tout ce qu'il avait h craindre d'un frère usurpateur , il crut que le plus sur pour lui était de s'aller réfugier avec son troisième frère , nommé Toros , auprès du Roi des Tartares , et de lui de- mander du secours pour chasser l'usurpateur. Mais Sembat, qui fesait espionner ses deux frères , trouva le moyen de s'en rendre maître. Il fit assassiner Toros, et crever les yeux à Hayton , son Roi. Cet indigne frère ne jouit pas long-temps de ses crimes : car un qua- trième frèrcj qui se nommait Constant , et qui avait échappé à la cruauté de l'usurpa- teur fratricide , lui fit dresser une embuscade, où il perdit la vie. L'Histoire d'Arménie assure ici , qu'Hayton recouvra miraculeuse- ment la vue , sans nous dire comment ce miracle se fit ; et elle ajoute , qu'après cette guérison inespérée , il reprit possession de ses Ëtats , en chassa les Sarrasins , avec le secours des troupes que Cassan , Roi des Tartares, lui donna ; et qu'étant enfin victo- rieux de ses ennemis , il oifrit sa fille en mariage au Roi des Tartares, qui était Païen, et qui l'accepta. De ce mariage , continue l'Historien , naquit un fil& très - disgracié et i.lï in |:4 64 Lettres ÉDIFIA NTïïs contrefait ; ce qui fit dire que l'enfant était né d'adultère. Il n'en fallait pas davantage pour faire condamner au feu la mère et l'en- fant. La mère, qui était Chrétienne, de- manda instamment que l'enfant fût baptisé . avant sa mort , ce qui lui fut accordé. A peine eut - il reçu le saint Baptême , qu'à la vue de tout le monde, l'enfant devint aussi l)eau et aussi bien fait , qu'il était auparavant laid et difïbrme. Ce miraculeux changement fit reconnaître la sainteté de la mère , et opéra la conversion du Roi Cassan , qui conserva toute sa vie une vénération singulière pour la Reine , et une étroite alliance avec le Roi d'Arménie , son père. Ce prince, voyant ses Etats en paix, et étant d'ailleurs infiniment touché des mira- . clés que Dieu avait opérés en sa personne et en celle de sa fille, voulut se débarrasser des occupations du Gouvernement, pour mener une vie privée et plus conforme à l'habit de Religieux dont il s'était revêtu. Il mit son fils Léon en possession du Royaume , qui lui appartenait par sa naissance ; mais le fils exigea de son père qu'il demeurât encore auprès de lui, pour l'assister de ses conseils. Grégoire VII, et le ';7 3.* Patriarche, lequel mérita le surnom de Théologien , à cause de son grand savoir , fut un Prélat très- zélé pour la Religion, et pour le salut de son peuple. Il profita des conjonctures favorables pour exciter Hayton et Léon III , son fils, à convoquer un Synode dans la ville de Sis , pour y traiter de la réunion générale de toute !"■ ' ' ^J' T. ï c r r, in r «; ^.^. 65 la nation Arménienno à l'Eglise clo Rome , et pour y corriger les ^hus cfui s'étaient insen- siblement introdiiitsHMns l'Eglise d'Arménie. Les deux Princes , au.isi bien intentionnés que le Patriarelie , consentirent à cette con- vocation j mais le Patriarche Grégoire n'eut que l'avantage de l'avoir proposée ; car il mourut avant l'assemblée du Synode , l'an 1 '^o'J , après avoir tenu le Siège Patriarcal quatorze ans. Constantin II , Evêque de Césarée , fut élu son successeur; et corahie il était aussi bon Catholique que Grégoire VII l'était , il pressa la convocation du Synode , qui fut assemblé dans la même année 1307. Il s'y trouva trente-six Evêques , dix Vertabiets , et sept Abbés. Le Roi Léon III y assista avec son père , et bjs autres Princes et Sei- gneurs du Royaume. La lettre de Grégoire VII, pour la convocation du Synode , y fut lue et approuvée. On reconnut dans ce Synode deux natures, deux volontés , et deux opérations en Jésus- Christ. On reçut les sept Conciles OEcuméniques. On ordonna que les Fêtes de l'Annoncia- tion , de la Nativité du Sauveur , de son Bap- tême et de l'Epiphanie , seraient célébrées aux mêmes jours que l'Eglise Romaine les célébrait; qu'on suivrait le Ménologe Ro- main pour les autres Fêtes j que dans les jours de vigile on ne mangerait que du pois- son et de l'huile; qu'on porterait à l'autel les vêtemens propres de chaque Ordre ; qu'on mettrait des corporaux sur l'autel , et qu'on l'f"*! **.' i mi '!^' ai;i! |i' ih 66 Lettres édifiantes mclcraît l'eau avec le vin dans le Sacrifice de la sainte Messe. Constantin , après la tenue du Synode , heureusement terminé , s'appliqua à faire ob- server tous les décrets qui y avaient été por- tés. Mais alors les hérétiques et les schisraa- tiques cominencèrent à s'élever et à parler hien haut contre le Synode et les Pères du Synode , dont les sacrés décrets anathémati- saient leurs erreurs. Ils protestèrent contre tout ce qui s'y était fait , disant que les suf- frages de ceux qui y avaient assisté , ou avaient été achetés à beaux deniers complans , ou avaient été forcés. On prétend même que leur animosité fut si entière , que ce fut à leur fiollicitation qu'un Tartare , nommé Bnlarsa , assassina le Roi Léon , et son père Hayton, Ce qui est vrai , c'est que le père et 'le fil» périrent de la main de ce meurtrier. Osein succéda à Léon III, en i3i6. Ce Prince , aussi religieux que ses prédé- cesseurs, crut que pour confondre absolu- ment et honteusement les schismatiques et hérétiques du Royaume, il était à propos d'assembler un second Synode dans la ville d'Adana : le Patriarche Constantin fut du même avis. Le Synode assemblé en 1 3 1 6 , et composé de dix-huit Evêques, cinq Vertabiets, deux Abbés , grand nombre de Prêtres et de savans Religieux , le Roi présent, et grand nombre de Si'iigneurs, confirma tout ce qui avait été décidé dans le dernier Synode , fit l'éloge des pères du Concile de Sis^ et ordonna l'exé- 1 ET CUillEt'SKS. 6'J cution cies décrets qui y avaient été publiés. Les Catholiques en témoignèrent une joie universelle ; mais les hérétiques et les schis- matiques , qui ne changent jamais de carac- tère , et qui ne savent ce que c'est que de se rendre , et de captiver leur esprit sous le joug de la Foi , ainsi que l'exige saint Paul des véritables fidèles , dirent une seconde l'ois du Synode d'Adana , ce qu'ils avaient faus- sement publié du Synode de Sis. Constantin , nonobstant les clameurs de» schismatiques , pressa l'exécution des décrets des deux Synodes , de Sis et d'Adana. Les quinze Patriarches sui vans en firent de même , et demeurèrent constamment unis tau saint Siège. Leurs noms sont Constantin III , Jacques II , Mekhitar, Mesrob , Constantin IV , Paul I , Théodore II , Gérabied I , David IV , Gérabied II , Grégoire VIII , Paul II , Constantin V , Joseph III et Gré- goire IX. Ces Patriarches , tout orthodoxes et zélés qu'ils étaient, ne purent cependant contenir les schismatiques, et bien moins les convertir. Ces hommes rebelles à l'Eglise*, et fanatiques dans leur rébellion, ne ces- saient de causer aux Catholiques , et h leurs Patriarches , des avanies et des persécutions de la part des infidèles j et ce fut , comme on a sujet de le croire , en punition de leur obstination dhns le schisme , et de la guerre qu'ils firent aux Catholiques , que Dieu per- mit la destruction de leur Monarchie , et la dure servitude où ils tombèrent , et dans laquelle ils gémissent encore aujourd'hui , M < :h-;:-fJ m p. 1 M ,1 |i il i^i I! ■1 m 68 Lettres édiïiantes sous la pesante dominalion dos Turcs et des Persans ; car Oscin lE, qui mourut quelques années après le Synode d'Adana , fut le der- nier Roi de l'Arménie ; et les Patriarches qui succédèrent à Grégoire IX. , furent pres- que tous schismatiqucs et hérétiques. Le premier qui lui succéda , fut un Moine nommé Cyriaque , passionné pour le schisme. Il trouva le moyen d'enlever de Sis la sainte Relique de la mj^in droite de saint Grégoire, et de la reporter à Eehmiadzin, où il eut le crédit de se faire élire Patriar- che par les schisma tiques. Ainsi commença la scission du Patriarcat des Arméniens , qui dure encore aujourd'hui ; car Sis a conserve jusqu'à présent son Patriarche , dont la juri- diction s'étend sur la Cilicic et la Syrie , et Eehmiadzin a le sien. Celui-là fonde son droit sur une succession non interrompue depuis saint Grégoire , et celui-ci , c'est-à- dire, le Patriarche d'Echniiadzin , fonde le sien sûr l'ancienneté et la prérogative de son Siège , établi par saint Grégoire , dont il se dit le successeur légitime. Cyriaque ne jouit pas long-temps de sa dignité usurpée ; car il en fut chassé deus luis après son usurpa- tion en i447' Alors trois prélendans nu Patriarcat s'en mirent en possession ; savoir : Grégoire X , Aristarces II et Zacharie. Ils tenaient tous trois ensemble le Patriarcat. Mais Zacharie, qui était las de ne pas régner seul , emporta la sainte Relique de la main de saint Gré- goire , dans l'ile d'Aghtamar , où il avait été ;i.»,i le der- iarches nt pres- s. 1 Moine chisme. Sis la e saint LÎadzin , Patriar- nmenca !ns , qui conservé ; la juri- yrie , et tide son rompue c'cst-à- Fonde le e; de son ont il se ne jouit ée ; car usurpa- ET CURIEUSES. Patriarche. Comme on ne manque point de successeurs , ceux qui lui succédèrent , s'arro- gèrent après lui le titre et le droit de Patriar- ches d'Af^htamar. Ainsi leur prétention fit alors un troisième Patriarcat. Il faut ce- pendant observer ici , que la division des trois Patriarches est beaucoup plus ancienne , sans qu'on puisse néanmoins en découvrir l'origine. Dans l'information des erreurs des Arméniens , faite devant le Pape ïîenoîl XII , en i?>4i, sous le règne de Léon IV, les Patriarches de la grande et petite Arménie etd'Aghtamar, sont nommément distingués; et dès-lors cette division des trois Patriar- cats que nous venons de nommer , passait pour être si ancienne , qu'on la fesait re- monter au temps d'Héraclius. Le Patriarche de In grande Arménie y est appelé le Patriar- che des Colombes. On trouve encore une scission plus an- cienne dans une Histoire abrégée d'Armé- nie, écrite au commencement du huitième siècle, et imprimée par les soins du Père Combetîs , Dominicain , sur un manuscrit de la Bibliothèque du Roi. Ce manuscrit rap})0i'le que Chosroës ayant été rétabli sur snii Trône , avec le secours de l'Empereur Maurice , céda* à son bienfaiteur une partie de l'Arménie , et qu'alors les Grecs y firent élire un Patriarche uni de sentiment avec eux , nommé Jean , pendant que Moïse était toujours reconnu Patriarche des Arméniens, dans l'autre partie de l'Arménie, qui resta aux Perses. Ce Moïse était un Jacobite dé-» I '•if m i^\ m ■ ■{ ■ )l Vil '.l'J' ' 'ivh „i;!'ii 1 1' ■Hi I m Vl t ^o Lettres ÉniFiAWTES claré, et si ennemi des Grecs et de leur rit , qu'on lui entendait dire souvent: Dieu me garde tie manger ce qui a été mis au four ^ et de boire de l'eau chaude. Il voulait dire ; Dieu me garde d'user de pain levé à la Messe , et de mettre de l'eau chaude dans le Calice , comme font tous les Qrecs, Cette ancienne scission du Pr.triarcnt ne dura pas long-temps , et cessa sitôt que Chosroës reprit toute T Arménie , ce qui ar- riva vers l'an 606 ou 607. L'information dont j'ai parlé , qui fut faite devant Benoît XII , nous apprend en- core que le Patriarche de la grande Arménie se choisissait son successeur , et le consa- crait , se réservant cependant jusqu'à la mort sa dignité et sa juridiction , et que le nou- veau consacré demandait ensuite au Roi des Tartares des Lettres confirmatives de son élection , lesquelles ne lui étaient accordées que moyennant une grosse somme d'argent payée comptant , sans préjudice d'une autre qu'il devait payer au Roi chaque année , mais dont il savait se dédommager, en exigeant de chaque Prêtre la valeur d'un florin par an , et de six gros d'argent pour leur admi- nistrer les Sacremens. Pour ce qui est de l'élection du ï^atriarche de la petite Arménie , elle se fesait en cette manière , ajoute ladite information. Les £vé- ques assemblés par l'ordre du Roi de Perse, lui présentaient trois sujets. Le Roi en choi- sissait un j et lui mettait un anneau au doigt , qui coûtait bien cher au Patriarche choisi i^àM- ur ni , ieu me ijbur f t dire ; à la e dans es, rcat ne ot que jui ar' [ui fut nd en- rménie consa- a mort e nou- loi des de son îordées .'argent e autre 3 , mais i^igeant rin par ' admi- riarche n celte es Evê- Perse, î choi" doigt, choisi -l ■■4 ÏT CURIEUSES. 71 par le Roi. L'information que je viens do citer , dit que le Patriarche qui était alors en place , Tavait achetée du Roi cinquante mille gros d'argent, et lui en payait vingt mille tous les ans ; mais qu'il trouvait un grand dédommagement dans la sainte Relique de saint Grégoire , dont il était le maître; car ii l'imposait sur la tôte des Evêques qu'il consacrait, et soutenait habiliment que cette imposition était si essentielle à la validité de sa consécration , qu'il ne reconnaissait pour Evéque que ceux qui avaient reçu de sa main cette imposition, ce qui lui attirait autant de consécrations d'Evéques h faire , que les autres Patriarches , qui ne pouvaient faire la même cérémonie , en avaient peu. Il est à présumer que le Patriarche Zacha- rie , qui enleva secrètement d'Eclimiadzin la Relique de saint Grégoire , pour la trans- porter h Aghtamar , s'en servit avec le même avantagé , aussi bien que Sergius II , son successeur. Mais Sergius étant mort, Jean IX reporta la sainte Relique àEchmiadzin, l'an 1476, et y tint le Siège avec Sergius III , son concurrent. Tout le siècle suivant vit tout-à-la fois deux et trois Patriarches qui occupaient la Chaire Patriarcale , avec tous les inconvéniens qui ne manquent jamais d'ar- river dans le gouvernement de plusieurs maîtres , mais au profit des Rois de Perse , qui leur vendaient bien cher leur protection^ En 1593, David et Melchisédech , qui exerçaient ensemble le Patriarcat , ne pou- vant plus payer au Roi de Perse leur tribut If (*' m ^2 LiiTTRES ÉDIl'iAMLS ordinaire , appclèri*nt à leur secours l'Evê- que d'Hamit, ou Diarbékir, norruné Sera- pion^ et lui donncrent une troisième place sur leur Siège Patriarcal. CetEvê<|ue, (jui était orthodoxe et bien inlenliouné , l'ac- cepta dans l'espérance de servir l'Eglise ca- tlioliquc ; et comme il était noble et ricLe , il paya les dettes du Patriarcat ; mais les schismatiques , qui le virent m.tlgré eux sur le Siège, le rendirent suspect à Clia-Abas, Roi de Perse. Il en fut si persécuté , qu'il fut obligé de s'enfuir à Tigranocerla , où il mourut en i(io6. Après sa mort , David et Meîcliisédech se disputant le Patriarcat d'Echmiadzin , Clia-Abas ^ pour les mettre d'accord , et faire en mérne-temps le profit de sa ville capitale d'I.spi»han , en y attirant de tou'.es parts les Arméniens très-dévots à saint Gré- goire rilluminateur , fît apporter en sa ville la Relique de la main de ce grand Saint, et donna de plein droit le Patriarcat à JMel- chisédecb , qui s'engagea à lui payer un tri- but chaque année de 2000 écus ; mais ce patriarche ayant promis plus qu'il ne pouvait tenir, s'entuità Constantinople, et laissa le Patriarcat à son neveu Isaac V. David , qui avait été le compéiileur de son oncle Meî- cliisédech , ayant appris sa fuite , vint au plutôt à f;;p;ih.'Uî , ]>oûry disputer h [saac la place qu'il piétondait devoir lui appai tenir. Mais pendant ([u'ils so débattaient ensemble pour la digaiié Patriarc;'le , Cha-Abas , Roi îlç Perse , fit venir à ispalian un Vertabiet , nommé ■M & n ue£ rut, E que E T C U R 1 E U s E s. ^B nommé Moïso^ qui apprit à ses Olïicirrs l'aride blanchir la cire. Ce service lui mérita les l)onnes grâces de Clia-Abas , et celles de Clia-Séfi , son successeur et son pelit-fils ; ensorte qu'Isaac , étant devenu odieux «ux Arméniens , et étant mort à Ec;1imiadzin , où il s'était réfugié , le Roi donna le Patriarcat à Moïse. Moïse était orthodoxe ; il employa les trois années de son Patriarcat à réta])lir l'Eglise Patriarcale et le Palais du Patriar- che , et mourut l'an i632 , après avoir donné pendant sa vie et à sa mort des marques d'une édifiante piété. Philippe , très-zélé Catholique , lui suc- céda. Il se rendit si agréable au Roi , qu'il en obtint la permission de rapporter à Eeh- miadzin la sainte Relique de saint Grégoire, qui avait été transférée à Ispahan , par or- dre du Roi , et qui y avait été conservée pen- dant l'espace d'environ 3o ans. Il fit réparer l'Eglise des saintes Ripsime et Caïenne. En- suite il alla par dévotion à Jérusalem , où , s'étant trouvé avec le Patriarclie de Sis , nommé Niers ^ ils firent entr'eux une alliance très-étroite ; puis étant revenu à Eclimiadzin , il y mourut l'an i655. Jacob III , aussi fervent Catholique que son prédécesseur , tint après lui le Patriar- cat : il entreprit le voyage de Rome, pour témoigner sa parfaite obéissance au saint Siège ; mais étant arrivé à Rome , il y mou- rut, après y avoir laissé sa profession de foi. Elcazar Glaiotse , pareillement Catholi- que , favorisa les Missionnaires et leurs Mli- Tome IIL D m ( hwy <, .il u c li -s,\ ^ ^ U -1 ,., ^:fl >\ /:-1 S ^i'- 1 |^^ ( I. i II [; al' : :| •^4 Lettres ÉDIFIANTES sions. Les Missions reçurent un grai? :^ ,"»r- croissement sous son Pontificat , qui com- mença en 1680. Nahabiet , son successeur, parut avoir les meiJleures intentions du monde pour main- tenir la Foi catholique , et Tunion avec le saint Siège ; mais sa mauvaise politique , qui lui fesait craindre de déplaire au Roi de perse et aux Scliisinatiques , le retint dans •l'inexécution de la bonne volonté qu'il avait témoignée; il mourut en 1706. ' Alexandre , Ev<^que d'Ispahan , lui suc- céda : il fit une guerre secrète aux Catholi- ques , cachant sous la peau d'une brebis toute la malignité d'un loup furieux. Asvadour, qui est aujourd'hui sur le Siège Patriarcal , est un Prélat pacifique , qui laisse vivre les Catholiqvies en liberté. Il est le cent-vingtième Patriarche. Au reste , dans ce nombre de Palriaix^hes qui ont gouverné l'Eglise Arménienne , it est aisé de remarquer que le Sauveur des homntes Ta toujours ché- rie , malgré la résistance d'un grand nombre d'Arméniens aux lumières de TEvangile , dont la Providence avait voulu les éclairer ; car il leur a envoyé de temps en temps de très-zélés Patriarches Catholiques , qui ont fait tous leurs cflbrts pour ramener à Jésus- Christ celles de leurs ouailles que le schisme en avait séparées. Leurs travaux , par la grâce de Dieu , n'ont pas été sans fruit j et à ce sujet je rapporterai , pour finir ce Chapitre, un mémorable événement , que l'Histoire Ecclésiastique d'Arménie place en i33o, et StfgînwBl ,'oir les rnain- ivec le tique , Roi de it dans il avait ui suc- latlioli- is toute le Siège e , qui é. Il est e , dans ouverné narquer ars clié- nombre angile , clairer ; mps do qui ont à Jésus- scliisme la grâce et h. ce liapitre, Histoire :33o, et ET CURIEUSES. ^5 qui est encore un sujet de bénirDîeu de tout ce qu'il continue d'opérer pour le salut de celte Nation , qui lui est chère. Un saint Religieux de l'Oidre de saint Dominique , nommé Bartliélemi , natif de Boulogne en Italie, ayant été sacré Kvéque , et envoyé en Perse par le Pape Jean XXII , établit sa résidence en la ville d(î Maraga , à deux journées de la ville de Tauris , et y Liltit quelques pauvres cellules. La réputa- tion de sa sainteté et de sa science le fit bientôt regarder comme un homme extraor- dinaire. Toutes les merveilles qu'on en pu- bliait vinrent à la connaissance d'un Abbé ^ nommé Isaïe , qui fesait sa dcjneure près d'Eiivan. Cet Abbé passait pour le plus sa- vant homme qu'il y eût parmi les Armé- niens : il avait donné le degré de Docteur à trois cent soixante-dix de ses disciples ; il fit choix de celui d'entre eux qu'il estimait le plus capable et le plus propre à être envoyé auprès de cet Evêque Latin , pour conférer avec lui et connaître au vrai si le Prélat mé- ritait tous les éloges qu'on en fesait. Ce jeune Docteur député par son maître , s'appelait Jean de Rerna , distingué, non- seulement par sa naissance , étant neveu du Prince de Rerna , mais encore par l'opinion que l'en avait de son érudition singulière. Le saint Evêque le reçut parfaitement bien , conféra volontiers avec lui ; mais il connut bientôt que le jeune Docteur , tout savant qu'il était, n'avait jamais appris ce que c'était que la chaire de saint Pierre , et encore moins D a '•' i' ■I -1 il ». ; ^ftîil )m M ■l> • m Wl I ^6 Lettres édifiantes quelle devait être Tunion des membres avec leur chef, pour faire un corps parfait, c*cst- h-dire , quelle devait êire l'union des Chré- tiens avec le Vicaire de Jésus-Christ , Chef visible de son Eglise , laquelle est son corps mystique. Ainsi le Prélat comprit que toutes les conférences qu'il aurait avec Kerna por- teraient à faux , s'il laissait ce jeune Docteur dans l'ignorance d'un dogme qui le séparait de l'Eglise de Jésus-Christ. Il s'appliqua donc à lui expliquer ce que le Sauveur nous a appris dans son Evangile sur cet article ; ce que les Pères , tant Grecs que Latins , nous ont dit de la nécessité de cette union des membres avec leur chef , et de notre humble isoumission à TEglise et à ses décisions , pour fixer la légèreté et les incertitudes de nos esprits , pour lès empêcher de se laisser em- porter à tout vent de doctrine , et enfin pour rendre notre foi inébranlable. Le jeune Doc- teur qui avait l'esprit bon et droit, et nul- lement du caractère de ces demi-savans si prévenus en faveur de leurs opinions , qu'ils prétendent avoir droit de les donner aux au- tres pour leur servir de règles, écouta avec docilité les instructions de l'Evêque Barthé- lemi ; il chercha à s'instruire de la vérité , conférant souvent avec le Prélat. Il étudia en son particulier ce qui lui était enseigné dans les conférences : enfin il se convainquit lui- même de la certitude des dogmes que le Schisme lui avait fait ignorer : il en fit abju- ration entre les mains du saint Evêque ; et ensuite Dieu voulut se servir de ce jeune ET CURIEUSES. 'J'J Docteur , éclairé des véritables lumières , pour lés porter à ceux de ses confrères et de sa Nation , qui étaient dans les ténèbres de l'erreur. Il commença par écrire une Ictti-e dogmatiq ue aux autres Docteurs de sa connais» sance qu'il jugea les mieux disposés à écouter la vérité et à la suivre. Il leur expliquait , dans cette lettre , les raisons solides et con- vaincantes qui l'avaient obligé à rentrer dans l'Eglise Romaine , qui avait été celle de leurs pères , et il les invitait sur la fin de sa lettre, dans les termes les plus touclians , à venir le joindre à Kerna , pour prendre en- semble les moyens de procurer à sa Nation, la grâce que Dieu venait de Iuf faire. Sa lettre eut l'effet qu'il souhaitait: douze Doc-^ leurs ses anciens condisciples , qui connais- saient et révéraient le mérite et la capacité de Kerna , vinrent le trouver. Arrivés à Kerna , il y invita l'Evêque Barthélemi , qui s'y ren- dit volontiers. Le Prince de Kerna son oncle fit toute la dépense de cette assemblée. Les douze Docteurs embrassèrent les sentimens de l'Evêque et de Jean de Kerna. Ils fîreul plus ; car s'étant mis sous la direction du Prélat , ils formèrent entre eux une associa- tion , qu'ils appelèrent la Congrégation des Frères unis , ou des Frères de l'union : ils prirent la règle de saint Augustin , avec les constitutions et l'habit des Frères Prêcheurs, au camall et au scapulaire près , qui étaient noirs. Ils s'appliquèrent ensuite h la traduc- tion de plusieurs livres latins en la langue du pays , et de ceux particulièrement qui étaient D i r" iiy ! il. i: I 'd i. ' :i; 11 ii ri' H i '• li ;i ! Il 78 Lettres édifiantes les plus utiles à la Nation. Puis ils allèrent prêcher, clans différentes parties de l'Armé- nie, les vérités de l'Evangile de Jésus-Christ. Ils y combattirent le schisme et l'erreur avec un succès extraordinaire. Ils habitaient tous ensemble dans un même Monastère , qui était dans l'Evêché de Maraga ,dont Barthélemi était Evêque : mais le nom])re des Frères de l'union s'étant de beaucoup augmenté , ils bâtirent quatre autres Monastères ; l'un à Teflis en Géorgie , l'autre à Caffa dans la Chersonèse , un troisième à Saltance en Perse , et le quatrième à Naschivan. Ce der- nier est le seul aujourd'hui qui subsiste , et qui porte 4e titre d'Archevêché. Cette pro- vince de Naschivan a le bonheur de posséder les dignes successeurs des Frères tiTiis ou de l'union , qui furent en i356 incorporés à l'Ordre de saint Dominique. On doit à la sainteté de leur vie et à leurs soins Evangéli- ques , ce que nous avons déjà dit de la fer- vente piélé et de l'inébranlable attachement des Chrétiens de la province de Naschivan à i'Eglise Romaine. Pendant que Dieu leur donne leurs pro- pres compatriotes pour les maintenir dans leur foi , il envoie dans les autres Provinces de l'Arménie et de la Perse des Missionnaires Français pour cultiver les Fidèles qu'il s'y est réservés , et pour ramener au sein de l'Eglise ceux qui ont eu le malheur d'en être éloignés par leur naissance , ou qui s'en sont volon- tairement séparés par la corruption de leur esprit et de leur coeur. Il faudrait être sur les ET CURIEUSES. 79 lieux, pour jouir avec nous de la consolation que nous avons de voir ce troupeau de Jésus- Christ , tout persécuté qu'il est de temps h autre , s'augmenter en nombre , et croître en piété et dans l'exacte observance de leurs saintes pratiques', bien plus sévères ici qu'en Europe. Ceux qui vivent au-delà de nos mers , beaucoup plus occupés de leurs grandeurs et des biens du siècle que de leur salut, seront peu touchés de l'exemple des Catholiques du Levant , et prendront peu de part aujt travaux des Missionnaires : nous les plaignons autant que nous avons de reconnaissance pour ceux qui entrent dans les desseins de Dieu , par l'ordre duquel nous avons quitté la France , et qui veulent bien partager avec nous le fruit de nos bonnes oeuvres. CPIAPITRE VI. Du Hit des Arméniens schismatiques. L E Rit de cette Nation consiste partîca- lièrement dans la Liturgie, dans les Sacre- mens , dans les Fêtes , dans les Jeûnes , ilar s le Chant , et dans les Prières publiques. Vi:a. ferai autant d'articles. Ar TICLE PREMIER. De la Liturgie. Dans les Eglises , le pavé est couvert de nattes ou de tapis ; la coutume est do quitter D 4 II ;; . -': V-% m m ^nn \\^ ^ I îm .,'h ,1 I. J„ ■' |i Lettres édifiantes par respect ses souliers lorsqu'on y entre. Les Autels sont de pierre , sans Reliques; sim- ples, étroits, et faits de manière qu'on peut aisément tourner tour au tour. Le Crucifix est peint , ou fait de Nacre de perles enchâs- sées dans du bois. Le Calice et la Patène res- semblent aux nôtres. On les couvre d'un voile de crépon , sans pale. Le Sanctuaire est séparé de l'Eglise par un grand rideau , qu'on tire pendant le mystère de la sainte Messe. Il est rare qu'on dise deux Messes en un jour dans la même Eglise ; mais on n'en dit jamais qu'une sur chaque Autel. Le Prê- tre qui la doit dire , couche dans l'Eglise pendant la semaine. On n'y célèbre que des Messes hautes , et toujours à la pointe du jour ; mais la veille de l'Epiphanie , et la veille de Pâques , les Messes se disant le soir. Le Célébrant porte un bonnet rond , dont la pointe se termine en croix ; son aube est étroite et courte -, il a sur chaque bras uji manipule , qui est une espèce de manche , qui ne monte que jusqu'au coude : son étole est ornée de croix ; les extrémités en sont étroites. L'amict du Prêtre est comme un collier de Moine , d'argent ou d'or , d'où pend une toile sur les épaules ; il est ensuite revêtu d'une chape. Les Prêtres assistans n'ont simplement qu'une chape sur leurs habits. > Les Diacres ont une aube sans ceinture , et une ctolc sur l'épaule gauche, qui pend devant et derrière. Les sous-Diacics et les [i Ml tttTCURIEUSES. Sit Clercs ont un surplis , ou une aube étroite , qui desctînd jusqu'aux talons. Le surplis ou l'aube sont marqués de croix , peintes en fleurs sur la poitrine , sur les deux nianclics , et sur le milieu du dq^ , avec quatre autres croix pluspetites aux quatre coins. Les cérémonies des Prêtres à l'Autel sont celles-ci : le Prêtre habillé , se b»ve les mains , dit l'Introït au pied de T Autel , et fait seul sa confession , en termes presque semblables aux nôtres. Le Prêtre assistant dit Miserea~ tur ; le Célébrant étant monté à l'Autel , le baise trois fois ; l'Archidiacre lui porte l'Hos- tie , qui est d'un pain sans levain , et le Prê- tre la place dans un trou fait exprès dans la muraille , semblable à celui où l'on met les burettes dans quelques-unes de nos Eglises. Il y pose aussi le calice , après y avoir mis du vin pur , et sans eau. Le Diacre dit du milieu de l'Eglise ces paroles : Bénissez , Seigneun Le Célébrant poursuit seul , disant: Bénédiction et gloire au Père et au Fils ; et récite le Pseaume , l'Antienne et l'Hymne du jour ; les Clercs chantent trois fois le Trisagion , avec l'addition de Pierre Gna- phée : Saint Pieu, saint fort , saint immor- tel, qui avez c.é crucifié pour nous, ".yez pitié de nous : les Clers ayant fiai , le Célébrant lit le Pseaume , la Prophétie , etl'Epîlre propre du Jour ; il se tourne vers le pet pie , et dit : La paix soit avec vous ; et avec votre esprit , répondent les Clercs : ces paroles se répètent sept fois pendant la Messe. Le Diacre lit l'Evanj^ile du jour. Daus le l: D 5 ■!;;* f' ™ %i :■ .■'!:) i;" ! m 8a Lettres édifiantes Symbole, qui se chante après l'Evangile, en parlant du Saint>Ësprit, le schisme a sup- primé ces mois : Qui procède du Père et du Fils. Les oblata se font ensuite en cette manière : le Célébrant , 1« Diacre et les Clercs les portent en procession autour de l'Autel , et chantent: Le corps du Seigneur , et le sang de la rédemption est en présence y et le peuple iie prosterne. Le Prêtre étant remonté à l'Autel, et s'étant lavé les doigts, se tourne du côté du Diacre , et lui donne le baiser de paix. Le Diacre dit alors : Donnez- vous la paix mutuellement, daîis le baiser de pureté ; et vous , qui n'êtes pas dignes de communiquer aux mystères , descendez ù la porte , et priez. Le CéléJ>rant étant venu à la consécration , il prononce d'abord cos paroles : Prenant la pain dans ses saintes , div'ines^ immortelles ^ immaculées et agis" sintes mains, il bénit, rendit grâces, rompit, donna à ses Disciples choisis^ saints et assis. . . ^ Le Prêtre continue, et prçfère les paroles sacramentelles , telles que nous les proférons, sur le pain et sur le vin , qu'il élève pour être adorés du peuple. Apres la consécration, et (quelques prières faites avec des bénédic- tions . le Célébrant lève le voile qui couvre le calice , et prenant l'Hostie en main , dit trois fois : Par ceci, tu seras véritablement Ip pain béni ^ k corps de Notre-Seigneur et Saui>eur Jésus- Christ, Il ajoute , et dit trois foïs : Ton Saint-^Espnt coopérant; et couvre le calice. Après ces paroles , le Prêtre prie pour tous les étals réguliers et séculiers. ET CURIEUSES, 83 Le Diacre, en chantant^ fait mention des Saints, et en particulier, des saints Tliadée el Barthélemi , et de Grégoire l'Illuminateiir, auxquels il joint Jean Orodnicti, Grégoire Dukeratsi , et Barsam^ tous trois hérétiques. Il fait aussi mémoire à'Abgare , Constantin^ Ti rida te et Théodose. • L'Oraison Dominicale est chantée par le peuple. Après l'Oraison , le Prêtre se tourne deux fois vers le peuple , et lui montrant l'Hostie sur le calice , dit d'abord : Les choses saintes aux Saints ,• et h la seconde fois il ajoute : Mangez le saint vénérable Corps et Sang de Notre -Seigneur et Sauveur Jésus^ Christ avec sainteté , lequel descend du Ciel, habite parmi nous; il est la vie, \JAgnus Dei se dit dans les termes dont nous nous servons , ou approchans , et le Célér brant fait la Communion. La Communion étant faite , le Diacre dit au peuple : Appro- chez avec crainte et avec foi, et communi- quez au Saint : j'ai péché contre Dieu, Nous croyons au Père , Dieu vrai ; nous Crojons au Fils, Dieu vrai ; nous croyons au Saint- Esprit , Dieu vrai. Nous confessons et Croyons que c'est le vrai Corps et Sang de Jésus-Christ , qui nous sera en rémission de nos péchés. Les Clercs répondent et chan- tent : Notre Dieu et Notre-Seigneur nous a apparu; béni celui qui vient au nom du Seigneur. Alors le peuple communie ; le Célébrant le bénit , et chante : Faites vivre. Seigneur, votre peuple ; les Clercs pour- suivent en chantant ; nous sommes remplis D G w'1% Il ■ Ul 'â ..-'il A. \l> A ' , ' 11' lil '1-, I I ' 1 |:: 3 i jif: Lettres édifiantes ' de vos bontés. Le Diacre ajoute : avec foi et avec paix; et les Clercs avec lui disent : nous rendons grâces. Le Célébrant marche ènsiHte vers le milieu de TËglise ; il y fait quelques prières , et les finit «n se tournant du côté du peuple , disant : La plénitude de la Loi et des Prophètes ; vous êtes te Christ Dieu : puis il monte à TAutel , et après trois , adorations , Seigneur Jésus- Christ, dit - il , nyez pitié de nous, L'Evangile de saint Jean se récite a la fin de la Messe , selon la cou- tume de FËglise Latine. Pendant la Messe, les Officians ne font aucune génuflexion , mais seulement des inclinations : le Célébrant béuit le peuple plus de cinquante fois, étendant la main sans tourner le corps. Le Diacre prononce pres- que autant de fois , et en même-temps , ces paroles : Bénissez, Seigneur, ^' Avant la Messe , les Arméniens fpnt une profession de foi qui est hérétique. Elle com- mence par un exorcisme, et finit par une confession de toutes sortes de crimes les plus capables de choquer les oreilles pieuses et chastes. Pour ce qui est de l'Office divin , qu'on récite dans les Eglises Arméniennes , l'an- cienne langue de la nation , qu'on peut ap- peler un Arménien littéral , y est seul en usage ; mais son intelligence est réservée aux Ministres des Autels , lesquels, très-souvent, ne savent autre chose que le lire. C'est non- seulement par ce rit singulier que la nation se distingue des autres sociétés Chrétiennes^ cou- ces ■ s ET CURIEUSES. 85 mais encore par radministralion des Sacre- jnc^ns, où ils ont introduit des abus h corriger, et d'autres à abolir, comme on va le voir. :i^. .T, V' -i- ARTICLE IL DES SACREMERS. Du Sacrement de Baptême, ^ '' i. ' ■ •• ià L'Evêque , ou le Prêtre , qui administre le Sacrement de Baptême , reçoit d'abord l'enfant hors de la porté de l'Eglise , qu'on lient fermée : il y récite le ^Pseaume cent trentième, et diverses Prières. Ensuite se tournant vers l'Occident , il répèle trois fois l'exorcisme; puis se tournant vers l'Orient, il fait trois fois les demandes ordinaires sur la créance des principaux articles de la Foi , et dit le Pseaume Covfitemini , qui est le cent dix - septième. Alors la porte de l'Eglise s'ouvre ; et étant ouverte , on marche vers les fonts Baptismaux. Le Prêtre y oint l'enfant d'huile bénite. Il récite h haute voix le Pseaume , T'^ox Domini super agitas, et le troisième Chapitre de saint Jean , où Jésus- Christ instruit Nicodème de la nécessité d'une régénération spirituelle que le saint Baptême opère en nous 5 puis il y bénit l'eau des Fonts. Il y plonge le Crucifix , et y répand le saint Chrême , disant trois fois Alléluia, avec ces paroles : Que cette eau soit bénite , ointe et sanctifiée, - '\ ^ , y Après ces premières cérémonies, le Prêtre 'm \: lï t mm Il ■. li i 86 Lettres ÉDIFIANTES demande le nom qu'on donne à Tenfant; et le nommant alors par son nom, il le plonge entièrement trois fois dans l'eau des Fonts , disant à chaque immersion : N, serviteur de Jésus- Christ^ qui se présente de sa propre volonté au Baptême , est maintenant bap- tisé par moi , au nom, du Père , du Fils, et du Saint-Esprit, f^ous êtes racheté par le Sang de Jésus-Christ, délii^ré de la sersfitude du péché ; vous êtes fils adoptif du Père céleste^ co-héritier de Jésus- Christ, temple du Saint-Esprit. Cette forme convient mieux avec la nôtre que celle des Grecs, en ce qu'elle indique le Ministre qui baptise ; mais c'est un abus de la répéter à chaque immer- sion : car le Sacrement ayant son intégrité y et par conséquent son elficacité dès la pre- mière immersion, c'est pécher contre son unité, de réitérer deux fois l'immersion et les paroles qui iout la matière et la forme du Sacrement. < . v . Un autre Rituel Arménien que j'ai vu , prescrit une différente manière de conférer le Baptême , mais qui n'est pas moins con- damnable. Le prêtre dit à la première im- mersion , au nom du Père; à la seconde , au nom du Fils ; et à la troisième , au nom du Saint-Esprit. Cette répétition au nom , est contraire à l'institution de Jésus-Christ , dans laquelle les saints Pères remarquent , contre les Arîens et les Macédoniens , que les trois personnes de la sainte Trinité sont énoncées sous le mol au nom ,\\ne fois prononcé , pour marquer l'unité des trois personnes en essence. mÈ ET CURIEUSES. ^ ' 87 A ces erreurs des Arméniens , il faut ajouter un nouveau réproche qu'ils mérilenl , qui est d'attendre le huitième jour après la naissance d'un enfant, pour le faire baptiser; car il n'arrive que trop souvent que l'enfant meurt pendant cet espace de temps sans Bap- tême. Quelques-uns de leurs Docteurs, pour se mettre à couvert de ce juste reproche, soutiennent que , dans cette occasion , le Baptême n'est pas absolument nécessaire à V enfant ; et c*est ce qui a donné ocdision do les accuser de ne pas croiro le péché ori 'nel. Cependant il est certain que la nati ea général , croit la nécessité du Baptême. * t.: Du Sacrement de Confirmation» La Confirmation se donne aux enfans, incontinent après le Baptême : le même Prêtro administre l'un et l'autre Sacrement : tel est l'usage ordinaire des Eglises du Levant. Leur Chrême n*est pas seulement composé d'huile d'olive et de baume, on y ajoute le«uc de difTérens aromates confondu dans du vin. Comme l'huile d'olive est très-rare dans le pays , quelques Eglises y avaient substitué l'huile de sésame ; mais on l'a retranchée , n'étant pas une matière conve- nable. • ' ^ : ^ La bénédiction du saint Chrême est attri- buée au seul Patriarche des Arméniens ; il en envoie chaque année une portion aux Evêques , pour en faire la distribution aux Prêtres. Ceux ci craignant souvent d'eu mau- \A X'k ■\ \ »■'' ^. o .- -/^^^^^ IMAGE EVALUATION TEST TARGET (MT-3) /. ^^ . ET CURIEUSES. 91 I Du Sacrement de la Pénitence. ' ' L'incapacité des Prêtres Arméniens a in- troduit plusieurs abus intolérables dans l'usage du Sacrement de Pénitence. Le Con- fesseur , pour avoir plutôt fait , et pour recevoir sa rétribution, a par écrit une longue liste de péchés qu'il récite, saps en supprimer les plus énormes. Le péaitent , soit qu'il s'en connaisse coupable ou non , répond : J'ai péché contre Dieu, Si un Confesseur, mieux instruit d€ son devoir, interroge son pénitent, il ne lui dira mot sur Taccusation qu'il lui fera de péchés griefs ; mais s'il vient à s'ac- cuser de quelques faits , qui sont plutôt des superstitions que des péchés , comme d'avoir tué un chat ou un oiseau , alors le Confesseur prenant un ton sévère , fait de rudes répri- mandes à son pénitent , et lui impose de rigoureuses pénitences. Il n'oublie pas sur- tout de le questionner s'il n'a point de biens d'autrui ; car, si le cas y échoit, il s'applique, ou à son Eglise, la restitution qui est due à l'homme volé. - -T . • Pour ce qui est des Prélats et des Verta- biets , qui ne daignent pas recevoir la com- munion d'un inférieur , ils se croiraient trop humiliés qu'on les vît aux pieds d'un Prêtre pour recevoir l'absolution de leurs péchés. Les termes dont les Arméniens se seiTent pour prononcer l'absolution , sont diâerens de ceux que les Grecs y emploient. Les ter- mes de ceux-là sont absolus , et ceux des I >:\' Wë . if 92 Lettres ÉDIFIANTES derniers ont une forme déprécatoire. Voici la formule des Arméniens : Que Dieu , qui a de l'amour pour les hommes ^ vous fasse miséricorde ,• çuil vous accorde le pat don des péchés que vous avez confessés , et de ceux que vous avez oubliés ; et moi , par l'autorité que me donne V Ordre sacerdotal , selon les divines paroles : tout ce que vous avez délié sur la terre , sera délié dans le Ciel; avec les mêmes paroles , je vous absous de tous les péchés que vous avez commis par pensées , paroles et œuvres , au nom du Père , du Fils , et du Saint-Esprit. Du .Sacrement de l'Extrême- Onction, Les Arméniens reconnaissent l'Extrême- Onction pour un des sept Sacremens insti- tués par Jésus-Christ ; mais ils en ont pres- que aboli l'usage , sous prétexte que î'Ex- trême-0 notion ayant , disent-ils , la vertu d'effacer les péchés , les peuples se préva- laient de cette opinion , poiir s'exempter de la peine de confesser leurs péchés , et de faire pénitence. Ainsi , pour corriger cet abus , ils ont supprimé le Sacrement de l'Ex- trême-Onction. : II. faut cependant remarquer ici , que dans les Eglises d'Orient on l'administre indiffé- remment aux sains et aux malades ; car , disent-ils , Jésus-Christ l'a instituée pour guérir les maladies du «iorps et de Tame ; et c'est pour nous instruire de ce double effet du Sacrement , qu'on l'appelle l'onction des infirmes } or , il arrive assez souvent que le ET CURIEUSES. - qB corps étant en santé , Tame est malade par la griéveté de ses péchés. Mais les Arméniens ont une pratique bien singulière à l'égard des Prêtres après leur mort. Un Prêtre vient-il de mourir, on en aver- tit aussitôt un autre Prêtre , qui apporte le saint Chrême , et qui en fait des onctions en forme de croix sur la main , sur le front , et sur le haut de la tête du cadavre , disant : Que la main de ce Prêtre soit bénie , ointe et sanctifiée par ce signe de la sainte Croix , par cet JEuangile et par le saint Chrnne , au nom du Père , du Fils , et du Saint-Es^ prit. Il répète la même formule , en fesant les deux autres onctions : c'est dans cette dernière cérémonie , concluent quelques- uns de leurs Docteurs , que consiste , à pro- prement parler , le Sacrement de l'Extrême- Onction. Les Arméniens ont encore pour pratique de laver les pieds de tous ceux qui sont h l'Ëglise. Après les avoir lavés , les Prêtres les oignent de beurre , en mémoire du parfum que la femme pécheresse répandit sur les pieds du Sauveur. Ils se servent de beurre au défaut d'huile , qui est rare dans le pays ; l'Evêque le bénit ^vant que de com- mencer le lavement des pieds , et dit , en le bénissant : Seigneur , sanctifiez ce beurre , afin qu'il soit un remède contre toutes les maladies ; quil donne la santé à l'ame et au corps de ceux qui en reçoi\fent l'onction. Leur rubrique porte que celte pratique est recommandée par les Apôtres inspirés du Saint-Esprit. "m 94 Lettres ÉDIFIANTES Du Sacrement de V Ordre. Le Rît que les Arméniens observent dans les Ordinations , est conforme , plus qu'au- cun autre des Eglises d'Orient , à celui de TEglise Romaine. Aussi se glorifient-ils de l'avoir reçu du Pape saint Grégoire le Grand, pour lequel ils conservent une singulière vénération. Les prières que fait l'Evêque en donnant les Ordres , sont belles et édifiantes. Elles ne s'éloignent pas , ou fort peu , du sens de celles que l'Eglise Romaine emploie dans les Ordinations : ainsi , je ne rapporterai ici que ce qu'il peut y avoir de difTércut entre leur usage et le nôtre. ^ La tonsure chez les Arméniens est , comme parmi nous , l'entrée dans l'état Ecclésiasti- que , avec cette différence , que le Rit Ro- main ne donne aucun ofïice au tonsuré dans l'Eglise , et que le Rit Arménien le charge du soin de tenir l'Eglise propre et nette j c'est pourquoi l'Evêque met entre les mains -du tonsuré un balai , et lui dit ; Recevez le poui^oir de nettoyer l'Eglise de Dieu , et qu'en même-temps le Seigneur vous nettoie des péchés que vous avez pu commettre. Les Grecs confondent les autres quatre Ordres , qu'on appelle moindres , dans celui de Lecteur. Mais les Arméniens les distin- guent , et celui qui les reçoit, reçoit de l'Evê- que , ainsi que dans le Rit Romain , ce qui doit être de son ofïîce : le portier reçoit les clefs de l'Eglise , et l'Evêque lui dit : - ■ E T C U R I E U s E s. gS Comportez - vous comme ayant à rendre compte à Dieu des choses qui sont fermées sous la clef, et gui vous sont données ; soyez vigilant; priez tandis que vous ouvrez et fermez la porte de i'JSglise. L'Eve que ensuite le conduit à la porte , et le Diacre dit trois fois à l'Evêque : Enscignez-Ie. L'Evéque met la clef dans la serrure , disant aussi trois fois : Faites ainsi. Les autres moindres se donnent avec les cérémonies et les avertissemeus qui leur sont propres. L'habit de sous-Diacre est une aube , et rien plus. Celtii du Diacre e«t Taube sans ceinture et une étole. Ils reçoivent de l'E- voque ce qui est proprement de leur Ordre , et l'Evêque leur donne en même-temps les ins- tructions convenables à leurs emplois. L'ordination des Prêtres Arméniens a des cérémonies particulières que je rapporte ici. Elle commence par le chant de plusieurs Pseaumes , et d'autres prières ; l'Evêque s'in- forme ensuite des qualités du Diacre qui lui est présenté , de ses mœurs , de sa capacité , de sa naissance , qui doit être d'un mariage légitime. Son information faite et jugée favo- rable , l'Evêque impose sa main droite sur la tête du Diacre , et prononce les paroles sui- vantes : Seigneur, Dieu tout puissant, créa-' teur de toutes choses , Rédempteur ^'ivifiant , et réparateur des hommes , qui par votre honte infinie , accordez à votre sainte Eglise les grâces et les dons visibles et invisibles , nous nous adressons aujourd'hui à votre charité bienfaisante envers les hommes , ./ •> g6 Lettres édifiantes vous suppliant d'accorder à celui-ci, votre serviteur , que par cette vocation et cette imposition de mes mains , il reçoive V Ordre de Prêtrise ,• qu'il reçoive dignement votre Esprit saint , et le don de bien gouverner par la grâce de notre Seigneur et Rédempteur qui nous appelle tous par une vocation sainte, selon les Ordres dijférens, pourser- vir Dieu, et pour glorifier avec action de grâces le Père , le Fils, et le Saint-Esprit , maintenant et toujours, et dans les siècles, uiinsi soit-il, L'Evêque , après cette p^ère , fait deux nouvelles impositions de sa main sur la tête du Diacre qu'il ordonne ; il lui met Tétole sur le cou , une espèce de mitre sur la tête , un amict sur les épaules ^ une chape au lieii d'une chasuble ; il accompagne ces actions de différentes prières , et toutes conformes à chaque action. Mais il faut remarquer que lorsque TEvêque lui donne et met la cein- ture , il lui dit : Recevez du Saint-Esprit le pouvoir de lier et de délier , que notre Sei- gneur Jésus-Christ donna aux saints uàpô- tres , lorsqu'il leur dit : Tout ce que vous aurez Ué sur la terre sera lié dans le Ciel , et ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le Ciel. Ces paroles finies , l'Evê- que lui fait une onction dans les mains et sur le front , et lui présente ensuite le calice avec le vin , et la patène avec Thostie , en disant : Recevez , prenez ; car vous avez reçu le pouvoir de consacrer et de faire le saint Sacrifice , au nom de notre Seigneur Jésus- Christ , .1 'A ET CURIEUSES. f^'J Chnst , tant pour les vwans que pour les nioi'ts. L'ordination du Prêtre finit enfin par la bénédiction que TEvôque lui donne en ces termes : Que la bénédiction de Dieu , Père , Fils et tSaint-Esprit , descende sur t^ous , gui auez reçu l* accomplissement de l'ordre de Prêtrise , pour offrir le Corps et le Sang de Jésus- Christ pour la paiùc et pour la ré- mission des péchés. Ainsi soit-iL Il y aurait ici une question à examiner , et que je ne fais que proposer ; savoir si la partie essentielle de Tordination des Prêtres Arméniens consiste dans Timposition des mains de l'Evoque sur la tête du Prêtre or- donné , ou dans la tradition du calice et de la patène : si on décidait qu'elle consiste dans la tradition du calice et de la'patène , il s'en- suivrait que le pouvoir de lier et de délier serait donné au Prêtre avunt le pouvoir de consacrer , le Prêtre ayant déjà reçu de l'Evê- que la ceinture , et par conséquent le pou't' voir de lier et de délier , avant que d'avoir touché au calice et à la patène ^ auquel cas il y aurait un contre-sens et un abus mani- feste. Cette raison donne sujet de croire que les Arméniens mettent la partie essentielle de Tordination sacerdotale dans l'imposition des mains de l'Evêque sur la tête du Prêtre ordonné , laquelle précède le temps où l'Evo- que lui donne la ceinture et le calice avec la patène à toucher -, en effet , lorsque l'Evêqufr lui met le calice et la patène entre les mains , il bii dit ces paroles > qui supposent que ie Tome IIL F* ^8 Pfl I t m^'^ <)H Lettre» édifiantes })ouvoir (le consacrer lui a été donné : recevez et prenez , car vous avez reçu le pouvoir de consacrer et défaire le saint Sacrifice , etc. Les Plérétîqucs qui ne perdent jamais au- cune occasion de faire gli'ser par-tout le veniir de leur hérésie , ont inséré dans leur Bituel une profession de FoiquUls font pro- noncer aux Ordinandsj avant leur ordina- tion , et qui est conçue en ces termes : Nous croyons en Jésus^ Christ une personne et une nature composée r et pour nous conformer ftitx saints Pères , nous rejetons et détes^ tons le Concile de Clialcédoine , la lettre de saint Léon à Flayien : nous disons anathéme à toute secte qui introduit deux natures, Jpu Sacrement de Mariage, Les enfans des familles Arméniennes se reposent absolument sur leurs pères et mères , ou sur leurs plus proches parens , du choix de la personne qu'ils doivent épouser , et des conventions matrimoniales. Le ma» fiage se célèbre à FËglise ; les contractans s'y rendent de grand matin ; la future épouse y est conduite par sa famille ; son visage est couvert d'un grand voile , qui la cache aux yeux de tous les assislans , et c'es| à TEglise eeulement que son futur époux la voit pour la première fois. Le Rituel contient de trcsr belles Oraisons , pour la bénédiction de Tanr neau des fiançailles ; la bénédiction nuptiale que le Prêtre donne ensuite aux fiancés , est exprimée en ces termes : Bénissez , Seigneur, fe mttria^e d'une bénédiction perpétuelle , *ecevez voir de e , etc. aïs au- tout le lqs leur mt pro- ordina- > : jVbia e et une nfonner t déteS' lettre de nathéme ures. ennes se E!t mères, • ns , àvL épouser , Le ma» ntractans re épouse visage est acbe aux i l'Eglise voit pour il de trèsr m de l'anr nuptiale incés , est Seigneur^ fétueUe 4 ET cmiKuscs. 99 et accordez-leurpar cette grâce , qu'ils cort" servent la Foi , l'Espérance et la Charité ; donnez-leur la sobriété , inspirez-leur de pieuses pensées , consen'ez leur couche sans souillures , afin que fortifiés de toute part , ils persévèrent dans votre bon plaisir. Après la célébration du mariage , ceux qui y ont été invités reconduisent les nou<^ veaux mariés chez les parcns de l'épouse y avec des cris de joie , et des frappemens de mains, qui en sont les marques publiques. La cérémonie des noces finit en présentant un bassin à tous les conviés , qui y mettent leur présent , selon leurs facultés , et cha» cun d'eux reçoit un mouchoir des mains de réponse. Les noces chez les Arméniens sont défen- dues depuis le Dimanche de la Quinquagé- sime jusqu'à la PentecAte. Les empéchemeni de leurs mariages , qu'on appelle dirimans , sont ceux-ci : contracter avec une personne infidelle y qui n'est point baptisée ; avoir em- brassé la profession religieuse ; être déjà engagé dans le mariage ; être lié de consan- guinité et d'affinité , jusqu*au quatrième de- gré , avec la personne qu'on voudrait épouser. Le mariage entre les parens du mari et de la femme , jusqu'au troisième degré , est dé- fendu. Deux frères ne sauraient épouser les deux sœurs , ni les cousins germains des cou- sines germaines , ni même issues de germains. L'empêchement provenant de l'adoption lé- gale , se termine au second degré ; celui dé l'adoption spirituelle , s'étend au troisième. E 1 « lôo Lettres ÉDIFIANTES Mais pour borner cet empêchement à un petit nombre de personnes , toute une famille ne prend pour tous les enfans qui en nais- sent , que le même parrain , et la même marraine. Les Arméniens \\e mettent point au nombre des empêchemens , ceux qui pro- viennent du crime, oi ceux qu*on appelle simplement empêcbans. Il y a sujet de douter si l'Ordre de Prê- trise est chez eux un empêchement qui rende un second mariage nvl et invalide , ou s'il n'est seiilemept qu'illicite ; la raison de jou- ter est, qu'Uii Prêtre qui contracte vin secopd mariage après la mort de ^a pr]emière épouse , en est puni par la dégradation , sans passer cependant pour concubinaire. On le dé- pouille des honneurs , privilèges , fonctions f!t habits du Sacerdoce ; et il n^est admis que ^omme I^a'jique ^ la participation des j^acre- menSf Pour ce qui jest des troisièmes noces , les ^rm^niens les réprouvent, et les jugent illér gitimcsde droit divin ; mais leur pratique y iest contraire ; car si ^n particulier s'obstine h demander dispense pour up troisième ma^ riage , et sur up refus menace de se faire Mahométap , alors son Gpré , sans avoir recour» ni au Patriarche , ni à son Evêque, )a lui accorde promptcment« Les Arméniens lîroient avoir remédié à de grapds désordres , par la coutpme établie parmi evi% , et qui tient lieu de loi , qui est qu'un homme veuf nç peyt épousçr qu'ope yepve en secondes ET CtJRlEUSES. i6l A roccasion du Sacrement de ifiâriagé ; dont nous veiToBS de parler , je rapporterai ici une pratique extraordinaire de ceUe Nà- tien , mais qui lui est comtaune avec d'autres Kations du Levant. Les Arméniens célèbrent la mémoire du Baptême de Notre-^Seif^eur le 6 Janvier « et voici de quelle manièi^ ils font cette Fête. Iîs8*y préparentpar un jeûne très*rigoureux. Le jour de la Fête , ces peu- ples courent en foule sur le bord d'une ri- vière , ou d'un ruisseau voisin. Le I^atriar-^ elle, ou un Evêque, ou uu Vertabiet en son nom , ne manque pas de s'y rendre. Il com- mence la cérémonie par la lecture de plu-^ sieurs prières et leçons tirées des saintes Ecritures , et qu'ils appliquent^ cette Fête« Il béiiit ensuite les eaux de la rivière , et y verse du saint Chrême. Alors , disent les Arméniens , les eaux bouillonnent à gros bouillons ; merveille dont ils sont les seuls qui s'aperçoivent. Mais ce qui est au vu de tout le monde , c'est Temprcssement avec lequel ce peuple superstitieux et grossier se jette h corps perdu au milieu des eaux , et y va chercher les parties du saint Chrême qui surnagent , pour s'en frotter les yeux , le visage et la tête. Leur dévotion en ce jour est si fervente , que le froid -du mois de Janvier ^ souvent excessif, et les eauxà demi'-glatées, ne lés empêchent pas de s*y plonger. Ce trait de superstition et plusieurs autres sembla-^ blés, qu'on ne rapporte pas, font voir de quelle extravagance sont capables ceux qui se laissent dominer par le schisme. Comme E 3 io'2 Lett&es Édifiantes cette Fêle ridicule ne manque jamais d'y atti- rer une grande foule de peuples de toutes Nations , et que les désordres en sont insé- parables , les Magistrats Turcs^ s'y transpor- tent pour y remédier y et sayej^t toujours s% laire bien payer de leur présence. i. AxtlCLE III. DesPétes et des jeûnes des Arméniens, Les Arméniens cmt très-peu de Fêtes pen- dant Tannée , qui ne soient précédées par plu- sieurs jeûnes \ et comme ils ont un grand nombre de Fêtes > la plus grande partie de Vannée se passe aussi en jeûnes. Mais ce qui est infiniment à leur louans^e , c'est qu'ils les ol)servQnt avec une régularité si exacte et si sévère , que ni Tâge , ni le» maladies , ni le ir;(vail journalier , ni les longs et pénibles voyages , ne leur sont point une raison pour s'en dispenser. Les plus réguliers sont à jeun jusqu'à trois beures après-midi ; ceux qui le ■sont moins , avancent leur repas. Mais tous s'interdisent Tusage de la viande , du poisson , des œufs, du laitage,. et d'un mets particulier fait avec des œufs de poisson j et qu'on nomme Cauiat, Ce serait un relÀcbement parmi eux , «i quelqu'un usait de l'buile d'olive , et bu- vait du vin. Enfin , on peut dire que dans leurs jeûnes , ils ne vivent que d'berbes et de légumes cuits dans l'huile de sésame , la- quelle ne vaut pas mieux que l'huile de navette. Outre leç jeûnes qui leur sont ordor».- nés pendant l'année , ils ont encore cinq jours^ M vjll f alti- Loutes insé- ispor- ars 89 Bs pen- ar plu- i grand rtie de j ce qui u'ils les ite et si s , ni le pénibles m l>our ta jeun i qui le ais tous )oi8Son , rticulier nomme mî eux , , etbu- ue dans erbes et ime , la- ii^île de it ordoT^- nqjours. ET CL RIEUSES. lO.» où le seul usage de la viande leur est défondu ; et ces jours s^apptdlent JVeva^àdih, Aii reste, le grand nombre de jeûnes qu^ils observent , les prévient si fort en faveur de leur Eglise , ' que lorsqu'ils la comparent à l'Ëglise Ro- maine , ils traitent les Cbrétiene Européens , d'hommes lâches , sensuels et efifôminés , et prennent de là occasion de faire Téioge àé. la sainteté de leur Eglise. Je ne m'arrêterai point ici à faire un détail particulier ds leurs jours ^ de jeune , et de toutes leurs Fêtes ; le récit en serait en-** nuyeux. Je rapporterai seulement ce qui mérite d'être remarqué. Les Arméniens ne disent point de Messe les jours de jeûnes : ils ne la célèbrent que les jours de Fêtes , parce que dans ces jours ils ne jeûnent point. Les Mercredis et Vendredis sont jours de jeûne , h moins qu'une Fête particulière ne les en dispense. Ils n'ont pendant l'année que quatre Fêtes noki mobiles , qui sont l'Epi- phanie, la Circoncision de Notre-Seigneur, la Purification de la Sainte- Vierge , et son Annonciation. Si le i5 Août n'est point un- Dimanche , la Fête de l'Assomption est ren-' voyée au Dimanche suivant. Il en est de même^ d(; la Fête de l'Exaltation de la sainte Croix ^ qui ne doit être célébrée qu'un Dimanche. Ces deux Fêtes sont précédées de plusieurà jours de jeûne. Le Samedi qui précède la» Fête de l'Assomption , est employé à dire., anathême au Concile de Chalcédoine , et à saint Léon. Ils font la Fête des trois cent dix-huit Pères du Concile deNicée avec la E 4 Mi m M \ m kV liriii i HLvv J' mf jo4 Lettres édifiantes mémecérémonic le Samedi , veilicdèla Nati- vité de la Sainte- Vierge , renvoyée au Diman- elle suivant , lorsque le 8/ Septembre est un jour ouvrable. La Fête de saint Serge , soldat , et de son fils , tous deux martyrs , et de leurs quatorze Compagnons , est célèbre parmi eux. Us la solennisent le Samedi avant la Septua- gésime. Elle est précédée de cinq jours de jeûne , si rigoureusement observés , que plu- sieurs filles et garçons s'ahstienuent de pres- que toute nourriture pendant ces jours-là. ; Le Dimanche de la Quinquagésime s'ap- pelle Pariegsentan , c'est-à-dire , bonne vie , comme si ce jour annonçait les jours de salut, le Carême commençant le Samedi sui- vant. Tous les Samedis du Carême sont des- tijiés à des Fêtes particulières. Celle de saint Grégoire riUuminateur se fait le cinquième Samedi. Le Dimanche suivant , qui est celui des Rameaux , est solennisé , comme dans TËglisc Komaine , par la bénédiction des Palmes , et la Procession. A son reloifr , un Prêtre ac- compagné du Diacre^ entre dans TEgli^è , «t en ferme la porte. L'Officiant , qui est à la tête de la procession , frappe à la porte y et chante les paroles : Ouvrez-nous , Seigneur, ouvrez-nous la porte des miséricordes , à nous , qui vous invoquons les lannes aux yeux. Le Prêtre et le Diacre qui sont dans l'Eglise répondent : Qui sont ceux qui de- mandent que je leur ouvre ? Car c'est ici la porte du Seigneur , par laquelle les Justes '1 , 11 elui des l'Eglise mes , el êlFe ac- Eglisè , lui est à >orte j et 'dès , à nés aux ont à»m : qui de' est ici la »j Justes ET C.rilIEUSrS. I03 entrent avec lui. L'Officiant , et ceux qui Tassistent répondent : Ce ne sont pas seule- ment les Justes gui entrent , mais aussi les pécheurs qui se sont justifies parla confession et la pénitence. Ceux qui sont dans TEglise répliquent : C'est la porte du Ciel, et la fin des peines , promises à Jacob. C'est le repos des Justes , et le refuge des pécheurs , le Royaume de Jésus-Christ y la demeure des Anges , l'assemblée des Saints , un lieu d'asile , et la maison de Dieu. L'Officiant et ses Diacres ajoutent : Ce que vous dites de la sainte Eglise , est juste et ^rrai , parce qu'elle/ est pour nous Une mère sans tache , et que nous naissons en elle enfans de lumière et de vérité. Elle est pour nous l'espérance de la vie , et nous trouvons en elle le salut de nos âmes. ' Après ce pieux el touchant dialogue , la porte de l'Eglise s'ouvre , la Procession en- tre , et l'Office finit par d'autres prières très- édifiantes. Les jours suivans et celui de Pâques' n'ont rien qui leur soit singulier. Les sainte» praliqujes de l'Eglise Romaine , pendant la Semaine Sainte , ne sont point observées , et ne sont point en usage. Ils célèbrent la Messe le Jeudi Saint , et plusieurs y com- munient. La seconde Férié de Pâques est employée h visiter les cimetières , où ils lisent des priè7 res et des Evangiles. Depuis Pâques jusqu'à l'Ascension , ils n'ont point de jeune ni les^ Mercredis, ni les Vendredis. Depuis l'Ascen-» sion jusqu'au dernier jour de l'année , les .. ^ .:-■,'. ^ : . E 5 ■ • il ii'<^ [ii P i! ib6 Lettres édifiantes Armcnien^ célèbrent plusieurs Fêtes qui leur sont particulières , et qui sont précédées par cinq jours de jeûne. Les principales sont la Fêle de l'Invention des Reliques de saint Grégoire rilluminateur ; celle où ils fout mémoire du jour auquel ce saint Patriarche fut retiré du puits où Tiridate l'avait fait jeter; la Fête des deux cens Pères du Con- cile d'Ephèse ; celles de saint George , des Archanges , de Jonas , de saint Jacques de Kisibe , et de plusieurs hommes illustres de l'Ancien Testament. J'ai parlé de la Fête de saint Serge , soldat , qui est célèbre parmi les Arméniens ; mais je n'ai rien dit du jeune qui la précède , et qu'ils appellentd'^/t^i&ut. Ce jeune fait le sujet d'une grosse querelle qui est entre les Grecs et les Arméniens ; car ceux-là font un crime, aux Arméniens de faire un tel jeûne , et voici l'histoire sur la- quelle est fondé le reproche que les Grecs leur font, jirtzihut, disent-ils , était le chien 4*un Ëvêque qui précédait son maitre eti tous lieux , et qui annonçait son arrivée : l'Ëvêque fut si affligé de la mort de son chien , qu'il ordonna cinq jours de jeûne pour le pleurer. C'est donc pour pleurer ce chien , disent les Grecs aux Arméniens , que vous jeûnez ces cinq jours. Une fable aussi absurde que celle- ci , ne méritait pas que saint Nicon et le Patriarche Isaîe en fissent un chef d'accusa- tion. Mais ce qu'il y a ici de réel , c'est que le mot ^Artzïbut , signifie un avant-coureur , ou un messager , et que le jeûne de saint l^erge venant dans la Semaine de la Se^agé- ET C URIEUSES. 107 sime , annonce que le Carême suit de près. Il ne nous reste plus qu'à parler de l'OïIlce et du chant de TÈglise Arménienne , pour finir tout ce qui regarde son rit. Les Prêtres ont pour Bréviaire le Psautier ; ils le réci- tent en psalmodiant en diiférens temps, soit dans le chœur , ou chez eux. Ils chantent dans le chœur des Hymnes , des Leçons tirées des saintes Ecritures , des Oraisons , et autres Prières. Pendant le Carême , ils vont trois fois à TEglise , le matin , à midi et le soir : les autres jours ils n'y vont que deux fois , le matin pour y dire Matines et la Messe lorsqu'ils la doivent célébrer , et le soir pour dire Vêpres. Leur chant est très-pesant , eP imite en cela leur langue : ils sont persuadés qu'il n'y en a pas de plus beau que le leur ; ils le notent par des points sur les voyelles, et s'accordent parfaitement en chantant. Ils ont grand soin d'apprendre à leurs enfans tous les chants de l'Eglise. CHAPITRE VIL Des erreurs des uimiéniens. j L 'Erueur capitale des Arméniens , et qui est l'origine et le fondement de leur schisme , est de ne reconnaître qu'une seule nature en Jésus-Christ. Ils sont Jaeobites , et convien- nent avec les Suriens et les Coptes dans la même créance. Ils confessent avec eux que Jé^uft-Christ ««( Di«u çt homme parfait ^ E 6 1 loB Lettres édifiantes ayant uh corps et une ame comme nous ; que la nature divine s'est unie avec la nature humaine , sans qu'il se soit fait aucun cliaii- gemcnt dans Tune ou l'autre nature , et sans aucun mélange et sans confusion. Ils avouent €|ue selon la chair il a souflertla fatigue , la faim , la soif ; que c'est volontairement qu'il s'est livré aux souffrances de sa Passion , et h là mort. Mais que selon sa divinité , il était impassible et immortel. Leur confession de Foi, qu'ils récitent très-fréquemment, con- tient ces articles. Ils disent anathéme h Eu- tlphès , comme ils le disent à Ncstortus , et ils lé condamnent comme complice d' Apolli- naire , en ce qu'il a nié que le Sauveur fut homme comme nous. Quand donc sur l'aveu qu'ils font , que Jésus-Christ est Dieu et homme, l'un et l'autre parfait , et qu'il a souffert selon la chair , et non selon la divinité , on veut les obliger h conclure nécessairement de cette doctrine , qu'il y a deux natures en Jésus-Christ, ils se retran- chent alors dans la comparaison de notre corps et de notre ame, lesquels, disent-ils, ne composent , par leur union naturelle , qu'une seule nature. Ce fut pour les chasser de ce retranchement , qui leur paraît un fort imprenable ', que ' Théorien , Théologien Grec , employa dans ses Conférences avec Nierses ; Patriarche de Sis , des argumens abstraits et métaphysiques , qui sont rap- portés dans la Bibliothèque des Pères. Mais comme notre Foi n'a point besoin , pour être î ustifîéé , de toutes ces subtilités , qui rédui- , ET CUKIEUSES. * I09 sent souvent les opiuions combattues de part et d'autre à une pure question de nom , Théo- rien se servit bien plus à propos de l'autorité des saintes Ecritures et des Pères , qui prou- vent solidement l'existence des deux natures en Jésus-Christ. Le Théologien Grec aurait pu faire voir au surplus la défectuosité de la comparaison en question , dont les Arméniens mêmes doivent convenir ; car ils avouent , et . il est vrai , que le Verbe s'est fait chair , que Dieu s'est fait homme , mais ils n'osent pas dire que l'amc se fasse corps. Ils confessent que Dieu est né , et qu'il est mort ; mais ils ne diront pas , et ne dirent pas en effet que l'ame soit^tendue , et forniée par un arranr gement de la matière , et qu'elle meurt : ainsi la comparaison dont il s'agit ne va pas plus loin qu'à expliquer l'union des deux subs- tances dans une seule hypostase -, mais l'union hyposta tique des deux natures en Jésus-Christ opère ce qu'on appelle la communication du verbe avec la nature humaine , laquelle n'a pas lieu entre le corps et l'ame. Saint Euloge , Patriarche d'Alexandrie , dans son troisième Discours contre les Sévé- riens , dont Photius nous a conservé un bel extrait , explique parfaitement l'usage légi- time qu'on doit faire de cette comparaison , et les justes bornes qu'on doit y donner ; et il remarque que saint Cyrille ne l'a employée que comme un exemple imparfait de l'union hypostatique. De ce faux principe d'une seule nature en Jésus-Christ, les Arméniens, de concert avee -:tT iid Lettres édifiantes les autres Monophysites , concluent qu'îl n*y a qu'une opération en J.-C. et qu'une volonté , entendant par ce mot de volonté , l'action delà volonté, et non pas la faculté : C'est ainsi qu'ils abusent de l'expression d'actions théan- driques , au point qu'ils ne s'accordent pas entr'eux , etque quand il est question d'expli- quer leurs sentimens , ils se contredisent mu- 'tuellement, les uns parlant le langage des Ëutychiens , et les autres celui des MonopUy- sîtes , tous hérétiques condamnés dans le Concile de Chalcédoine. Mais ce qui est cer- tain , c'est que le schisme n'avait pas fait grande fortune avant le Conciliabule ^e Thé- vin. Ses plus zélés partisans n'étaient que quelques Moines et quelques Evêques , qui n'osaient pas même prêcher publiquement leurs erreurs. Cependant ils n'en étaient pas moins affectionnés à leur parti , et ils cher- chaient les moyens de l'augmenter. Ils trou- vèrent à propos un certain Prêtre né avec des talens , tout propre à être un chef de parti. Il se nommait Jacques Zangales ^ homme adroit , séduisant , parlant bien , populaire , se donnant des airs de modestie et d'humilité qui cachaient une ambition sans mesure. Il eut plusieurs conférences avec quelques Evêques et quelques Vertabiets qui pensaient comme lui. Il fit si bien qu'il leur persuada de le sacrer Ëvêque , ce qu'ils firent. Revêtu qu'il fut de cette dignité , il commença à dogmatiser ^ parcourant les villes et les villages. Il se donnait la réputation d'un homme éclairé et envoyé de Dieu : c«tie ET CURIEUSES. III opiiiîon conçue de lui , jointe h son art de bien parler , le fcsait écouter volontiers du peuple ; il fesait cbaque jour quelque con- quête ; le nombre de ses disciples s*augmen- tait, et devînt si fort qu*on commença à ies appeler Jacobites , du nom die leur séducteur Jacques Zangales , et ce nom leur est de- meuré. Le Conciliabule de Tbevin , convo- qué par le Patriarche Nierses , surnommé ûiclidaraghensûi , confirma les erreurs dont Jacques Zaugnles aVait déjh infecté les peu- ples. Il condamna de plus le Concile de Chal- cédoine , et forma enfin le schisme , qui dura plus d'un siècle. Pour ne parler présentement que des Armé- niens qui sont sous nos yeux , nous leur de- vons la justice de dire qu'ils n*entrent point dans toutes ces sortes de questions. Ils s'en tiennent en général à ce qu*on leur a dit , qu'il n'y a qu'une .nature en Jésus-Christ , sans en savoir davantage. Car pour ce qui est. des autres erreurs qu'on reproche aux Armé-. i)iens^ et dont nous allons parler , on les doit moins imputer à la Nation ^ qu'à quelques- uns de ses Docteurs qui veulent se signaler dans leur pays , en dogmatbant contre l'Eglise Romaine, et qui croient en même-temps qu'il est de leur intérêt d'inspirer à leurs compatriotes du mépris et de l'aversion pour les Catholiques Romains. Q uelques-uns de ces Docteurs Arméniens j' soutiennent avec les Grecs que le Saint-Esprit ne procède que du Père : et nullement de la Sj^çcpje pçrsoiyiie de la sainte Trinité, Ils ne. Il M? ,! <>ii m: M i\rt LrTTBrs^niFTAîîTiîS peuvent pas cependant ignorer que les Egli- ses Arméniennes chantent le jour de la Pen-- tccôte une Prose contenue dans un de leurs livres nommé Hiachoust , où sont ces mots : Guérissez , Seigneur , le Seigneur des vertus , et vrai Dieu , source de lumières et de vie , Esprit saint y procédant du Père et du Fils. Gomme une erreur conduit toujours h une autre , ils enseignent de plus que Dieu diilere la récompense des Justes, et la punition des pécheurs jusqu*après le Jugement dernier \ et cependant dans les prières publiques ils demandent à Dieu qu'il place les âmes des défunts dans le Royaume du Ciel avec les Saints , et ajoutent que les Saints sont dans la gloire avec les Anges. A ces erreurs grossières , ils en ajoutent d'autres qui ne sont pas moins extravagantes ; savoir , que Dieu créa toutes les âmes dès lé commencement du monde ^ qjue Jésus-Christ descendant aux enfers en retira les damnés , que depuis ce temps-là il n'y a plus de Pur- gatoire , et que les âmes séparées de leurs corps sont errantes dans la région de l'air. On reproche de plus aux Arméniens , et non sans raison , que se fesant honneur d'être Chré- tiens , ils défigurent le Christianisme par des pratiques Judaïques. En effet , ils observent îe temps prescrit par la loi de Moïse pour la purification des femmes. Ils s'abstiennent de tous les animaux que la Loi a déclarés im- mondes , dont ils exceptent la chair du pour- • ceau , sans pouvoir dire la raison de cette exception. Ils se croiraient coupables d'ua les ETCIJRIEUSKS. * ll3 péché s'ils avaient mangé de la cliair d'un animal étoufle dans son sang. Comme les Juifs , ils ofTrent à Dieu le sacrifice des ani- maux qu'ils immolent h la porte de leur! lilglises par le ministère de leurs Prêtres Ils trempent le doigt dans le sang de la victime égorgée ; ils en font une croix sur la porte de leurs maisons ; le Prêtre retient pour lui la moitié de la victime , et ceux qui l'ont présentée en consomment les restes. Il n'y û point de bonne famille qui ne vienne onrir son agneau aux Fêtes de l'Epiphanie, de la Transfiguration , de l'Exaltation de la sainte Croix et de l'Assomption de la sain té- Vierge , qu'ils appellent le jour du sacrifice général. Ils font de pareilles offrandes à Dieu pour en obtenir la guérison de leurs maladies, ou d'autres bienfaits temporels. Mais ils ne s'a- perçoivent pas qu'en fesant ces sacrifices , ils se condamnent eut-mêmes , car ils pronon- cent ces paroles contenues dans leur Rituel : nous savons , Seigneur , que vous ne voulez plus de victimes. Ceux qui sont intéressés à les maintenir dans ces pratiques , ne man- quent pas de leur citer l'exemple de FËglise Romaine , qui bénit des agneaux dans les Fêtes Pascales. Mais nous leur fesons re- marquer )a différence de leur pratique à la nôtre ; car notre seule intention est de bénir des viandes qui nous sont données pour notre nourriture , mais non pas d'offrir à Dieu des sacrifices qu'il a abolis lorsqu'il nous a donné son Fils unique , qui s'immole conti- nuellement pour nous. I i I:-: et ordonnèrent qu'on ■'1 ET CURIEUSES. Il5 cliantàt publiquement le Trisagion en cette manière : saint Dieu , saint fort ^ saint im-" mortel f Jésus- Christ gui avez été crucifié pour nous , faites-nous miséricorde. Dans cette prière Catholique , on reconnaît sa di- vinité et son humanité ; on distingue deux natures en sa personne , Tune immortelle et exempte de douleur , Tautre souffrante et mortelle. L'autre endroit retranché de rEvangile, que saint Nicon reproche aux Arméniens , est rhistoire de la femme adultère , en saint Jean , chapitre 8. Mais comme cette histoire ne se trouve point dans quelques anciens manuscrits Grecs , ni dans les exemplaires a Tusage de TËglise d*Antioche , la traduc- tion Arménienne qui aura été faite apparem- ment sur ces exemplaires , ne doit point être responsable de cette omission , d'autant plus que cette histoire n'a aucun rapport à leurs sentimens pai'ticuliers , et ne les doit point par conséquent intéresser. A ces erreurs que l'on impute aux Armé- niens , il faut ajouter leurs abus dans l'ad- ministration des Sacremens, dont nous avons parlé dans le Chapitre précédent, et qu'il serait inutile de répéter , mais nous ne de- vons pas omettre ce qui nous donne une consolante espérance de leur réunion à FËglise Romaine. On sait que le schisme les en sépare depuis bien des années \ mais malgré leur séparation , ils conseiTent un respect et une vénération potir la sainte Eglise Ham^e ot ^our son Cuef , qui peut faire t ■1! '■ai m %\ ! iW ii6 Lettres édifiantes honte h. des Catholiques. Ils l'appellent le successeur de saint Pierre , à qui Dieu a con- fié son troupeau. Ils avouent sans peine que le Siège de Rome est le plus ancien et le {premier Siège du monde Chrétien , qu'il est a lumière qui chasse les ténèhres. Ces sen* timens , et plusieurs autres , que la bonté divine conserve dans leurs cœurs, est comme un germe qui produit de temps en temps de bons fruits , mais qui ne viennent pas tous en maturité. Ils y viendront un jour avec la grâce de Dieu. C'est pourquoi nous ne cesse- rons pas de cultiver cette bonne et aimable Nation portée naturellement h la piété , et à tous les exercices de la Religion les plus sévères. Nous prions les personnes qui liront ces Mémoires , de nous aider du secours de leurs prières, afin qu'il plaise à Dieu bénir nos travaux Evangélîques , et ceux de nos suc- cesseurs , que notre Compagnie ne manquera jamais de nous donner. C'est en leur faveur que sera le dernier Chapitre qui Unira ces Mémoires. CHAPITRE VIII. Manière de traiter at^ec les Arméniens, Ui N de nos plus anciens Missionnaires qui a eu le bonheur de travailler pendant bien des années , et avec de grands fruits , en Ai> ménie et en Perse , nous a laissé d'ejtcel- lentes règles pour traiter avec les Arméniens. ET CURIEUSES. 11^ Je ne puis rendre un plus grand service à nos jeunes Missionnaires, que de leur faire part de ces avis împortans. Les ouvriers appelés de Dieu, pour an-^r nonccr son Royaume aux Arméniens , doi- vent commencer par gagner leur estime et leur confiance. Pour y parvenir , ils ne peu- vent les traiter avec trop de douceur et de bonté dans les instructions qu'ils leur feront ; il faut leur faire bien entendre qu'ils ne pré-» tendent leur enseigner que la doctrine de TEglise , et celle de leurs ancêtres. Ils-. vous écouteront alors volontiers , et se laisseront prendre , pour ainsi dire , par vos discours , qui bien loin de jeter de la méfiance dans leur esprit , attireront doucement leurs coeurs^ et les disposeront à recevoir avec docilité les vérités de la Foi que vous leur expliquerez. Il faut faire une grande différence des Ar- méniens ; qui ne sont , pour me servir des termes de l'Ecole , que matériellement héré* tiques , d'avec ceux qui le sont formellement : la classe des premiers est la plus nombreuse 3 car c'est celle du peuple qui ne sait pas seu- lement de quoi il s'agit, ou qui n'en a qu'une connaissance légère et confuse. On ne trouve en eux nulle prévention pour des opinions particulières ; ils croient bonnement ne dif- férer de nous que par le Rit , et se font lion-» neur d'être aussi séparés des Protestans que nous le sommes. Il faut bien se garder d'en- trer en dispute avec eux. Les disputes, dit. notï'o Missionnaire , ne pourraient qu'être inutiles, et seraient mêi^e dangereuses. £ lle^ i .; •y ■iii s 1 18 Lettres édifiantes seraient inutiles , parce que ce peuple gros- sier et ignorant n*a besoin que d'instructions ; mais elles seraient dangereuses, parce qu'elles les mettraient en garde contre nos instruc- tions ; et ils iraient incontinent consulter leurs Docteurs , pour apprendre d'eux les réponses qu'ils auraient à nous faire. Leurs Docteurs , intéressés à les éloigner de nous , ne manqueraient pas alors de leur faire d^'af- freuses peintures des Missionnaires. Ils leur défendraient de nous recevoir chez eux , et les exciteraient h nous susciter des persécu- tions et des avanies. Le Missionnaire sage et prudent doit donc se contenter d'inspirer au peuple l'horreur du vice , l'amour de la vertu , le désir de remplir les devoirs de son état , et le disposer h croire ce que l'Eglise Catholique nous enseigne. Pour ce qui est des hérétiques que nous avons dit être formellement hérétiques , c'est- à-dire, de ceux qui savent bien que leurs opinions ont été condamnées par l'Eglise, et en particulier par le Concile de Chalcé- doîne , et qui» nonobstant la condamnation de leurs erreurs, y persisteront opiniâtre- ment , il faut leur mettre sous les yeux les saintes Ecritures, et les Livres des Pères Grecs qu'ils respectent ; leur faire voir avec douceur et charité les vérités qui y sont établies , et qui détruisent leurs dogmes hé- rétiques. Il faut leur faire remarquer les con- tradictions manifestes de leurs nouveaux Catéchismes et Rituels , avec les ancie^s qui servaient de règle à Iqors JPères, *. \: 9-' . gros- tions ; i*elles struc- sulter ax les Leurs nous, 3 d'af- Is leur IX, et irsécu- 'e sage aspirer p de la de son ,'Eglisé Le nous } , c*est- e leurs Eglise, ihalcé- nnation iniâtré- reux les Pères oir avec y sont mes hè- les con- ouveaux ieps ^ui CTCURIEUSLS. II9 Mais comme il n'arrive que trop souvent que des intérêts particuliers et des raisons de politique entrent dans le parti qu'ils ont Î>ris , il faut démêler les véritables motifs de eur conduite ; on trouvera très-souvent , particulièrement dans les Prêtres et dans les Evêques , que ceux-là , dans la crainte de perdre leurs ouailles , et les profits qu'ils en retirent , ou de déplaire à leurs Evêques , ne veulent point aliandonner le schisme ; et que les Evêques , pour être bien dans l'esprit de leur Patriarche , et pour en recevoir des grâces, font gloire d'être attachés à sa Com^ munion. Il faut convenir que la conversion de ces intéressés politiques est très-difficile ; mais elle n'est pas cependant impossible : car nous ne sommes pas sans la consolation de voir de temps en temps des Evêques et des Curés , qui vont de bonne foi abjurer le schisme et se réconcilier avec l'Eglise Ro-^ maine. Ainsi il faut , en priant beaucoup , attendre avec patience que le grain semé en terre y germe et vienne h maturité. Sur-tout il ne faut pas se fâcher contre voire adver- saire, l'accuser de schisme ou d'hérésie. Vous vous fermeriez pour ioujours la porte de son cœur; il faut guérir votre malade avec du baume et de l'huile , et ne pas aigrir sa plaie avec du vinarfgre. > A l'égard des Arméniens et Arméniennes^ qui se présentent pour revenir k nous , il est de conséquence de bien examiner les motifs de leur démarche pour n'y être pas trompé. {1 faut se faire bien instruire àfi quelle ma-» M I ;;>■• fSO Le ÏTRESLDI FIANTES nière ils ont vécu, étudier le caractère de leur esprit , pour connaître s'ils ne sont point légers et changeans; il faut voir comment ils écoutent nos premières instructions , et quels fruits^ ils en retirent ; il faut éprouver leur constance à demander l'absolution de leur schisme et de leurs erreurs , et ne la leur ac- corder que lorsqu'on pourra moralement s'as- surer qu'on donnera à l'Eglise Catholique un disciple fidèle et constant. Sans ces sages précautions , on s'exposerait à ne voir que des conversions précipitées , qui aboutiraient a des rechutes scandaleuses. Pour ce qui est des Arméniennes , comme la curiosité , l'inconstance et la dissimula- tion entrent assez souvent dans leurs réso- lutions^ elles ont besoin d'être éprouvées plus long-temps que les hommes ; il faut cependant dire à leur honneur , que lors- qu'elles reviennent à nous de bonne foi , et qu'elles ont été bien instruites par d'ancien- nes Catholiques qui nous les amènent, elles font voir plus de courage , de ferveur et de fermeté qu'on n'en voit dans les hommes. Enfin notre Missionnaire finit ses excel- lentes règles par un avis , qui est de conser- ver toujours avec les différentes Nations du Levant, un air de gravité , de modestie, et en même-temps de douceur et de charité , qui gagne leur estime et leur confiance. ■'■—"'7"»'^^ 1 ■ paraît I En LETTRE I repro( 1 partd ET CTTAIEITSES. las re de poÎQt ;nt ils quels p leur 3 leur ur ac- al s'as- olique s sages tir que iraient comme iimula- ?s réso- rouvées il faut le lors- foi, et ancien" it, elles ur et de mmes. 15 excel- conser- lions du eslie, et charité , ince. ETTRE LETTRE Pu p. *** > Missionnaire de la Compagnie de Jésus , au Père le Camus , de la même Compagnie, A Gonstantinople ; en Tannée 1759» Mon révérend père, La paix de N, S, Je ne saurais assez-tôt vous faire part de Tédifiant spectacle qu'un jeune Arménien Catholique , âgé de 2 a ans , vient de donner à toute la ville de Gonstantinople. Ce jeune homme, dans une partie de plaisir ^ s'était livré à rintempérance du vin ; ses compa- gnons de débauche profitèrent de Tétat d'ivresse où il était, pour l'engager à embras- ser la Loi Mahométane , et à prendre le tur- ban. Quand les fumées du vin furent dissipées, et qu'il revint à son bon sens , il en conçut le plus vif repentir, mais inutilement; car, quand on a une fois confessé Mahomet , et qu'on s'est couvert la tête du turban , il n'y a plus de retour. Le regret et la honte d'avoir été capable d'une démarche si criminelle ^ le tinrent caché près de deux mois sans oser paraître. - - Enfin , ne pouvant plus tenir contre les reproches de sa conscience , il vint me faire part de la vive douleur qu'il ressentait de son Tome IIL F vl 121 Lettres édifiantes crime, et chercher le remède qui pouyait le cailler. Je lui conseillai de se dépayser , et je m'offris même à lui en faciliter les moyens. Il me répondit que c'était un parti qu'il aurait pris depuis long-temps , si sa fuite eut du réparer suffisamment le scandale qu'il avait donné ; mais que tout Gonstanti- nople ayant été témoin de son apostasie , devait être pareillement témoin de sa péni- tence : que sa résolution était prise de quitter le turban et le vêtement à la turque ; que dès**lors il serait regardé comme un déser- leur du Mahométisme ; q^u'infailliblement on le ferait monrir ; et que par sa mort souf- ferte pour une pareille cause , il expierait son crime , et réparerait parfaitement le IBcandale qu'il avait eu le malheur de donner. Je crus devoiv examiner si cette résolution n'était pas l'effet d'un mouvement passager de ferveur , et si l'on pouvait compter sur sa fermeté. Je lui représentai donc que Dieu n'exigeait pas tant de lui , et qu'il se conten- terait de son repentir et de sa pénitence ; que ce serait peut-être le tenter que de s'ex- ' poser de )a sorte ; que la mort était beau- coup plus terrible de près que de loin ; qu'il pouvait souffrir une mort douce et paisible , mais qu'il manquerait peut-être de force et de courage dans de longs et cruels supplices. |1 m'écouta tranquillement^ et quand j'eus cessé de parler , il me pria d'écouter sa con- fession , de lui administrer ensuite la sainte Eucharistie , parce qu'il n'attendait que cette |r4ce |>our aller déclarer Siçs aejitimeps. f'-v IT CUHIEUSES. 1Z'\ Après l'avoir bien éprouvé , et m*étre assuré de sa constanee autant qu'il était possible , je louai sa résolution , et je lui dis tout ce que le Seigneur m'inspira pour le fortifier et l'en- courager h suivre une. inspiration , que je ne doutais plus qui ne vînt de Dieu. M'étant assis pour le confesser , il se jeta à mes pieds , et accusa ses péchés avec les plus grands sentimens de piété et de douleur. Depuis son apostasie il s'était corrigé de tous les défauts auxquels la jeunesse de ce pays est sujette. Sa confession étant achevée , je lui présentai mon crucifix , qu'il baisa en répan- dant un torrent de larmes. Je lui donnai en- suite quelques avis , non pas sur les réponses qu'il devait faire lorsqu'il serait interrogé juridiquement^ le Seigneur s'étant engagé de les lui inspirer ; mais sur la manière dont il devait répondre , c'est-à-dire , avec modes- tie , et sans laisser échapper aucune parole dont les Turcs pussent s'offenser. Quand il eut reçu la Communion et fini son action de grâce , il sortit de notre mai<- son , vêtu à l'Arménienne ; c'est ainsi qu'il avait toujours paru devant moi , quittant son habit Turc avant que d'entrer dans notre maison ^ et prenant un habit Arménien qu'un Catholique de ses amis lui fournissait. Cette précaution était nécessaire , car s'il eût été prouvé que nous eussions travaillé h la con- version d'un Turc , la Mission serait totale- ment perdue , et notre maison confisquée et changée en Mosquée. De notre maison il alla droit au Bczestan ^ pi m 1 ia4 Lettres édifiantes c'est une espèce de Halle fort belle , où se trouvent les Marchands : il y eut bientôt réglé ses affaires ; car les Arméniens Catholiques , charmés et édifiés de la résolution^ qu'il prenait , sans vouloir entrer dans aucune discussion , lui firent la remise de tout ce 2u'il leur devait ; lui de son côté remit à ses ébiteprs toutes leurs dettes. D'une autre part , les Marchands Turcs , les uns par ami- tié , les autres par la compassion qu'excitait sa jeunesse , ^rent to^s leurs ei^jrts pour le détourner de son dessein , ou du moins pour l'engager à se tenir caché. Il leur répondît à tous , d'up air modeste et d'un ton ferme , que le plus grand bonheur auquel il aspi- rait était dç mourir pour la Religion sainte qu'il avait eu le malheur d'abandonner. Quelques Soldats de la garde qui passaient par-là s ayant entendu ce discours , lui dé- chargèrent cinq ou si grands coups de bâton sur la tête , qui le mirent tout en sang y et te conduisirent h }a prison. Il entra dans la prison avec des transports de joie qui étonnèrent tous les prisonniers. Il se mît en prières jusqu'^ la nuit , et avant que de prendre un peu de sommeil , il de- manda en grâce à un Arménien qui était en prison pour dettes , de le réveiller à une cer taille heure , pour reprendre ses prières. Le lendemain plusieurs Turcs le visitèrent , et mirent en œuvre les promesses et les menaces pour le faire changer. Ils reçurent , tous la même réponse. L'Aga de la prison , ypvajal qu'il n'y avait nulle espérance de le W Et CURIEUSES. I'jS gagner , le fit mener au Divan du Grand- Visir. Ce Ministre , touché de sa jeunesse et do sa physionomie aimable , lui promit des charges et une grosse pension s*il voulait changer de sentiment. Le jeuàe homme le remercia de ses offres, et lui répondit que sa faveur , et les biens dont il voulait le com« bler, ne le garantiraient pas des supplice^ éternels , s*il mourait hors du sein de la Reli- gion Catholique. Le Ministre insistant plus que jamais , prit un ton de Maître , et lui dit que s'il n^obéissait promptement , il allait le condamner à la mort. C'est la seule grâce que je vous demande ^ repartit le jeune homme , et la plus grande que je pubse recevoir en ce monde. Alors le Visir fit signe qu'on lui tranchât la tête , et il fut conduit au lieu du supplice. Avant que de sortir du Sérail , le Grand-* Seigneur s'étant trouvé sur son passage , accompagné du Chef des Eunuques , celui- ci s'approcha du jeune Arménien , et lui fit de la part du Prince des promesses bien plus magnifiques que celles du Visir. Ces pro- messes n'eurent d'autre efiet que de faire mieux connaître le courage du jeune homme ^ et de lui procurer l'honneur de confesser Jésus-Christ, en présence du Sultan. Quoi- qu'il fût chargé de fers il tira son Chapelet de son sein , et le récita pendant tout le che- min , la joie qu'il goûtait intérieurement se répandant jusques sur son visage. Lorsqu'il fut arrivé h la giande porte du Sérail , qui F 3 '■ t Ë iti6 Lettres édifiantes était le lieu de son supplice , il se mit à ge- noux , fit le signe de la croix , et tenant les yeux élevés au Ciel , sans faire paraître la moindre émotion , il reçut un seul coup qui lui trancha la tête. Son corps demeura exposé dans la rue , selon Tusagc : tous les Catholiques allèrent lui rendre leurs devoirs , et au moyen de quelque argent ils recueillirent son sang dans des mouchoirs. Son visage , loin d'être défi- guré par la mort , parut si beau , que les Turcs même en témoignèrent Içur surprise. Il devait demeurer trois jours sur le pavé j selon la coutume qui s'observe h l'égard de ceux qui ont fini leur vie par le dernier sup- plice ;*mais les Marchands d'Angoura ses compatriotes , obtinrent à force d'argent la permission de l'enlever dès le lendemain. Ils le portèrent en triomphe au Cimetière , sui- vis .d'un peuple infini , qui voulait lui baiser les pieds , et faire toucher différentes choses à son corps. On conserva secrètement sa tête pour l'envoyer à Angoura. M. notre Arche- vêque a dressé un procès-verbal de celte mort pour l'envoyer à la Sacrée Congrégation , et pour cela il m'a interrogé juridiquement. C'est le troisième qui , depuis que je suis dans cette ville , a souffert pour le même sujet une mort si digne d'envie : et ce sont trois nouveaux Protecteurs que cette Mission a dans le Ciel. Je suis avec respect ^ etc. ET CVRIEVSCS* 12*; LETTRE A Monseigneur le Marquis de Torcy ^ Ministre et Secrétaire d'Etat , sur te nouvel établissemenc de la Mission des Pères Jésuites dans la Crimée^ MoNSEIGNEUE» On m'ordonne de la part de votre Gran* dcur , de lui envoyer un détail suivi dei commencemens et des progrès de la Mission que nous venons d'ouvrir dans la Grimée sous la puissante protection du Koi , que vous avez bien voulu nous ménager. C'est un tribut que nous payons avec joie , et que nous reconnaissons devoir autant à la gloire de votre ministère , qu'à la générosité et à , retendue de votre zèle. ^> Chargé par Sa Majesté de Tadministratioil dis affaires étrangères , votre Religion a cru devoir mettre dans ce rang Taffaire du salut d'une infinité de pauvres étrangers de pres- que toutes les nations Chrétiennes de l'Eu- rope , qui gémissent ici dans l'esclavage. En vous rendant par cette lettre un compte exact de tout le bien que vous nous avez mis en état de leur faire , souffrez , Monseigneur , que je reprenne les choses dès la première naissance de la Mission ; et pardonnez-moi > s'il vous plàit , le détail trop étendu dans lequel il ra'arrivera peut-être d'entrer ; c'est une première Lettre y dans laquelle il me F 4 '% H 1 u m Ml II Hjhi^bB '^' rai HnB^^H^ini '^ 11111 ■■ IhHI i ■ijBJJHHinu 1 IIP Mrail RNiP^ iHI ' lliil ^1 '^' l'Ill l^v' mm il mm ' t ''^ IliV ■il' il 128 Lettres édifiantes semble que j'ai mille choses à dire des gens et des mœurs dé ce nouveau pays ; dans les autres lettres qui suivront celle-ci , je tâche- rai d'être moins long. Au mois de Juillet de Tannée 1706 un Français , nommé le sieur Ferrand , premier Médecin du Kan des petits Tar tares , étant venu à Coustantinopîe pour quelques affai- res, nous raconta mille choses touchantes du pitoyable état où se trouvaient dans la Crimée une infinité de Chrétiens de tout âge et de tout sexe , faits esclaves dans les diver- ses courses des Tartares et destitués absolu- ment de tout secours spirituel. Il nous ajouta , que deux ans auparavant un Jésuite Polo- nais , à qui il avait obtenu la permission d'en- trer en Crimée , commençait déjà à y faire de grands biens auprès des esclaves de sa nation , mais qu'il n'y avait vécu que dix mois , une grande peste survenue vers la fin de 1704 Tayant emporté avec plus de vingt mille de ces pauvres gens. Nous savions déjù une partie de tout cela ; nous savions de plus , que les autres Chrétiens du pays étaient aussi à plaindre que les esclaves , et il y avait long-tpnips que nous regrettions de n'être que quatre Jésuites pour la vaste et labo- rieuse Mission de Constantinople. Noys en avions même conféré très-souvent avec notre Ambassadeur M. le Marquis de Feriol , que son zèle pour la Religion , et sa grande cha- rité pour les malheureux , rendaient très- sensible au délaissement de la Crimée. Tou- chés plus que jamais de ces dernières nou- ET CURIEUSES. I29 velles , nous proposâmes h M. de Feriol de détacher quelqu'un de notre petit nombre , et de l'envoyer au secours de ces Chrétiens abandonnés ; ce qu'il accepta de tout son cœur. Mon bonheur voulut que ce fût sur moi que tomba le choix , et jamais je n'ou- blierai les traits de sa générosité vraiment digne d'un Ambassadeur du Roi. Non-seu- lement il honora de sa protection la nou- velle Mission que j'allais commencer .^ mais il voulut encore se charger du soin de la soutenir à ses propres frais , et de la faire goûter à Sa Majesté. Vous savez , Monsei- gneur , les lettres pleines d'ardeur et de Christianisme qu'il vous en écrivit alors ; il en écrivit aussi de très-pressantes au Kan des Tartares son ancien ami , auxquelles il joignit de riches présens ; et m' ayant pourvu abondamment de tout ce qu'il crut néces- saire à mon voyage , il me mit en état de partir incessamment. Je m'embarquai le t 9 Août de la même année en la compagn: 3 du sieur Ferrand. C'était la belle saison , où la navigation de la mer Noire est aussi douce et aussi sûre qu'elle est rude et dangereuse dans les autres temps. Le grand danger qu'il y a à naviguer sur cette mer , vient de la quantité de ses bas-fonds , et de son peu d'étendue, ce qui rend les vagues si hautes , et en même-temps si courtes, que les meilleurs bAlimens résis- tent à peine h leurs coups redoublés , et qu'il n'y a point d'année qu'il ne s'en perde un grand nombre. Il y a huit ou dix ans que ' F 5 f ,'• ' Pî iSo Lettres édifiantes neuf galères du Grand-Seigneur y périrent toutes à la fois. Par le beau temps que nous avions , nous finies assez vite les deux cens lieues que l'on compte de Constantinople à la Crimée. Le trajet serait moins long , si l'on fesait canal en droiture \ mais il faut employer beaucoup de temps à chercher les bouches du Danube. !Dès que nous eûmes pris terre , nous ne son- gel\raes qu'a nous rendre promptemenl à Bagchsaray , qui est la capitale du pays , et la demeure ordinaire du Kan. liCs lettres et les beaux prescris de M. de Feriol nous firent avoir une audience fort prompte , qu'il accom- pagna de beaucoup de caresses. Le Kan , nommé Sultan Gazi Guiray , me parut un prince d'environ quarante ans , fort bien fait da sa personne , l'air noble , le regard per- çant , les traits du visage très-réguliers ; en cela bien différent des autres Tartares , qui ont presque tous le visage fort difforme. Sa personne et tout ce qui l'environnait , avaient plus l'air guerrier que magnifique. Ce qui me charma , fut la bonté avec laquelle il mo reçut. Il me fit quantité de questions sur le Roi et sur les guerres de France , auxquelles il me paraissait s'intéresser fort : il me parla aussi de M. l'Ambassadeur avec de grandes démonstrations d'estime et d'amitié. Je pris ce moment-là pour lui demander la per- mission d'assister les esclaves et les autres Chrétiens de ses Etats. Il me l'accorda sur- le-champ d'une manière aussi étendue , et aussi favorable que je pouvais la désirer. H •$. ET CURIEUSES. l3l Le Kan de la petite Tarlarie est maître d'un fort grand pays. Il prend la qualité de Padicha ou d'Empereur, et il est regardé comme l'héritier présomptif de l'Empire Turc, au défaut des enfans mâles des Osmans. Avec tous ses grands titres , il ne laisse pas d'être vassal du Grand-Seigneur, qui le met et le dépose à sa volonté ; observant cependant de ne jamais faire mourir le déposé , et de lui substituer toujours un des Princes de son sang. Ces Princes du sang de Tartarie, qu'on nomme Sultans , ne sont pas éloignés des affaires , ni enfermés comme ceux de Tur- quie ; on leur donne les grands emplois , et chacun a sa maison et son apanage. Le droit de leur naissance leur attache quantité de braves gens , qui se dévouent à leurs intérêts et à leur fortune ; ce qui cause souvent des mouveraens dans l'Etat , et en causerait de plus fréquens, si ces Sultans étaient riches ; mais ordinairement ils ne le sont guères. Le Kan lui-mênie l'est assez peu pour un Sou- verain. Quand les pensions de la Pologne et du Czar lui manquent^ ainsi qu'elles lui ont manqué depuis la paix de Carlowits , les rentes de ses terres, une partie des douanes, et quelques légers impôts font presque tout son revenu. Il ^f vrai qu'il n'a pas aussi de grandes dépenses à faire. Sa garde, de près de deux mille hommes , est entretenue par le Grand - Seigneur. Les plus nombreuses armées ne lui coûtent rien ni à lever , ni h faire subsister. Les Tartares sont tous soldats ; le rendez-vous n'est pas plutôt assiajné, qu'ils F 6 I - !'; 1 1,1 i Pn é' ■1 I m mi ï32 Lettres édifiantes Î' viennent au jour marqué avec leurs armes, eurs chevaux et toutes leurs provisions. L'espérance du butin , et la licence de piller, leur tient lieu de solde. Après les Sultans , il y a les Clierembeys , qui sont comme la haute Noblesse et les dé- positaires des Lois du pays. Leur emploi est de maintenir la liberté des peuples , autant contre les. vexations des Kans , que contre les invasions de la Porte, toujours attentive à réduire de plus en plus les Tartares, dont l'humeur remuante et belliqueuse lui donne de continuelles inquiétudes. Ce corps de Noblesse , distingué d'ailleurs par ses grands biens et par ses fréquentes alliances avec la Maison Royale , a son chef qu'on nomme Bey , ou Seigneur p^r excellence. Ce Bey a, comme le Ran , son Kalga et son Nouradin. Les Cherembeys entrent de droit dans toutes les délibérations de conséquence, et le Kan ne décide^aucune affaire d'Etat sans leur partici- pation. Après les Cherembeys viennent les Myrzas , qui sont comme nos Gentilshommes titrés, et qui ont aussi part aux Conseils. Outre cela , le Kan a son Divan , composé à-peu-près des mêmes Hauts - Officiers que celui du Grand-Seigneur, son Visir, son Mufti, son Kadiasker , avec la différence que ces Charges demeurent à ceux qui les ont , autant de temps que dure le règne du Kan de qui ils les tiennent , et qu'en Turquie elles sont plus changeantes. Pendant que ces Hauts-Officiers sont en place, ils sont les Juges immédiats de toutes les affaires civiles grai vill ET CURIEUSES. l33 et criminelles. Pour le Civil, la Justice est administrée en Tartarie , comme ailleurs , à force d'argent et d'amis. Pour le Criminel , comme par. exemple , pour les assassinats et les violences , il n'y a nulle grûce à espérer. Dès que le coupable est déclaré dûment con- vaincu , la coutume est de le livrer h sa partie adverse , qui tire de lui telle vengeance que bon lui semble. Cela va quelquefois à des excès d'une barbarie outrée , mais qu'on croit nécessaires pour imprimer le respect des Lois dans les âmes féroces des Tartares , qu'on a encore bien de la peine à contenir par tous ces spectacles de terreur. Les Tartares, soumis à l'obéissance du Kan , portent les dilTérens surnoms de Pré- cops , de Nogais , et de Circasses. On appelle Tartares Précops ceux qui habitent la grande Presqu'île de Crimée , qui est la Chersonèse Taurique des anciens. On lui donne 70 ou 80 lieues de longueur^ sur environ cinquante lieues de largeur. Sa figure ressemble assez à celle d'yn triangle , dont la base , du côté du Midi , présente une chaîne de hautes montagnes^ qui , sur un front presqu'égal , s'avancent dans le pays à une profondeur de huit ou dix lieues j les deux côtés sont de grandes plaines fort ouvertes, où les vents s'engouffrent , et soufflent avec fureur. Il n'y a dans toute la Crimée , que six ou sept villes qui en méritent le nom. CafTa, Bagch- saray , Karasou , Guzlo , Orkapi , et la nou- velle forteressp de Yegnikalé. - CafTa , autrefois Théodosie , l'emporte sur I ' 111 i34 Lettrïïs édifiantfs toutes les autres villes pour sa beauté , pour sa grandeur , et pour son commerce. Elle est demeurée entre les mains des Turcs depuis Van 147^ * que Mahomet II l'ôta aux Génois, qui l'avaient prise eux-mêmes sur les Grecs, pendant les divisions de leurs derniers £m- .pereurs. Bagchsaray , capitale du pays , et le séjour ordinaire du Kan , est située au milif*u des terres. C'est une ville de près de mille feux, mal Mtie et mal tenue. Karasou , qui est aussi dans les terres , h environ aS lieues de cette capitale, en tirant vers Cafta , est à-peu -près de la même gran- deur , et aussi mal tenue. Guzlo , ville maritime h l'Occident de l'Isthme, a une fort bonne rade. C'est l'abord des Râlimens de Constaatinople et du Danube. Orkapi ou la Porte-or , est une fort petite ville, à la gorge de l'Isthme, avec un fortin et un mauvais retranchement tiré d'une mer à l'autre. L'Isthme n'a guère plus d'un bon quart de lieue de largeur. Cette ville appar- tient aux Turcs. A quatre lieues de CafTa , on voit les restes de l'ancienne ville de Crîm, qui a donné son nom à tout le pays : ce n'est plus aujour- d'hui qu'un amas de ruines, parmi lesquelles il y a encore çà et là quelques maisons qu'on habite. ;* ' •' La forteresse Yegnikalé, sur le Bosphore Cimérien, a été nouvellement bâtie par les Turcs ; les fortifications n'en furent achevées «ju'en 1706^ Elle a été élevée jour arrêter ET CURIEUSES. l35 les incursions des Moscovites, qui, lorsqu'ils avaient Azak^ auraient ^>u venir par-là in- fester toute la mer Noire, jusqu'au voisinage de Constanlinople. Cette nouvelle Forteresse est une Place fort irrégulière , et de peu de défense du côté de la terre. Ce qu'elle a de meilleurestunegrandeplate-formequibatsur tout le passage du Bospiiore. Il y a dessus une longue rangée de canons de foAte d'ua très-gros calibre , et quelques - uns de 206 livres de halles. Ces boulets éuormes, dont les Turcs se servent dans leurs Forteresses maritimes , sont d'une pierre grise très-dure et très-pesante. On qualifie encore du nom de ville, Man- koup, Baluklava, Kers, qui ne sont, dans le vrai , que de très-médiocres Bourgs. Dans toute l'enceinte de la Crimée , il n'y a pas plus de douze cens tant bourgs que villages^ quoique nos Géographes lui en donnent libéralement quatre-vingt mille. La preuve en est toute claire : on ne compte en tout le pays que 24Kadiliks ou Bailliages , et le plus fort Bailliage ne comprend pas plus de cin- quante bourgs ou villages. Les terres, quoique bonnes et grasses, ne sont pas pourtant cultivées; celles dont oû a soin produisent d'excellent blé. Les jardins et les pâturages occupent beaucoup de ter- rain. Les eaux vives manquent dans les plaines. On y a suppléé par quantité de puits fort profonds, qui en fournissent abon- damment à des villages entiers. Le climat serait assez tempéré j si les vents étaient i I Il : 'm i36 Lettres édifiantes moins furieux ; mais en hiver le froid per- çant du vent du Nord n'est pas supportable. Le commerce des étrangers , la culture du pays , et les habitations de la Grimée sem- blent avoir un peu adouci les mœurs des Tartares Précops. C*est sur -tout dans les villes qu'ils commencent à devenir plus trai- tables. Ils ne sont pas même si mal faits de leurs personnes. Ils ont la taille médiocre et assez bien prise ; leur constitution est des plus robustes ; accoutumés de bonne heure à souffrir la faim et la soif , le froid et le chaud , ils se contentent de peu quand ils ont peu ; et quand la fantaisie leur prend , ils font , sans s'incommoder , les plus grands excès. Leur langue est un jargon de Turc mal arrangé et mal prononcé , tel que serait notre Français dans la bouche d'un Suisse : il ne faut que s'y faire un peu ; on n'a pas de peine à l'attraper. Leur Religion est le Mahométisme , tel que les Turcs le profes- sent : ils ont comme eux leurs Mosquées et leurs gens de Loi, à qui ils portent grand respect. Quoique la pluralité des femmes leur soit permise , il s'en trouve peu qui en aient plus d'une ; ils aiment mieux entretenir de bons chevaux pour la guerre. La même Loi leur interdit l'usage du vin ; ils ne font pourtant pas scrupule d'en boire quand ils en trouvent. Ils disent qu'il est parfaitement bien défendu au\ hommes d'une profession tranquille , tels que sont les gens de Loi , et les Marchands ; mais qu'il donne du cœur aux soldats 9 tels qu'ils sont tous. Quand ils !i'i V BT CURIEUSES. 187 n'en ont pas, ils lui substituent une autre boisson très -forte et très -enivrante, qu'ils font avec le lait aigre et le millet fermenté , qu'ils appellent j^oza. Leur nourriture ordi- naire est la viande , le lait , et une pâte qu'ils font avec de la farine de millet détrempée dans de l'eau. Ils ne mangent ni légumes ni herbages ; ils disent que c'est la nourriture des bétes. La chair de cheval est pour eux un mets exquis ; iis la préfèrent au bœuf et au mouton viandes , selon eux , trop fades. Leur manière de l'apprêter est de lui donner une légère cuisson sur les charbons , ou s'ils sont en voyage , de la laisser bien faisander sous la selle. Quand ils ont avec cela du lait de cavale , leur repas leur semble délicieux. Les Précops ont deux grands défauts ; ils sont hardis menteurs, et extrêmement inté- ressés. De Tartare à Tartare , le vol n'est ni permis ni puni ; le voleur en est quitte pour la honte , et pour rendre ce qu'il a pris , à moins que son action n'intéresse le Public ou quelque personne d'autorité : car alors les bastonnades ne lui sont pas épargnées ; mais on n'en vient jamais jusqu'à le faire mourir. Le contingent des Tartares Précops en temps de guerre est de vingt ou trente mille hommes^ ' Les Tartares Nogais sont errans par les dé- serts à la manière des anciens Scythes, dontils ont retenu l'humeur farouche et toute la rudesse. Leur pays commence depuis la sortie de l'Isthme de Crimée, et s'étend sur des espaces immenses en Europe et en Asie , , depuis le Budziak jusqu'au fleuve Kouban , \%m : fi 11 •j ■:!î 1^8 Lettres édifiantes qui les sépare d'avec les Tartares Gircasses. Les Nogais sont naturellement barbares , cruels , vindicatifs , méchans voisins et plus méchans hôtes. On lit tout cela dans l'air de leur visage , qui est affreux et difforme. Ils naissent les yeux fermés , et sont plusieurs jours sans voir. Leur langue n'est pas si mêlée dé Turc que celle des Précops. Ils n'ont parmi eux ni villes ni bourgs , ni habitations fixes. Leurs maisons sont des chariots cou- ; verts , sur lesquels ils transportent incessam- ment ^ d'un lieu u l'autre , leurs familles et leurs bagages. Quand ils veulent faire halle quelque part , ou pour la commodité de quelque rivière , ou pour l'abondance des pâturages , ils dressent leurs tentes , qui sont des espèces de grandes huttes couvertes de feutre, autour desquelles ils font des parcs de pieux pour la sûreté de leurs familles et dé leurs troupeaux. Ils ont un chef , à qui ils donnent le nom de 6ey , et qui a sous lui plusieurs Mirzas. Ceux du Budzîaksont gou- vernés par un Seigneur de confiance, que le Kan a soin de leur envoyer , et qui est quel- quefois un Sultan. Ils sont tous Mahomé- taus. Leur nourriture est le lait , la chair et le Boza j dont ils font des débauches outrées. Quand il leur meurt un cheval , ou qu'il s'estropie, c'est pour eux un grand festin, où ils invitent leurs amis, et où ils boivent à crever. C'est des Nogais que le Kan tire ses troupes les plus nombreuses. Ils peuvent fournir dans un besoin jusqu'à cent mille libmmes. Chaque homme a ordinairement ET CUniE USES. i!^9 quatre chevaux , celui qu'il monte, un autre pour changer et qui porte ses provisions , et les deux autres pour charger les Esclaves et le butin. Alors^ malheur aux provinces sur les- quelles ils tombent. Leurs marches ressem- blent aux incendies et aux ouragans ; par-tout où ils passent, ils n'y laissent que la terre nue. Les Tartares Circasses, voisins desNogais, sont plutôt tributaires que sujets du Kan. Leur tribut consiste en mielj en fourrures, et en certain nombre de jeunes garçons et de jeu- nes filles. Ccspeuples ontle sang parfaitement beau.Ilsontleurlangueparticulièrequ'ilspar- lenl avec beau coup de douceur. Leurs mœurs, quoique toujours farouches et sauvages , ne le sont pas tant, h beaucoup près, que celles des Nogais. Il y a parmi eux des vestiges de Christianisme, et ils font caresse aux Chré- tiens qui vont chirz eux. Leur Pays, que les Tartares Précops nomment Vuddda, est bon et fertile ; l'air y est très-pur , et les eaux y sont fort bonnes. Ses limites sont : au Nord, le fleuve Kouban et les Nogais ; au Midi , la mer Noire ; h l'Orient, la Mingrelie; à l'Oc- cident, le Bosphore Ciméri'en , et partie du Limen, ou mer de Zabaches. L'Adda est presque moitié plaines et moitié montagnes. Les Circasses des montagnes font leur de- meure dans les bois, et ne sont pas si socia- bles que les autres ; ceux des plaines ont des villages et quelques petites villes sur la met- Noire , où il y a du commerce. Les Bcys ou Seigneurs qui les gouvernent , trafiquent de leurs vassaux j et les pères et mères, de leurs ■' '}■. 1 Si i4o Lettres édifiantes enfans. Les Gircasses passent pour être plus adroits h manier les armes à la chasse , que vaillans à s*en servir dans le combat ; néan<> moins en i noS , ceux des montagnes eurent le courage de refuser au Kan le tribut annuel qu'ils avaient coutume de lui payer. Le Kan marcha contre eux avec une armée de Nogais^ qui fut défaite , s'étant engagée imprudem- ment dans des défilés coupés de ravines et de bois, où la cavalerie ne pouvait agir. Depuis celia ils ont pris des liaisons avec les Moscovites , sans pourtant vouloir se sou- mettre à eux. Outre les Précops , les Nogaîs et les Gir- casses , il y a encore quelques Tartares Ral- mouks , qui se disent soumis au Kan. Toute leur soumission consiste en un tribut annuel de fov.rrures de prix , qu'ils lui apportent à Orkapi , ejii certain temps de l'année. A la suite de cette lettre on trouvera de tous ces pays des connaissances plus circons- tanciées dans la relation d'un voyage de Gir- cassie , où le sieur Ferrand suivit Sultan Kalga Guyray , frère du Kan , régnant l'an 17 02. Revenons à ma Mission. Je n'eus pas plutôt obtenu du Kan la per- mission dont j'ai parlé , que je commençai à prendre des mesures pour m'en servir. On ne peut se figurer un plus déplorable état que celui où je trouvai celte chrétienté dé- solée. Les maladies contagieuses des années précédentes avaient fait périr plus de qua-^ rante mille esclaves. Geux qui restaient , et qui pouvaient encore aller k quinze ou vingt ET CURIEUSES. 1^1 mille, attendaient tous les jours la même destinée , sans aucun sentiment des biens ou des maux de Vautre vie. La rigueur et l'an- cienneté de leur esclavage , les vices énormes et l'infidélité du pays barbare où la plupart avaient vieilli sans Prêtres , sans parole de Dieu , sans sacremens ; tout cela les avait comme abrutis. Quelques-uns s'étaient faits Mahométans , et beaucoup penchaient de ce côté-là : plusieurs étaient devenus schismati- ques j ceux qui avaient conservé leur reli- gion , Pavaient commQ oubliée , et n'en pra* tiquaient plus les devoirs. Les autres Chrétiens du pays , Grecs et Arméniens , quoique libres , et ayant leurs Prêtres et leurs Églises , n'en étaient ni mieux secourus , ni plus gens de bien. Les Prêtres et le peuple , aussi dépravés et aiioài perdus les uns que les autres , vivaient dans une profonde et crasse ignorance ; l'esprit d'avarice , les superstitions , le libertinage des mœurs dominaient par-tout. Au milieu de cette confusion étrange , je fus plus de six mois à voir aucun jour qui me consolât. Je travaillais beaucoup , et j'avançais peu. De quelque côté que je me tournasse , je ne trouvais par-tout qu'indif- férence et que froideur pour les choses du salut. J'ai toujours regardé comme un effet de l'inspiration du Ciel , la facilité que je trouvai dans les Arméniens à me laisser pren- dre un logement parmi eux , et à m'accorder pour mes fonctions une petite portion de leur pauvre Eglise à demi ruinée. CVst lii ''(► ,i-'i ? f I M", ( •■I'! i^z Lettres édifiantes qu'après bien des peines je commençai à rasr sembler quelques esclaves errans que je me mis à instruire des vérités du salut. La nou- veauté d'entendre publiquement parler de Dieu , et prêcher la pénitence dans TEglise Arménienne de Bagchsaray , fit que ces pre- miers furent suivis de quelques autres , et ceux-ci d'un plus grand noiïibre. Plusieurs qui étaient toujours pressés de se rendre aux ordres de leurs maîtres , et que je ne pouvais arrêter que quelques momens , trouvèrent tout-à-coup du loisir; insensiblement les re- mords de la conscience 5e réveillèrent ; on chercha à les appaiser par de bonnes Confes- sions ; les plus courtes étaient depuis le siège de Vienne (i). De la ville , le bruit se répandit parmi les esclaves des habitations delà campagne , qu'il y avait à Bagchsaray un Père Franc , venu de Constantiuople pour être le Chapelain des Catholiques ; qu'il prêchait , qu'il disait la Messe , et donnait les sacremens dans l'Eglise des Arméniens ; que c'était l'Ambassadeur de France qui l'envoyait , et que le Kan lui- même lui en avait expédié la permission. De ces esclaves des campagnes , les uns avaient des maîtres durs et avares , qui les tenaient occupés à un travail sans relAche ; les autres étaient une espèce d'affranchis , qui , n'ayant point de maître certain , se fe- raient , pour vivre , les esclaves de tout le monde ; la troisième sorte était une multi- (<^£ai6Ô3. ET CURIEUSES. l43 tude de vieillards accablés d'années , ou estro- piés , dont personne ne voulait plus , parce qu'on n'en pouvait plus tirer de service. Ces pauvres gens , rejelés de tous , étaient inces- samment à chercher leur vie par les villages , et autour des maisons où ils avaient autrefois servi , et d'où ils ne pouvaient guères s'éloi- gner sans s'exposer à mourir de faim. Rien de tout cela ne pouvait favoriser le dcsseia où j'étais de rassembler et de ramener à Dieu tous ces malheureux ainsi dispersés ; mais l'opposition la plus forte fut celle que je trou- vai dans les funestes engagemens que plusieurs avaient pris dans l'esclavage , et dont ils ne savaient comment sortir. C'était beaucoup de mariages illicites entre personnes déjà mariées dans leur pays , leurs maîtres infidèles les ayant , disaient-ils , forcés , par mille mau- vais traitemens à contracter ces mariages dé- fendus , dans la vue de se les attacher davan* tage, et encore pour augmenter leurs famil- les de nouveaux esclaves , dont ils trafiquaient ensuite, ou qu'ils obligeaient, encore jeu- nes , à se faire Mahométans , particulière» ment les petites filles. Tout cela fit que dans les commencemens il ne me vint pas grand monde de ces habitations champêtres. Les premiers qui firent quelque nombre , furent les Allemands , que je trouvai assez dociles , et à qui je recommandais toujours , en les ren- voyant , de m'amener le plus qu'ils pouri- raient des autres esclaves de leur connais- sance. Ils le firent avec zèle et avec succès. De là à quelques mois je me vis entouré de ] i k1| l'I t44 Lettrz«« édifiantes gens de sept ou huit nations différentes , d'Allemands y de Polonais , de Hongraîs , de Transilvains , de Croates , de Serviens , de Russes. Jusque-là , j'avais toujours fait les exhortations en Allemand , qui était la lan- gue courante des premiers, venus. Je voulus continuer ; mais je m'aperçus que tous ne m'entendaient pas : je remarquai même entre eux à ce sujet quelques naissances de jalousie '■ de nation. Je leur proposai de changer de méthode > et de les prêcher désormais en petit Tartare , qui étant la langue de leurs maî- tres , devait être entendue de tous. Cet expé- dient leur plut , et à moi encore plus qu'à eux j à cause des Grecs et des Arméniens à qui cette langue est familière en Crimée , et que par-là j'espérai d'attirer aux Instructions. En effet , depuis ce jour-là je vis les Arméniens Tenir en foule , et se mêler sans distinction parmi les esclaves. Alors , sans paraître avoir intention de parler à eux , je commençai à leur dire avec liberté tout ce que je voulus , et tout ce qu'il était nécessaire qu'ils enten- dissent ; ainsi , à la faveur de cette manière de prêcher indirecte et enveloppée , la Mis- sion devint commune aux uns et aux autres i Dieu en a tiré sa gloire. Il n'y eut que les Polonais qui me donnè- rent plus de peine. Peu d'entre eux avaient pu apprendre l'idiome Tartare , qui est , comme j'ai dit, un jargon de Turc corrompu. Je ne crus pas perdre mon temps que de me mettre avec quelque soin à apprendre de leur langue ne q^u'il m'en fallait pour les entendre et être ET CITRIEUSES. '- 145 être entendu d'eux. Dieu donna visiLTement sa bénédiction aux petits efibrts que je fis pour cela , et je m*en trouvai trop bien payé par Tesprit de pénitence qu'il lui plut de répandre sur cette nation , comme sur tou- tes les autresi II n'est pas croyable les vives agitations et les troubles salutaires qui se mirent tout -à-coup daps les consciences les plus endurcies. Je voyais des inconnus venir de fort loin , et m'avouer , en gens frappés - que depuis la nouvelle de mon arrivée , et sur les récits de leurs camarades, ils avaient l'esprit tourmenté de mille représentations terribles , qui ne leur laissaient plus aucim repos. D'autres venaient , sans presque savoir eux-mêmes ce qui les amenait , étant , disaient- ils , connue e lîr inés malgré eux par une main invisible, i quelle ils ne pouvaient résister. Quelques-uns moins sincères cher- chaient à composer avec moi j tombant d'ac- cord qu'ils étaient en mauvais état , mais qu'ils attendaient dans peu leur liberté , et que je pouvais compter que dès qu'ils l'au- raient , rien ne les empêcherait plus de chan- ger de vie j qu'au reste ils n'en voulaient pas faire à deux fois ; ne pouvant , ajoutaient- ils , demeurer esclaves et être fidèles à Dieu. Quelques autres déjà sur le bord du dernier précipice , et prêts à franchir le terrible pas de l'apostasie , se mêlaient de vouloir dis- puter, pour trouver, comine ils me l'ont avoué depuis, l'éclaircissement à quelques restes de doutes qui les tourmentaient , et qui étaient commodes liens par où la miséii- Torne UL Ci J m M lli-/ i- / ïffi' Lettres édifiantes corde de Dieu les tenait encore. J'eus la con- solation de voir les Consciences se calmer, et les tentations d'incrédulité s'évanouir peu- à-peu dans ceux que je pus réduire à une vie cliréticnnc et réglée. Tous n'en vinrent pas là d'abord ; il y en a eu qui se sont défendus long- temps , et j'en sais qui résistent encore à Dieu avec obstination. Je les suis toujours de l'œil et de la voix, et je ne cesserai de les suivre que quand Dieu lui-même ne les suivra plus. ' - J'ai eu moins de peine à remettre dans lé bon chemin cette troupe de vieillards impotens et hors de service, dont j'ai parlé. L'extrême misère et la caducité les rend plus dociles ; mais ce n'est pas une petite peine que de leur rappeler ce qu'ils doivent savoir pour approcher des sacremens. Dès qu'ils me surent à Bagchsaray , ils vinrent m'assiéger cTe toutes parts , demi-morts de faim , et pres- que tout nuds. Je les reçus comme de pauvres abandonnés , que le monde rebutait , mais que la miséricorde de Dieu n'abandonnait pas , et qu'elle m'envoyait pour les sanctifier sur la fip de leurs jours. Avec les secours que je tâche de leur procurer le long de la se- maine , chaque Dimanche je leur distribue à l'Eglise une légère aumône , qui sera plus fort* quand les charités de notre pieuse France m'en auront fourni les moyens. J'ai été obligé d'en user ainsi pour les rendre plus assidus au service divin et aux instructions , dont ils ont entièrement perdu l'habitude. Toutes leurs idées de Religion sont si eifacées , qu'il ET CVRIEUSES. 147 fi fallu leur apprendre à faire le signe de la Croix , et les remettre avec les petits enfans aux premières demandes du Catéchisme. Quelques personnes zélées , dont je bénirai à jamais la charité , me fournirent , il y a trois ans ^ de quoi racheter des mains des Tar- tares quatre petits garçons qui allaient être pervertis. Deux ont été dépaysés , et j'ai gardé ici les deux qui ont le plus d'esprit , que je forme au service de l'Eglise , et à l'office de Catéchiste , où ils réussissent à merveille. Quand j'étais fort occupé , je leur donnais ces vieux esclaves à instruire. Il y avait de quoi être touché jusqu'aux larmes , de voir ces bonnes gens de quatre-vingts ans et plus, apprendre de deux enfans de douze ou treize ans à dire leur Pater , et à répéter les Com- mandemens de Dieu. >* ;. Vers ce temps-là la Mission eut des contre- temps , dont quelques-uns l'auraient décon- certée , et les autres l'auraient entièrement fait tomber , si Dieu ne l'avait soutenue. Le premier vint de la trop grande bonté du Sultan Gazikan. Ce Prince me fesait quel- quefois appeler pour l'entretenir sur divers sujets qui étaient de son génie , et souvent il me fesait écrire beaucoup de choses secret- tes , qui marquaient bien de la confiaiicj. Un jour qu'il avait six beaux chevaux à envoyer à M. de Feriol , il proposa au sieur Ferrand de l'envoyer lui-même au Roi avec des Lettres de créance , et de me joindre à lui pour expliquer sesintentionsà Sa Majesté. Je frémis en apprenant celle nouvelle , qui^dé- < /i il < il ^ m n I ï\ M >ï 1!" \ t i4^ .Lettres îêdiviantes routait absolument tous les projets de zèle que je me fesais , et rendait Inutiles toutes mes peines. Après bien des délibérations et bien des prières , je me hasardai à prendre un parti qui me réussit. Ce fut de représenter au Prince avec le plus de respect qu'il me fut possible , que sans qu'il se prîv&t de son Médecin , qui lui était sinécessaire , et si atta- cbé à sa personne , il y avait une autre voie pour écrire au Roi , également sûre et beau- coup plus noble que celle de deux particu- liers comme nous : que cette voie était son Ambassadeur ; que c'était par lui que le Roi notre maître parlait au Grand-Seigneur , et que le Grand-Seigneur parlait au Roi , quand ils avaient quelque chose à se dire. Cette ré- ponse eut heureusement tout l'effet que je m'en étais promis \ le Kan la goûta , et il prit effectivement ce parti-là ^ ainsi je n'en eus que la peur. De là à quelques mois j ^eus à essuyer un autre coup plus accablant ^ et auquel je ne pense encore qu^avec une vive douleur. Ce fut la déposition subite , et ensuite la mort dé ce généreux Prince. Sa disgrâce vint d'avoir proposé avec trop de vivacité le renouvelle- >nent delà guerre de Moscovie , que le Grand- yîsir d'alors , Àli Pacha , si connu par ses violences, avait intérêt de ne pas vouloir. Sul- tan Dewlet Guiray son frère fut installé à sa place. Toute la cérémonie qu'on y fit , fut que le Grand-Seigneu nvoya au successeur un de ses premiers O^ ». 'ers avec le sabre et le bonnet de Martre Ziibelinç , orné d'une flUAclie de pierreries , le tout accompagne d'un hatticbérif ou ordre de sa Hautesse , par lequel Sultan Dewlet Guiray était établi Kan des Tartares à la place de Sultan Gazi Guirây. Cet ordre du Grand^Seigneur ayant été lu aux Ghérembeys assemblés en Divan y le Prince déposé se démit de sa souveraineté , et Tautre en fut revêtu avec autant de tran-* quillité que si c'avait été une cbose concer-* tée entre les deux frères. Le Grand-Seigneur , comme je Tai dit^ ne fait jamais mourir les Kans qu'il dépose ; il les envoie seulement en exil nors de la Tar- tarie. L'île de Rbodes est ordinairement le lieu où on les transfère , et où ils sont traites avec tous les égards dus à la dignité de leurs personnes. Il arrive même très-souvent qu'on les rappelle , et qu'on les remet sur le Trôné. Sultan Gazi Guiray fut relégué à Guinguenay Saray , un de ses Palais de campagne , k vingt-cinq lieues de Constantinople , d'où j'ai su qu'il continuait ses liaisons avec M. de Feriol. Il songeait même à l'aller voir mco- gnito en partie de cbasse ^ lorstpi'il fut sou- dainement frappé de peste avec toute sa mai- son. De cent trente officiers ou domestiques qui. la composaient , il en mourut d'abord quatre-vingts. Le Prince , sa femme et sa sœur furent emportés en un seul jour. La Sultane Validé, femme de Selîm Guiray , et seulement sa mère adoplîve , âgée d'envi- ron cinquante ans , Gircassienne de nation , et femme d'un esprit fort élevé , se donna un coup de poignard dans sa douleur ; beureu* G 3 •S I f it ! l56 Lettres ÉDIFIANTES sèment îl ne se trouva pas mortel. Sultaii Gazi avait les sentimens n.bles, et dignes d*uij Prince. Tous les Tartares eurent des regrets infinis de sa perte : ils desiraient avec passion de l'avoir de nouveau pour Kan. Le changement de Souverain me rendit pendant quelques semaines plus circonspect et plus réservé pour mes fonctions , sans ce- pendant les interrompre. Le nouveau Kan ne me connaissait pas , et je n'avais de lui aucune permission. Je courus vite à mon asile ordinaire , M. de Feriol ; mais sa vigi- lance avait déjà tout prévu et tout applani. Jjorsque je m'y attendais le moins , et que pour ne donner aucune prise , je continuais a faire l'œuvre de Dieu à petit bruit , le Kan m'envoya dire que je ne craignisse rien , et que si quelqu'un me fesait delà peine , j'eusse à en po' ter mes plaintes à son Visir , qui avait ordre de me faire faire raison. Cette déclaration me releva fort le courage , et la Mission n'en devint par-tout que plus florissante. Les Catholiques et les Chrétiens du pays s'y affectionnèrent avec plus de coeur que jamais ; convaincus , disaient-ils , que t)leu. s'intéressait visiblement à la maintenir malgré les révolutions du pays. Unédes preu- ves pour moi des plus convaincantes de la protection divine sur elle , fut qu'elle ne souf- frit rien du rappel de M. de Feriol son Fon- dateur et son Père , dont il semblait que Véloignement dtit la faire tomber. Ce digne Ambassadeur , après douze ans d'un minis- tère également glorieux et utile à l'Etat et à ISI î a mon liT CURIEUSES. la Religion , fut remplacé par M. le Comt^e des Alleurs dans qui je trouvai le même appijli et le même zèle. Il ne m'en fallait pas moins pour me soutenir et me consoler dans la perte que je venais de faire. Au temps de Sultan Gazi ^ il y avait d(^s mesures prises entre le Prince et M. de Feriql pour l'érection d'une Chapelle Française , çt le Kan y avait donné son consentement ; maïs sa déposition avait taut. suspendu, M. des Alleurs a repris ce projet avec le K.an d'au- jourd'hui, et il le conduit fort heureusement. Il nous a déjà obtenu du Prince la permi$- sin d'agrandir notre maison , d'y faire prier ^ Chrétiens , et de leur y lire l'Evangile,: ce qui , en style du pays , veut dire , avoir chez soi une Eglise. Dans l'attente du dernier accomplissement d'une œuvre si nécessaire au solide établis- sement de la Religion , je me mis à donner quelque forme à ma Mission , où de jour ea jour je voyais croître la ferveur et le travail. Pour n'en être pas accablé, seul comme j'étais, je fus obligé de régler les temps de l'Office divin , des Instructions et des Confessions générales , qui devenaient à tout moment très- nombreuses , et d'une discussion fort longue. J'établis donc que les jours ouvrables seraient pour ces grandes Confessions , et pour les Instructions des nouveaux venus ; et que ces jours -là il n'y aurait point d'assemblées réglées ; CURICUSCJ. fSS visage. Bien plus; il m*a donné de lui-même un écrit signé de sa main , avec permission expresse de faire mes fonctions de Religion dans toutes les Eglises de sa dépendance, avec autant de liberté que si elles m'appar- tenaient en propre , et défense à quiconque des siens de me troubler dans cette posses- sion , sous quelque prétexte que ce soit. A l'égard de ceux qui se font Catholiques^ leurs surveillans ont tant de gens aux aguets, qu'il n'y a pas moyen de leur cacher long- temps leur conversion. Alors les reproches et les menaces durent les jours entiers ; mais cela passe , et tout en demeure aux simples paroles. Les hérétiques Arméniens, quelques démonstrations de chagrin qu'ils donnent , ont toujours dans l'ame un grand fond de respect pour la Religion Catholique. On ne les entend presque jamais l'attaquer, comme font quelquefois les autres Schishaa- tiques de l'Orient. Au contraire , ils disent qu'elle est bonne et sainte , mais que la leur ne l'est pas moins^ et qu'il faut que chacun demeure comme il est. Je suis néanmoins persuadé qu'avec le respect de la Beligioa Catholique, il entre aussi un peu d'intérêt dans cette modération. Ils voient le sieur Ferrand toujours en crédit auprès des Kans et de la Noblesse ; ils se souviennent que c'est lui qui m'a amené dans.la Crimée, sous la protection d'un de nos Ambassade ars j et ils ne peuvent ignorer que M. l'Ambas- sadeur d'aujourd'hui , dont eux et leurs Confrères de Constautinople peuvent avoir " " G 6 \\i m m \m i \)15 wm t^-\ ! -.il mV i56 tçTTHES lÊDIFlAlTTES besoifl à tout moment , est mon zélé profiee* leur. Quand ils auraient quelque mauvaise volonté , il est certain que toutes ces consi- dérations les retiendraient et les empêche- raient de se porter à rien de violent. J* espère ^e la bonté de Dieu , et de la docilité- d« cette bonne Nation , qui ne demande qu'à être éclairée , qu'avant qu'il soit peu , ils ne seront plus conduits par d'autres intérêts que par celui de leur salut étemel. Au reste, Fattention- que j'ai à cultiver Bagchsarày^ et ses environs , cotnme la tête et le siège principal de la Mission , ne m'em» péche pas d'aHer par intervalle au secours des autres endroits. Le temps ordinaire de mes excursions est, à diverses reprises, depuis Pâques jusqu'en Automne. Dans ces r^xpédi*- tîons ambulantes, j'ai pour maxime de n'aller jamais me montrer aux haH talions où sont les Esclaves; ilyaurai'ttropd'inconvénîens, et leurs Maîtres ne manqueraient pas d'en prendre ombrage. Ma manière est de me rendre h quelque ville voisine , et de les faire appeler^de là. Les villes les phis commodes à ce dessein sont Karasou , Guzlo et Orknpi, toutes à vingt-cinq ou trente lieues l'une de l'autre , et à une distance presque égale de Bagchsaray, qui en fait comme le centre; ce qui ne laisse pas «^embrasser un. grand pays. Dès que j'arrive à quelqu'une de ces villes, je fais incontinent savoir aux environs, et mon arrivée, et le temps que j'y dois être. Les assemblées se font tantôt plus nombreuses €t tantôt moins , selon la boane ou mauvaise «T CVKICUSES. tS*] humeur àe$ Maîtres Tartares. La mélkodQ qu6 j'obsenre daiis tous ces endroits , est la même qu'à Bagchsaray , sur-tout pour les prédications , où la foule est toujours grande de la pai l des Arméniens. Si , au lieu d'a- dresser la parole aux Enclaves en patois Tartare , je voulais ne prêcher que pour eux en pur Turc, les Eglises ne seraient pas assez grandes ; mais il n'est pas encore temps d'y aller si à découvert. Je me trouve mieux du voile sous lequel ye continue à me tenir caché ; les fruits n'en sont guère moindi'es y et je ne fais crier personne. Comme 1er Arméniens réfléchissent lieau'- coup , et qu'ils ne prennent guère leur parti qu'après y avoir long-temps pensé , je ne recueille ordinairement à un voyage qu'après avoir semé à l'autre. J'ai dans Karasou et dans Guzlo un bon nombre d'orthodoxes fervens , qui , à chaque tournée , m'amènent toujours quelque nouveau prosélyte , qu'ails ont gagné pendant mon absence. Karasou est pour cela ma ville choisie. La grande feiTeur s'y est mise à l'occasion d'un Luthé^ rien de Dantzik, dont je reçus, il y a cinq ou six an£^ , l'abjuration en pleine Eglise-, et avec toutes les cérémonies ordonnées en pareil cas. On n'avait encore jamais rien vu de semblable k Karasou. Tons les Chrétiens de la ville y accoururent. Plusieurs en pleu- raient de joie, et c'était à qui féliciterait le nouveau Converti de la grûcc que Dieu venait de lui faire. Je ne cru» pas devoir laiisser Tefroidir G«s bons mouveinens. C'était li^ uil •x58 Lettres édifuktes ■veille de mon départ. Je leur fis, en forme d'adieu , une exhortation qui les toucha , et dont l'impression a duré long-temps. La conversion de ce Luthérien a comme frayé chemin à plus de douze autres de diffé- rentes nations , dans le seul département de ^arasou. A Guzlo , où ma dernière tournée fut Tan passé , pendant les dix jours de l'Ascension à .la Pentecôte, j'ai été consolé et édifié au-delà 4e mes espérances. Le nombre des Catho- liques a été augmenté de cinq dames Armé- niennes d'une grande vertu , de deux aco- lytes des premières familles , et de deux vieillards respectés dans la nation ^ et honorés du nom de Haggi. Ce nom, qui signifie pèlerin sacré , se donne en Orient aux Chrétiens qui ont fait le pèlerinage de Jéru- salem. Les Mahométans le donnent aussi entr'eux à ceux qui ont été à la Mecque. Trois autres Catholiques de moindre consi- dération me furent déférés , comme ayant molli , par respect humain , dans quelques occasions où. il s'agissait de se déclarer pour ce qu'ils étaient. Ils vinrent à repentancc avec beaucoup de confusion ; et en répara- tion de leur faute, ils firent plus que je ne demandais. Pendîint ces dix jours, je fus si occupé , qiT^ je ne pus vaquer à l'eptière instruction de six pauvres Esclaves impolens, cinq Polonais et un Vénitien , que leurs Maîtres avaient chassés. Ils couchaient dans les rues , et ils ne pouvaient plus marcher, £n m'en allant j'e lesfisvoUurerk Bagchsaray, î consi- ' ET CURIEUSES. "^ ÎS^ pour être soulagés et instruits avec les au- tres. Sur la fin de Tautomne dernière , J'ai re- tourné à Karasou. Je voulais y aller un peu plutôt, mais mon voyage fut retardé par les grands mécontentemens que le Sultan de cette ville prit tout-à-coup contre les Chrétiens. -Dès que je sus le différend terminé , je m'y rendis en diligence , mais non assez à temps> pour donner les derniers Sacremens à un Polonais et à une Servienne, nouveaux Catho- liques , qui moururent en le demandant avec de grandes instances. Le vif regret que j'en eus fut un peu adouci par la mort précieuse d'un autre Polonais y qui semblait n'attendre que moi pour aller à Dieu , et par la pro- ' fession de foi d'un Esclave Russe , et d'un Marchand Grec des plus accrédités de la ville. Je fis encore rentrer en lui-même un affranchi Allemand , qui , par une complai- sance mal-entendue pour un Prêtre Arménien, son Maître , qui Tavait mis en liberté , avait embrassé sa Religion. Il reconnut publique- ment sa faute ; et pour gage de sa persé- vérance, il me donna son fils , né d'une femme Arménienne , pour l'élever dans la Religion catholique. C'est pendant cette dernière course de Knrasou , que j'appris l'arrivée du Père Cur- ' i^llon , que j'avais tant demandé , et qu'on: • m'envoyait enfin. L'impatience de le voir et de l'embrasser me fit expédier vîte ce qui me restait à faire , et regagner au plutôt Bagchsaray ^ où je le trouvai eu bonne santé* I 'li 1 1 ' t l! i i )6o LeTTIKES ÉDtVlANTES Ce Père a beaucoup de vertu et beaucoup de mérite ; il possède bien la langue Turque, et n'aura pas de peine à se rompre bientôt au petit Tartare. J'avais eQ vétité besoin d'un . tel secours , après plus de six ans d'une solitude qu'il faut avoir éprouvée comme moi pour en sentir tout le poids ,'et aussi pour con- cevoir la grande douceur qu'il y a de se trouver . deux dans un pays perdu comme celui-ci. :, Monsieur l'Ambassadeur , toujours zélé pour l'établissement d'une chapelle , m'a en- voyé par le Père une patente de Consul. Il est constant que c'est là le plus court moyen d'obtenir de droit ce que nous souhaitons. Cependant comme un Consul est une nou- veauté dans la Crimée , où les Chrétiens d'Occident n'ont ni ne peuvent avoir de vais- seaux de leurs bannières , la matière est dé- licate à proposer , avant que d'avoir pris quelques mesures. Une des plus efficaces , dans ce pays-ci , où les présens font plus de la moitié des affaires , serait de nous envoyer de France un globe terrestre , une pierre d'aimant armée , une ou deux bonnes lunettes d'approche , et autres choses de cette nature, qui sont fort du goût des Princes Tartares. J'avais trop de joie de l'arrivée de mon cher compagnon ; Dieu voulut la tempérer en me fesant craindre pour sa vie. Il tomba malade, quelques jours après son arrivée , d'une fièvre opiniâtre qui l'a tourmenté près de quatre mois. Mais son courage a suppléé . à ses forces et il le fallait de ce caractère géné- , reux dans les fâcheuses conjonctures où nous ''»!(!!, ET CURIEUSfiS. l9l rénons de nous trouver. La peste qui affli» geait déjà le pays , est devenue soudainement vive et ardente. Ses ravages , quoique grands , n'ont pas été néanmoins universels. Guzlo à perdu la moitié de son monde. Bagchsaray en a été quitte pour trois mille morts. Nous avons perdu près de cent Catholiques , hom^ xnes et femmes , dont, grâces h Dieu , aucun ne nous a échappé pour les derniers sacre- mens. Entre les pertes que nous avons faites , je regrette sur^tout deux femmes Russes , qui fesaient grand honneur à la Religion. L'une , naturellement éloquente , avait une grâce particulière pour persuader , et ramener à l'Eglise celles de sa Nation que l'ignorance ou la prévention retenaient dans Terreur. Elle me valait seule quatre des plus fervens Catholiques , sMntroduisant hardiment dans les maisons , et parmi les Esclaves ses com- patriotes , où les femmes seules ont droit d'en- trer ; elle fesait si bien , qu'elle m'amenait toujours quelqu'ame à convertir. Peu do jours avant que d'être prise du mal, elle m'en avait amené cinq. L'autre était remarquable par la vivacité de sa foi , et par une certaine ardeur qui la transportait , et qui embrasait les plus in- sensibles quand on la mettait sur les choses de Dieu. Atteinte du mal et frappée à mort, son maître , qui était un prêtre Arménien , s'offrit plusieurs fois à lui donner la Com- munion , lui disant que j'étais trop occupé des autres mourans , et que je ne viendrais pas à elle. Il y viendra , répondait-elle tou- \â iî H 1 1 'H il- i i i, *«« 0 ï62 Lettres édifiantes jours j il y viendra , el je recevrai encore une fois de sa main le corps de mou Sauveur , comme le reçoivent les Calholiques , enfans de Dieu et de la sainte Eglise. J'eus encore le temps d'aller lui donner cette dernière consolation , qu'elle reçut avec une foi doixt je fus moi-même infiniment consolé. Pendant près de deux mois , la peste ga- gnait si vite , que les Tar tares eux-mêmes , quoique de leur naturel assez intrépides , et de plus Mahométans , ne laissaient pas de quitter la place comme les autres , et de fuir en diligence. Pour nous, il faut l'avouer, ce ne fui ni la bravoure , ni l'intrépidité qui nous retînt à la ville , où nous étions con- tinuellement parmi les malades et les mou- rans, ce fut uniquement le devoir et la cons-^ cience ; et nous pouvons bien dire que c'est * Dieu seul , qui par sa bonté nous a sauvés. JVotre grand danger n'était pas tant à assister les mourans et à enterrer les morts, qu'il •était en pleine Eglise ^ où nous ne pouvions . nous dispenser de dire nos messes , et d'en- tendre tous les jours les confessions des sur- venarïs. Les Arméniens , de is les heures les plus fréquentées , y apportaient à la fois jus- qu'à cinq ou six corps morts , fesant leurs jobsèques et toutes les cérémonies mortuaires avec autant de lenteur , et aussi peu de pré- cautions pour eux et pôi^r nous , que si nous Avions tous été de pierre ou de fer. A la fin pourtant nous leur fîmes entendre raison , et ils convinrent avec nous , quoiqu'un peu tard , iç[ue dans un temps de mortalité , comme ET CVRIEITSES. ' l65 celui-là , il suilirait de porter les corps deç maisons au lieu de la sépulture, sans les faire passer par l'Eglise. Ce terrible fléau de la justice divine , qui ne fait presque que d'être retiré de dessus nous , a laissé dans les esprits des impres- sions de ten'eur dont nous remarquons de bons effets. Raffa , Karasou , Guzlo , cent autres endroits de la Crimée nous ont donné jusqu'à Pâques une très-violente occupation par les continuelles allées et venues de ceux que le péril avait effrayés , et que ni la fati- gue , ni les voyages n'ont pu empêcher d'ac- complir promptement ce qu'ils avaient pro» mis à Dieu. De l'Eglise de Bagchsaray deux frères Ar- méniens ont abjuré leurs erreurs. Ils sont fils du premier Papas de la ville , qui , avant la peste , paraissait le plus animé contre nous. Leur exemple a été suivi par trois Acolytes de la même Eglise , par trois autres séculiers, le père et les deux enfans , et par trois famil- les entières , fesant à elles trois quinze per- sonnes , quatre autres personnes de familles différentes prennent actuellement les instruc- tions pour en faire autant. A ces fêtes de Pâques , le concours d'Es- claves a été prodigieux. Leurs maîtres, en- core effrayés , n'ont osé les empêcher d'aller prier Dieu. Il en est venu que je n'avais en- core jamais vus. Tout pauvres qu'ils sont , il» avaient trouvé moyen de se pourvoir chacun d'un cierge. Ils rangèrent tous ces luminaire» autour de l'Autel ^ en action de grâces » di* 'M i64 Lettrcs édifiantes saient-ils, de ce que la colère de Dieu le* avait épargnés , et en témoignage public de la sincérité de leur foi au mystère de la Résurrection. A la grand'Messe , un jeune Allemand Luthérien , et une femme Russe firent profession de la Foi Gajlholique. Une autre femme aussi Russe , qui , depuis trente ans , n'était point sortie de la maison de sa maîtresse , fut remise au Dimanche suivant , parce qu'elle n'était pas encore assez bien instruite. Mais la conversion qui nous *a le plus consolé , a été celle d'une Hon- 'graise Calviniste. Elle était en son pays femme de ministre^ et il y avait trois ans entiers qu'elle résistait : enfin , elle se rendit -la seconde fête de Pâques , et demanda d'elle- même à faire son abjuration devant tout le inonde. Il y a à Bagchsaray beaucoup d'hom- mes et de femmes de cette secte qui la re- gardaient comme leur héroïne, et qui nous renvoyaient à elle toutes les fois que nous •les pressions de se convertir. Son exemple et sa ferveur ne peuvent manquer d'avoir dans peu de très-bonnes suites. Par la grâce de Dieu , entre cette année et la précédente , nous comptons «oixante-huit personnes réconciliées à l'Eglise , et quarante- trois nouvelles confessions générales , entre lesquelles il y en a eu une de soixante-ans , et trois de quarante-cinq à cinquante. Parmi tout cela , j'ai admiré deux traits bien singu- liers de la miséricorde divine. Le premier à été sur un noble Polonais qui venait d'a- Yoir la liberté après trente ans d'esclavage , ET CUKIETTSES. l65 et qui , avant que de reprendre le clieniin de son pays , vint de Textrémilé de la Cri* mée me trouver à Bagchsaray , pour se mettre bien avec Dieu. Il fut plusieurs jours à faire une revue exacte de toute sa vie ; après quoi il se confessa , et reçut Notre-Seigneur avec de grands sentimens de piété. Il ne songeait plus qu'à partir , et il avait déjà fait ses adieux, lorsqu'il fut arrêté par une indisposition su- bite , qui en peu de jours le mit à Textré- mité. Il voulut se Confesser et communier encore une fois , louant et remerciant Dieu à haute voix , de Tavoir , disait-il , conduit à Bagchsaray pour y mourir en Catholique. L'autre exemple est d'une^ jeune femme Allemande , qui depuis cinq ans s'était laissé aller aux sollicitations d'un Tartare puissant, avec qui elle vivait publiquement comme s'il eut été son véritable mari. J'étais instruit de tout ce commerce , et j'avais souvent cherché les occasions de lui en remontrer l'horreur ; mais ' Ue avait toujours été si attentive à éviter ma rencontre , que jamais je n'avais pu lui parler. Enfin , elle tomba malade. De la maison du Tartare , qui était hors de la ville, elle fut transportée dans une maison Turque , et dé là dans une maison Chré- tienne , d'où elle m'envoya conjurer de venir la voir. J'y vais ; je la trouve toute en lar-f mes 9 et presque mourante. Mon Père , mt^ cria-t-elle , en me voyant approcher , me voijià sur le point d'aller paraître devant Dieu; y a-t-il encore pour moi quelque pardon à e8p«iér?^0ui, lui dis-jç^ si vous |e dem^^^ «^6 Lettres I^difiantes 4ez de tout votre cœur. Mon Père , rt'plî- qua-t-elle , jusqu'ici je n'ai osé vous par- ler ; mais jamais je ne vous voyais que je n'eusse horreur de moi-môme. Après l'avoir disposée par les actes et la préparation né- cessaire, j'entendis sa confession , qu'elle me fit avec beaucoup de présence d'esprit , et de grands gémissemens. Elle vécut encore trois jours pleurant toujours et criant misé- ricorde; heureuse si par sa pénitence , quoi- que tardive , elle a pu appaiser la justice de Dieu. Je cite ces deux traits, parce qu'ils sont récens , et qu'ils ont fait grand bruit parmi les Chrétiens. J'en pourrais citer plu- sieurs autres de moindre éclat , et plus an- ciens , mais qui ne m'ont pas moins fait sentir l'attention de la divine Providence à ména- ger aux plus grands pécheurs les précieux momens de la conversion. Si quelque chose est capable d'adoucir les peines d'un Mis- sionnaire, c'est certainement le consolant témoignage qu'il ne peut s'empêcher de se rendre en ces occasions, que s'il ne s'était trouvé acîtuellement à portée de secourir ces «mes s telles et telles auraient péri sans se- cours. C'est là , Monseigneur, où en est aujour- d'hui la nouvelle Mission de la Crimée , que vous avez bien voulu prendre sous votre pro- tection. Ce que je viens d'avoir l'honneur de vous en rapporter, n'en est encore qu'une pre- mière ébauche , telle qu'un homme aussi fai- Me que moi a pu la tracer , travaillant tout , r^plî- 3U9 par- s que je Bs l'avoir lion né- Li*elle me iprit , et it encore ml misé- ;e , quoi- a justice rce qu'ils md bruit citer plu- plus an- faii sentir ' à ménà- précieux kue chose 'un Mis- consolant er de se Ine s'était ourir ces sans se- Ir de vous lune pre- 1 aussi f ai- llant tout ÏT CURIEUSES. idj seul dans un pays aussi rude h dëfriclierque' l'est celui-ci. Maintenant qu'il m'est venu du secours , et que j'ai lieu d'espérer qu'on n'en demeurera pas là , elle va prendre , avec l'aide de Dieu , une forme toute nouvelle. Tout s'y dispose favorablement. Les Tarta- rcs s'accoutument h nous voir chez eux. Leurs Esclaves , qui font leur grande richesse ,.leup disent à tout propos mille biens de nous ; et ils remarquent , disent-ils , que depuis qu'ils nous fréquentent , ils en sont sei-vis plus fidè- lement et plus volontiers. Les Chrétiens du pays perdent tous les jours les préjugés qu'on leur inspire dès l'enfance contre la créance Catholique. Beaucoup l'embrassent , et tous la respectent. L'ouvrage est commencé ; il ne s'agit plus que de le perfectionner, et de l'aftermir. Permettez-moi , s'il vous plait. Monseigneur, d'en proposer quelques moyen» que l'expérience me suggère. Le premier moyen , et sans contredît le plus nécessaire , est d'entretenir ici toujours trois ou quatre Missionnaires d'un grand cou-* rage , d'une grande patience , et d'une grande ' charité. Si nous étions seulement trois Prê- tres, nous parcourrions tour-h-tour les Can- tons les plus reculés de la Crimée , où il y a une infinité de Chrétiens dispersés, qui n'ont pu encore venir h nous , et oii il ne nous a pas été possible d'aller h eux. De ces trois Pères , deux marcheraient tout l'été aux Villes éloignées , et le troisième demeu- rerait fixe à Bagchsaray , où tous se rejoin- draient pendant l'hiver. Que si quel<^u'utt Pi ê n [I ! I ',1 i4SS Lettres édiviante^ de ces Pères était Médecin, et qu'il eût :. ^ peu de bons remèdes , il aur&it entrée par- tout à la faveur de la Médecine , et il ferait des biens immenses aux Villes et aux habi- tations de la campagne, où il ne faudrait plus tant craindre d'aller nous montrer. Gon- naissant le pays comme je le connais , je suis persuadé qu'il n'y aurait point d'année qu'il ne fut à portée 4<3 baptiser , et de mettre au Ciel des troupes de petits enfans , et qu'il n'as- sistùl à la mort quantité d'adultes. Jusqu'ici j'ai été souvent jusqu'aux portes de Kaiia , ou est le fort des Esclaves Chrétiens , à cause du grand peuple et du grand commerce , san$ avoir pu y entrer. C'est une Ville Turque où il n'y a pas de sûreté pour les Francs , depuis les démêlés de la Porte avec les Polonais el les Moscovites. Si j'avais eu avec moi un Mis- sionnaire Médecin , ou que je l'eusse été moi-même , je sais , h n'en pas douter , que depuis cinq ou six ans qu'on n^'invite à aller là , j'aurais plus fait de boijines œuvres dans cette seule grande Ville , que dans tout le reste de la Crimée. Le second moyen de donner des fonde- mens solides à la Mission , est d'avoir une Chapelle Franque , établie par autorité pu- blique à Bagchsaray. Nous avons déjà en notre faveur la parole du Kan , qui l'a pro- mise à M. l'Ambassadeur ; mais comme le Kan peut être changé , il serait nécessaire d'a- voir aussi l'agrément des Chérembeys , qu'on ne change jamais , et qui représentent le iÇorps de la j^^tiou Tartane, Ce pas-là une fois r T r. u R I c u s E s. 1 09 {oh fait , nuub poumous dire la Religion Calliolique établie, cl les fonctions des Mis- sioonaires î^utorisées dans le pays. C'est ainsi que les Arméniens étrangers comme nous, y out obtenu les emplacemens sépares de quatre ou cinq Eglises. Nous ne demandons nou9 autres que Touverture d'une seule Chapelle dans Tenccinte de notre maison. Les Armé- niens ont leurs Eglises pour leur seule ISation ; notre Chapelle sera toute à l'usage (les Esclaves , qui sont les domestiques des Tnrtarcs, et ceusuqui font valoir leurs terres. D'ailleurs , cette condescendance des Maho- métans pour les Esclaves Chrétiens , n'est ni nouveUe , ni prohibée. A Constantinoplu , dans le propre Bagne du Grand-Seigneur, les Esclaves Chrétiens ont de temps immé- morial deux grandes Chapelles , que les Pères Jésuites desservent par autorité publique. A ces raisons générales , que nous tâcherons y avec l'aide de Dieu , de faire goûter aux puis- sauces , il faut encore ajouter pour le bien dos Ames en particulier. j.° Que n'ayant point de Chapelle à nous, toutes nos fonc-, tiens portent uniquement sur la bonne vo- lonté des Arméniens à nous souffrir avec eux dans leur Eglise. Or, cette bonne volonté peut changer du jour au lendemain; et si, comme il peut fort bien arriver, le caprice leur prenait de nous exclure de leur Eglise , à qui aurions-^nous recours ? Je sais beaucoup de particuliers de cette Nation , et parmi eux beaucoup de personnes du sexe , qui ont dan» h coeur de bons sentimeas^ qu'elles vou- TomelIL H Wl IH' ! i i ! <■ 'il'} i-jo Lettres édifiantes draient produire au«dehors , afin de mettre îjBur conscience en reprs ; ce qui n*est pas praticable dans leur Eglise , où elles ne man- queraient pas d*étre insultées. Nous ne pou- vons aller dans leurs maisons , ni encore moins souffrir qu'elles viennent dans la nôtre , tant que nous n'aurons pas un lieu séparé , etcon- $acré à une Chapelle, a." Les Grecs , qui font ici un grand peuple , ont une aversion naturelle des Arméniens , et jamais on ne les voit dans leurs Eglises. C'est ce qui fait que jusqu'à présent nous en avons si peu ramené à la créance Catholique, quoique cela ne fût pas trop difficile , si nous avions où les assem- bler et où les instruire en particulier. - Un troisième moyen de nous affectionner de plus en plus les Tartares , et d'intéresser la bonté 4^ Dieu à soutenir la Mission , se- rait de pourvoir au soulagement de ces pau- vres vieillards errans et hors de service , dont j*ai parlé. Rien n'est plus digne de compas- sion. Il n'est point d'hiver qu'on n'en trouve plusieurs morts de faim et de froid par les campagnes , et Dieu sait en quel triste état pour le salut» Nous en rassemblons le plus que nous pouvons , et nous partageons de grand cœur avec eux ce que nous avons pour notre subsistance ; mais que pouvons-nous tous seuls , et à quoi cela vart-il pour cha-^ cun d'eu^ ? Si nous étions assez heureux pour intéresser la charité des Fidèles h leur assurer un pauvre lieu de retraite , où chaque aimée on leur donnât un morceau de bure jiQïff se couvrir , ^t chaque jonr un peu de ^ ET CUEIEUSES. 1^1 pain noir , ils regarderaient cela comme une fortune ; outre le salut de leurs âmes qu'on mettrait par-là en sûreté , aucun ne mourant plus qu'il ne fiit assisté. Il est certain que les Tartares seraient frappés de cet exemple d'humanité chrétienne , et qu'il leur inspi- rerait un nouveau respect pour notre sainte E^ligion. Ne me rendrai^je point importun , si j'ose suggérer un quatrième moyen de chanté ^ aussi méritoire du moins que les précédens » Qt qui doit bien toucher ceux qui ont encore quelque aèle pour empêcher la. perte des âmes, qui ont tantcoàté à leur Sauveur ? c'est le rachat de quantité d'enfans Chrétiens , garçons et filles a pés de parens esclaves , ou amenés de nouveau par les Tartares au retour de leurs coursçjs. Ces petits innocens , aban- donnés à eux-mêmes , et à toute la brutalité de leurs Maîtres , n'apprennent dès leur tendre jeunesse que le vice. A peine ont-ils atteint l'âge de dix ans , qu'on commence à les corrompre , et à les mettre en vente , et le plus souvent à les pervertir. Le moyen le plus ordinaire qu'on emploie pour les rendre Mahométans , est de les faire jeûner dans le temps du Ramadan , et de les battre , quand pressés de la faim , on les voit porter quelque chose à la bouche , ne fût-ce q;ae de l'herbe. Après ce jeûne forcé on les circoncit , et les voilà perdus. Pour les petites filles , on les met dans le Harem , ou appartement des femmes. Dès qu'elles y sont une fois entrées , il faut çoçxp'cr qu'elles n'en sortent plus. ^ Ha i u I i-^ft Lettres édifian^ues Avant qu'on en vienne là , il est facile de les acheter , et de les sauver. En temps de guerre (Céâ enfans ne coûtent que vingt écus. Les jïÊlites filles seraient envoyées en service dans cfes familles Catholiques à Constanlinople ou ailleurs. Les garçons seraient mis en ïhétier chez de bons Chrétiens du pays , où avec le temps , et nos Instructions Journa- Itères , jls formeraient un corps de Fidèles. Nous retiendrions auprès de nous les plus propres à réussir dans les Lettres , et dans le service de Dieu , dont ensuite nous ferions de fervens Catéchistes^ , qui nous aideraient a porter les premières impressions du salut dans bien des endroits où nous ne pouvons parahre nous-mêmes. Que ne puis-je aller répéter et crier tout cela aux portes de tant de maisons opulentes que Dieu a comblées de se^ biens ,' et où peut-être ceux qui les possèdent , en font uii usage fort inutile pour J^heure de leur mort ! rî^h^Si? Tiels sont , Monseigneur , les piîncîpaux moyens qu^il niç paraît qu'on peut prendre pour établir solidement la Religion dans la Crimée , d*où il ne serait peut-être pas si difficile delà répandre dans le pays des Nogais, où il y a un monde d'Esclaves Chrétiens , qui sont comme perdus dans ces vastes Contrées , et auxquels petgonn,e ne pense. On pourrait encore essayer de l'întroduiro dans la Circassie , où il y a par-tout des mar- ques qu'elle y a autrefois pénélàé. Votre Grandeur a eu la bonté de me faire projeser quelques questions touchant ce " ' ET CTJlilEUSES. 17^^ pays-là. Je joins h. celle Lettre les ({iieslions et leurs réponses , selon ce que j'ai pu démê- ler de plus constant et de plus, vrai , sur le rapport de gens qui y ont été. Je suis avec un profond respect, etc* . ji Bagchsaray, le 20 Mai i-jiB. ■if RÉPONSE ît ji quelques questions faites au sujet des Tartares Circasses, ' iih* t. X-/E qui ils dépendent , si c'est dit Grand*» Seigneur , ou ^u Czar , ou de quelques autres Princes particuliers , qui soient eux- mémés indépendans ? Réponse. On distingue aujourd'hui les Circasses de la plaine , et les Circasses des montagnes. Ceux de la plaine sont compris entre Taman et le fleuve Kouban. Ceux de» montagnes s'étendent en remontant veri. la source de ce fleuve. Les premiers sont gou- vernés par des BeyS de leur nation , i^iu payent au Kan un certain tribut annUf:! V fourrures , de miel , et d'une certaine quan- tité de jeunes Esclaves des deux sexes. Il se trouve parmi eux beaucoup de Sultans Tar- tares sans emploi , qui vivent en Princes par- ticuliers, et qui ne prennent l'autorité du commandement que quand ils sont les plus forts» H 3 * I -yi r I; 1', l! '\ li Il '.,1^ ( lî 174 Lett«hs édifiantes ' Les Gircasses des montagnes étaient , il y a cinq ans , comme ceux de la plaine : mais depftis 1 TjSfB qu'ik défirent , par stratagème , l^iLtmée Tartare , ils se soutiennent comme ils peuvent , et ne veulent pas entendre par- ler de tribut. Kabarta , qui est la contrée la plus forte , se fie sur SCS défilés , etsurTâpreié de ses montagnes. Us oiit h présent quelques Harsons avec le Czar , mais sans dépendre de lui. Le Grand --^Seigneu-p â'a rien à voir sur la Circassie , ni dé ïa pïaiûe , ni des mon- tagnes. IL ^ont-îls tous Chrétiens on Mabomé- tans , ou partagés en fait dé religion , et qu( 1 est le plus grand nombre des uns oti des «mres ? Réponse. Les Beys sont geii<éralem!eiit Mat- k^im^waiis , bons ou: mauvais , et ils fie le sont que par complaisance poitr les Tartares , arvec qnS ils ont des rapport» Covntiiiuels. Pour le peuple , il n'est ni CbirétieiB, ni Mabo- jnétan ; il n'a l'usage ni du Ba{>tême y ni de la Circoncision. Ils ont une langue particu- lière et %mMe différente des autre» Tartares. Je l'entend» quelquefois parler ici. Elle me parait d'un assez grande douceur. > III. Quel reste de religion trouve-t-on parmi eux? Réponse, Il y en aqui s'informent du temps de notre Carême , et qui le gandent. Us con- naissent les saints noms de Jésus et de Marie. ïls n'invoquent pourtant le premier que sous le nom à'AUah , Dieu , qui est commun à la Trinité j d'où on pourrait conclure , qu'ils >uve-t-on ET CURiBtSE»^. _ï7^ ont encore quelque idée grossière et fort imparfaite des mystères de la Trinité et de rincarnation. Au reste , on ne voit plus parmi eux d'autre exercice de religion , que quel- ques assemblées superstitieuses qu'ils font ea de certains temp^ sous de grands arbres y auxquels ils attachent des bougies , pendant que celui qui leur sert de Papas , fait à leur tête trois fois le tour de l'arbre en marmotant quelques prières. Ils mangent généralement et publiquement de la chaîr de pourceau^ IV. N'ont-ils nuls secours spirituels ? Réponse. Ces espèces de Papas , dont je viens de parler , ne savent ni lire ni écrire ; toute leur morale et tou& les secours qù'ild donnent au peuple , consistent en ce peu dé prières qu'ils tiennent par tradition. Pour les Prêtres Grecs ou Arméniens , qu© l'avidité du gain attire quelquefois à la 9uite dès Mar» chands , comme ils n'ont ni capacité ni zèle , ils songent à leurs affaires particulières , sans s'embarrasser d'autre chose. V. Quelle apparence y a^t-\l àe les réduire h la Foi Catholique , et queb; moyens y au- rait-il à prendre pour cela ? Réponse. Sur le rapport presque général de ceux qui ont pratiqué les Circasses , ils ne sont pas éloignés de nous. On pourrait pren- dre occasion de leur cultj superstitieux pour leur insinuer la vérité àe nos saints mystères. Ils permettront même qu'on donne le Bap- tême à leurs enfans , mais on ne pourrait le conférer prudemment qu'à ceux qu'on ver- rait Cil prochain danger de mort , la plupart H 4 II m m t (.■ I a .1 !'l i , ■ i I ( 1 I I ■ Ml Ji- I j'jS Lettres édifiantes étant destinés à passer aux niains des Turcs et des Tartares , dont ils prennent la religion. J'ajoute que dans les conjonctures présentes , un prêtre Franc ne pourrait guères travailler k la conversion des Chrétiens Circasses de la plaine. Il y a toute apparence que les Tar- tares en prendraient ombrage , et que les Sultans répandus par-tout s'y opposeraient Comme à une nouveauté dangereuse. Je crois pourtant qu'à uil Missionnaire qui aurait la réputation de Médecin , et qui serait bien venu du Kan , il ne serait pas impossible de se faire souhaiter par les Sultans , et h l'ombre de leur protection , de visiter les Circasses malades , auprès desquels on pourrait tou- jours gagner quelque chose, ne fût-ce que d'éclairerles adultes raourans , et de baptiser les petits enfans qu on verrait n'en pouvoir pas tchapper. Avec le temps les choses pourront chan- ger , et il faut espérer que Dieu , touché de miséricorde pour ce pauvre peuple , fera naître quelque occasion plus favorable de pénétrer dans ce pays abandonné. -,f -s l.-i * .. .* . u ■t . •? '. :A'' jm V ■■ il ET CU&IEUSES. 77 VOYAGE De Crimée en Circassîe par le pays dès Tartares JYogais , fait tan 1702 par te sieur Ferrand , Médecin Français, L AN inoa M-^ t^v^ xjyjj> , tiaggî Selim Guîray Kan , Chef de la famille des Kans d'aujourd'hui , envoya Sultan Kalga en Circassie , pour faire la guerre à un autre de ses fils , qui s'y était retiré après avoir régné trois ans sur les Tar^ lares, prétendant disputer le Trône à son père , que le Grand-Seigneur venait d'y remettre à sa place. Sultan Selim est ce Kan si fameux dans la dernière guerre. Il battit en une seule campagne les Moscovites , les Polonais et les Allemands , qui s'étaient ren- dus maîtres de la plus grande partie de l'Al- banie. Après avoir été deux fois Kan , il avait volontairement abdiqué au retour do son voyage de la Mecque, pour se retirer à Cérès en Macédoine , et y finir tranquille- ment le reste de ses jours. LefGrand-Sei- gneur venait de le faire Kan pour la troisième fois , et c'est Ih ce qui fut caiise de la révolte de son fils le Kan dépose. Je ne déoriiai pas ici cette guerre -, je dirai seulement que Suiian Kalga vainquit son frère , qu'il le fit prisonnier dans lé dernier combat qu'il lui donna , et qu'uspnt de sa victoire avec géué- ro:>ité j il se conteata de le ramener en II 5 \ >'.f^ i*l ^Tf n8 Letthes éditiastes Crimée auprès de leur père , qui le reçut avec toute sorte de douceur. La curiosité me porta h soivic Sultan Kalg.i dans cette expédition. J'en obtins la permis- sion du Kan son père. N^his nous mîmes en jnarcbe avec 4o<)oo kommes , et après vingt journées de cnemin a travers le paya des 'tar- tares Nogais , dont plusieurs nous joignirent , nous entrâmes en Circassie. Ëtànt au milieu des terres des Nogâis , Sultan Kalga m'ordonna d'aller voir un Mirza qui était malade , et qui campait h deux lieues de notre armée. Mon escorte était de trente Seymens , qui sont les cavaliers de la garde du Kan , armés de fusils , de sabres et de flèches. Je partis avec un domestique du Mirza , qui nous servit de guide. Après une heure de marche , nous vîmes dans la plaine environ 3oo Nogais le sabre h la main , divisés en deux troupes , qui semblaient se battre. Il y avait auprès des Nogais deux chariots couverts. J'hésitai si je passerais outre , et ayant demandé au garde ce que c'était que ce combiit , il me dit que (i^était un mariage , et que la fiancée devait être dans un des deux chariots qu'on menait d'un camp à l'ffutre. Quand nous fûmes plus près de ces deux bandes , je m'informai du guide si les Nogais se battaient ainsi sans sujet. Il me répondit que ce n'était pas un véritable com- bat , mais une sin*plecsca'f mouche , pour se faire de légères plaies , d'où il pût sortir quelques gôwUes de sang , ce qui serait un j^sage que les^ eaian» mâles^ qui viendraient î) I ET CURIEUSES. l'jg de ce mariage , seraient un jour de braves guerriers. C'est une autre coutume établie parmi les Nogais , qu'à la naissance de leurâ enfans , les parens et les amis viennent à la porte du père faire un grand bruit de chau- drons et de marmites , pour effrayer , disent^* ils , et faire fuir le diable , afin qu'il n'ait aucun pouvoir sur l'esprit de cet enfant. Les Tartares Nogais payent pour tribut annuel au Kan , aooo moutons qu'ils lui en* voient en trois différentes fois. Au grand Bairam , ils sont obligés de lui envoyer sou* liaiter les bonnes Fêtes par quatre de. leurs principaux Mirzas , avec un présent de quel- ques chevaux, et de deux oiseaux de proie drossés pour la chasse. Le Kan donne à chacun de ces Mirzas un habit complet. La justice de ce pays est briève. Quand nù Nogais a blessé mal-à-propos u& de ses camarades , on fait venir tous les voisins dut coupable , et les parens et amis du blessé avec un fouet à la main , et on bat le criminel jusqu'à le laisser souvent pour mort. Si c'est un assassinat , on fait mourir le meurtrier sans miséricorde sur le tombeau du défunt ', mais si c'est un duel dans les formes , et qu'on prouve que tout s'est passé sans aucune super-^ chérie , qui est mort est mort. Les lïogaîs passent leur vie sous des tentes, n'ayant ni vîïles ni villages. On n* trouve dans leur pays que les restes d'une ancienne ville , où il y a plusieurs tombeaux de mar- bre avec des inscriptions Grecques et Latines à demi effacées. Il y a une Palanque près H 6 '( . :!' "'Il ■)•'! h ' iih 180 Lettres !• ni FI AN TE S de la rivière qui vient des environs d'Azak , où ils tiennent une garde poui veiller sur les Cosaques, et pour les empêcher, d'entrer ù l'improviste dans leur pays. ' Leurs tentes sont faites avec de grands cercles, et couvertes de feutre ; elles ont la figure d'un moulin à vent. La cheminée ressemble h un paravent qui tourne avec le vent , pour n'être pas incommodés de la fumée. On distingue la tente d'un Mirza , des autres, par la forme d'un sabre qui est au-dehors sur la cheminée. La nourriture ordinaire des Nogais est de millet. Ils le font bouillir avec de Teau pure, et l'appellent Tzorha. Quand ils veulent célébrer une fête , ou faire un mariage , ils tuent un cheval; de la chair ils en font des hachis, et ils ser- vent la tête entière , comme on fait chez nous la hure d'un sarglier. Ils préfèrent cette i'iandc !* toute autre. S'il y a dans la troupe une personne distinguée , on lui sert le boyau gras du cheval , qui est le mets par excellence. Dans leurs courses, ils en portent de secs et de fumés , dont ils régalent ceux qui se distinguent dans le combat , ou qui font le plus gros butin, qu'ils ne laissent pas de par- tager par égales portions. Ces Tartares peuvent soutenir la faim des cinq à six jours sans manger. Les chevaux ont cela de commun avec eux. Ils entrepren- neni souvent des courses de trois mois , sans porter aucune provision , contens de ce que le hasard leur présente. Un jour un Tartare Nogais , voulant passer de . Guzlo , port de - 1 ET CURIEUSES. l8l mer de l.i Crimée, à ConstantiaopIe> il de- manda au Capitaine du bùliuient sur lequel il devait s'emi^arquer, combien durerait le trajet. Le capitaine lui répondit qu*avec le vent favorable qui soufflait, il espérait le faire en cinq jours. Le Nogais retourna chez lui , et mangea tout ce qu'il crut pouvoir lui suffire pour ce lemps-lh. Le vent ayant changé sur la route , et les cinq jours étant expirés , il fut trouver le Capitaine ^ et lui dit : tu .m'avais prorais que nous serions dans cin- jours à Constantinople ; nous en somme- encore bien loin. J'ai mnngé à Gnzlo pour ce temps-là ; h présent que je n'ai plus rien dans l'estomac , il faut que tu me nourrisses. Il n'y a point de mont^igne dans le pays de» Nogais. Ce sont de grandes plaines arrosées de quelques rivières, dont ils cultivent le» bords , et y sèment leur millet. Ils font peu de séjour dans un même lieu. Ils ne s'arrê- tent quelque temps que dans les endroits où ils sèment ; et la récolte faite , ils se trans- portent ailleurs. Dans les courses qu'ils font, quand ils approchent d'une ville , ils disent qu'ils en sentent l'air de plus de deux lieues , celui qu'ils respirent à la campagne étant infiniment plus pur que celui des villes. En temps de guerre, ils sont obligés de fournir au Ran quarante mille hommes ; mais ils en fournissent toujours soixante, ne pouvant vivre que par le butin qu'il font sur les terres de leurs ennemis ou de leurs voisins. Les Gentilshommes portent toujours un oiseau sur le poing. Il n'y a rien qui puisse. m 'a w ■'^'Si • V. • : I ifi I . . îffli'*lr fc Për t-t lu ■ iî!-', 1 1 '"Il i: , '.Si!- .%.^:^ IMAGE EVALUATION TEST TARGET (MT-3) 1.0 LÀ 128 |2.5 l.l l"^ ^ 11.25 U 11.6 I i V ^^ /J x*^ '^ 4'.'.^ Photographie Sdenœs Corporation 33 WiST MAIN STRIET WEBSTIII.N.Y. 14S80 (716)87î-4503 ^. qu'ils ne connaissent pourtant que par tradition. Voici la maxime qu'ils observent pour aller à la guerre. Ils regardent toutes les treizièmes années comme malheureuses. Un Nogats n'y va point avant l'âge de quatorze ans. Il n'y va point non plus dans sa vingt- six , trente-neuvième année , etc. Il ne porte même dans ces années aucune sorte d'armes, qui se tourneraient^ disent-ils , contre lui , et qui lui procureraient la mort. Ils préten- dent tenir cette révélation d'un de nos Pro- phètes ; et ils assurent qu'on n'a vu revenii: dans le pays aucun de leurs guerriers qui soit allé en course dans ses années mal- heureuses. Ils passent ces années dans le jeune et la prière. Il leur est encore défendu dans ce temps-là de contracter mariage , ou de porter sur leur corps le poids d'une livre pesant -, mais cette année climatérique passée, ils font un grand festin à leurs parens et amis , où ils s'enivrent avec excès d'une boisson qu'ils nomment Bosa , faite de millet fermenté , et qui a la force de l'eau-de-vie. J'en ai vu boire à un Nogais jusqu'à trente pintes en une heure de temps. Un Bey me eonvia à un de ces repas , où il y avait plus de trois cens Tartares. Il tua pour nous régaler sept de ses meilleurs chevaux. Jamais on n'a tant bu de Bosa» Ceiïx qni en avaient bu le plus, furent se coischer le dos contre terre et le visage exposé au soleil. Après avoir dormi quelque temps en cette posture, ils t'-. «^ ET <:C]11ETTSES. l83 rejoignirent la troupe , se plaignant d'un violent mal de tête. Pour s'en guérir, ils se remirent à boire , et y passèrent la nuit. Les Nogais n'ont ni blé , ni vin , ni sel ^ ni huile , ni épiceries. Le millet et le lait de leurs jumens est leur nourriture la plus ordinaire. Ils ne laissent pas d'avoir de^ bœufs , des moutons et de la volaille. Ils font bouillir le lait jusqu'à ce qu'il devienne dur comme une pierre ; alors ils le mettent en pelotes , et le font encore &écber au soleil. Quand Hs veulent s'<^n servir, ils le délayent avec de l'eau , et e\i font une boisson qui leur parait délicieuse dans les grandes cha-* leurs. Après avoir traversé le peys des Nogais « nous entrâmes dans la Circassie» que les Tar- tares appellent l'Adda. Ce pays confine, da côté du Nord 4 avec les Nogais; du côté du Sud , avec la mer Noire ; du côté de l'ELst* avec la Géorgie; et du côté du Couchant avec le Bosphore Cimérien et le Golfe qui ce qi lés sépare de la Crimée. Sur ce Golfe, il y a une Echelle ou Port de mer d'un assez grand trafic , nommé Taman. On en tire du Caviar, de la Mantègue, des cuirs ^ du mW\ de la cire « etc. La douane se paie moitié au Grand-Seigneur et moitié au Kan. Chacun; en retire trois pour cent. La ville est fortifiée d'un mauvais Donjon , et entourée de vieille» murailles pleines de brèches , qui sont les anciennes fortifications des Génois , quî autrefois ont occupé toute cette côte. A dix lieues de Tama&, en remontant au Nord, on i i ■r:iîl: I n 184 Lettres édifiantes trouve une autre petite ville assez 7narchande, appelée Temerouck , où il y a des Grecs , des Arméniens et dés Juifs , qui payent leur Caratch au Kan. Assez près de Temerouck on voit un vieu:& cliûteau nommé TAdda, du nom du pays , où il y a six pièces de canon , et où il faut payer une seconde douane des- tinée à l'entretien du Gouverneur et de la garnison. Ce château sert à contenir les pira- teries des Cosaqups , et à empêcher les des- centes des Corsaires Moscovites. C'est par-là que passent tous les Esclaves qu'on amène de Circassie. Il y a un Cadi , dont il faut prendre un billet nommé Pendik , qui dé- clare l'Esclave pris ou vendu légitimement, qui marque son âge , et trace tous ses traits , pour le rendre reconnaissable , en cas qu'il vienne à s'enfuir. Sans ce Pendik , les Maîtres desdits Esclaves seraient traités de voleurs par-tout où ils passeraient ; et lorsqu'ils les vendent , ils en remettent le Pendik à celui qui les achète. > La province de l'Adda s'étend jusqu'à une rivière nommée Caracouban , qui lui sert de liinites, avec une grande peuplade de Tar- tares Nogais , qui sont d'une dKïbrmiié extraordinaire , et qu'on appelle Nog.iis Noirs à cause de leur air affreux. Ces Tartares ont leur chef particulier, qui prend là qua- lité de Bey. Lui et les siens reconnaissent le Kan ; mais quand ils sont ennuyés de la paix , ils ne demandent pas ses ordres pour faire des courses sur les terres du Czar , d'où ils ramènent toujours un grand nombre d'es- ET CURIE17SES. l85 claves. Il n'y a que deux ans, que dix mille de ces Nogais noirs entrèrent en Cosaquie, où ils firent huit cens esclaves. Le Czas l'ayant appris > envoya un de ses Boyards au Kan pour s*en plaindre. Le Kan , pour satis- faire le Gzar , envoya le Boyard avec un de SCS principaux Agas au Bey de ces Nogais, avec ordre de rendre les sujets du Gzar, qu'iU avaient pris. Le Bey assembla son Divan, où il fut résolu, toutd'une voix^ de direà l'Aga du Kan , que les Nogais Noirs avaient beaucoup de respect pour ses ordres ; mais que , n'ayant d'autre n?étier que celui de la guerre, ils ne pouvaient se résoudre à lâcher leur proie ; qu'ils permettaient cepen- dant aux Moscovites d'user de représailles , et de prendre autant de Nogais qu'ils en pour- raient rencontrer. Le Kan ayant su leur refus^ ordonna dans tous les lieux de sa dépendance qu'on ne laissât passer aucun de ces esclaves ^ et qu'on se gardât bien de l 's acheter ^ sous peine d'en perdre le prix , et de cinq cens coups de bâton pour l'acheteur. Les Nogais prirent bientôt leur parti. Ils menèrent leurs esclaves en Perse , à plus de trois cens lieues de là , où ils les vendirent le double de ce qu'ils auraient pu faire en Turquie. On peut juger si de tels voisins doivent être-fort agréa- bles aux Circasses. Le côté de la Circassie par où nous entrâ- mes , est plein de hautes montagnes et dé profondes vallées ^ ombragées de quantité de grands arbres. La capitale de ce canton est Cabartha. C'est de là que le Kan de Crimée M ■il I Il u |hM' ,1 i !:l: i; i i86 Lettres édifiantes tire ses plus grandes richesses en esclaves. Tout le monde y est d'une beauté enchantée. On n'y voit personne marqué de la petite Térole j par la manière dont ces peuples gou- vernent leurs enfans dans leur jeunesse. ' Il y a un Bey qui commande dans cette prpyincc sous l'autorité du Kan , fit qui a plusieurs autres gouverneurs sous lui. Ils sont obligés de donner pour tribut au Kaii trois cens esclaves ; savoir^ deux cens jeunes filles et cent garçons ^ cpi ne passent pas l'âge de vingt ans. Souvent les Bey s donnent leurs propres enfans , pour ^courager les pères et mères à ne pas soustraire les leurs. Lorsque les Beys Circasses ne sont pa^ d'accord entr'eux , ils envoient demander au Kan un Aga , et quelquefois un Prince du «ang pour décider leurs différends. Ces Com^ mîssaires ne s'en retournent pas les mains vidtfs. On leur fait présent de ce qu'il y a de plus beau et de mieux fait. Enfin , en Cii* eassie on fait un trafic d'hammesetdefemmes^ comme l'on fait ailleurs des autres marchan* dises. Leà Tartares Circasses se nouiTÎssent mieux que les Nogais. Ils mangent tous les jours du bœuf, du mouton, et de la volaille , et presque jamais du cheval. Leur pain est peu différent de la nourriture des Nogais. Il est de farine de millet pétrie à l'eau , dont ils font nnepâte mollasse , qu'ils cuisent à demi dans des moules de terre > et qu'ils mangeût J>resque brûlante. r Lé pays est beau et rempli d'arbres frui- •- KT CURlElfSCS. ^ 187 tiei^s , maïs sans culture , et arrosé de bonnci eaux. L'air y est aussi très-bon et très-sain. Je crois ^e ees deux choses , qui sont par*- ticulières h la Cii'eassie , peuvent beaucoup contribuer h donner aux Cifcasses cette fleur de beauté que les autres Tartares n'ont point. Ces peuple^ estiment fort les Chrétiens. Us se disent descendus des Génois , qui ont lon^-temps possédé la principale partie de ce grand pays^ Ils montrent encore en divers endroit» les ruines des villes qu'ils y avaient bâties. J'avais porté avec mci un habit Français et une peritique ^ suivant les ordres du Kan* Quand (e parus à Karbatha dans cet équipage, tout le monde Courait après moij meregardant comme un homme extraordinaire. Xja véné- ration qu'on» avait pour moi redoubla lors* qu'on sut que j'étais le premier Médecin àà K.an ; etpciu^ l'augmenter encore , je me dit Cénoid de naissÊiKnce. Lies Circasses venaient en troupe» m'adminsr. Je soutenais cette boniie opinion par un air grave et sérieux , quoique je n'eusse pas plus de trente - deux ans. Le Bey y charmé de ma sagesse et de mon prétendu pays , me proposa de me faire épouser une de ses nièces , à qui il donnerait pour dot trente esclaves , à condition toutefois que je ne m'éloignerais .pas de la Circassie plus loin que la Crimée , et que je lui en donnerais ma parole en présence du Kan. Je me débarrassai de ses offres du mieux qu'il me fut possible , h quoi je n'eus pas peu de peine , tant ses poursuites étaient vives cl : -y J;| ; 1:: m ■h' i ■: I' I CI ï8f^ LEttRES ÉDIFIAI^TES pressantes. Ce Bey et toute sa famille étaient lés meilleures gens du monde. J'eus envie de les baptiser ; mais comme il fallait aupara- vant les instruire des principaux mystères de notre Religion, et que , ne sachant pas la langue , il fallait m'éh rapporter à mon interprète, qui était Mahométan, et à qui je ne voulais pas confier mon dessein , je remis 'te projet h une autre fois , ne désespérant pas de trouvef quclqu'autre occasion de retourner en ce pays-là avec un de nos Pères Missionnaires de Bagchsaray. Outre les naturels i il y a en Circassie qua- tre sortes de nations ; celle des Tartares,, 3UÎ est la dominante ; celle des Crées et es Arméniens , qu'on né doit regarder que comme des gens de passage que le commerce y attire ; et celle des Juifs qui y résident. Pour les Circasses , on ne saurait dire quelle est leur Religion ^ n'ayant ni Prêtres , ni livres. Ils ont beaucoup de vénération pour les corps de leurs pères et de leurs autres parens , qu'ils mettent dans des cercueils de bois , et qu'ils suspendent aux branches des plus grands arbres. Ils ont aussi quelque dévotion pouf les images qu'on leur montre , sans s'informer du sujet qu'elles représentent. Les esclaves suivent la religion du maître qui les achète. S'il est Mahométan , ils deviennent Mahométans , et ainsi des autres. Les Beys fournissent quinze mille hommes au Kan lorsqu'ils en sont requis ; mais les Circasses sont peu propres h là guerre, quoi- qu'ils soient fort adroits ù tirer l'arc ; et on • , j» ' E T c u p I E r s r s. - f 1 8j) peut dire que ce soûl les moins belliqueux de toiis les Tarlares. Les Circasses , qui sont un si beau peu-*, pie , ont , comme j'ai dit, peur voisins, les jVogais noirs, qui sont horribles. Ils ont en^ core assez près d'eux , mais d'un autre côté , les Tarlares Caluiouks, qui sont des mons- tres de nature. Quand on les regarde en face , on ne sait de quelle couleur est leur visage , ni où sont leurs yeux et leur nez. Une partie de ces Calmouks est tributaire du Kan , et Taulrc partie du Czar. Ils sont obligeas tons, les ans au grand Bairam d'envoyer une dépu- tation au Kan de Crimée , pour lui souhaiter^ les bonnes fêtes , et lui apporter le tribut , qui consiste en deux chariots couverts , l'un, attelé de quatre chevaux , et l'autre de deux chameaux dans lequel il y a deux pelisses de martres zibelines , une pour le Prince , et l'autre pou r la Sultane Validé sa mère j ou pour la première de ses femmes. Ils donnent aussi des pelisses de martres h Sultan Kalga , à Sultan Nouradin , et à Orbey , qqi sont les trois premiers Princes fils ou frères «du Kan , de même qu'à son premier Visir , et au Mufti. La pelisse qu'on présente au Mufti est toujours la plus belle après celles qui sq donnent au Kan et à la Sultane Validé. . Le Chef de la députation est yn des prin- cipaux Calmouks. Quand ils sont à la porte Or , h l'Isthme de la Crimée , ils font avertir le R an de leur arrivée. On appelle en Français Porte-OiV, et en Turc Orkapi , la pQtUe ville Mtie sur cette lapgue de I0xre qui jpint 1^ il ..f ■ï:f. ■i <î :. jlr fpo Lettkcs édifiantes Crimée à 1^ terre ferme. C'est un poste plus propre à faire payer les douanes aentrée et de sortie , que capable de soutenir un siège , et qui n*a pour défense qu'une espèce de redoute, avec un boyau qui tient toute la largeur du passage. Cependant Orkapi se défendit il y a quelques années contre le Prince Gallichin , qui vint l'assiéger avec loo^ooo Moscovites ou Cosaques, et qui la battit pendant plusieurs jours avec trente pièces de canon. Sultan Kalga , fils aîné de Sultan Selim , alors Kan , et Généralissime de ses armées , vint la secourir avec un gros corps de Tartares ; et dans la retraite du Prince Gallichin , il lui prit vingt-sept piè- ces de canon , qu'on voit encore aujourd'hui à Guzlo , port de mer de Crimée. Dès que le Kaii est averti que les Députés Calmouks sont à Orkapi , il leur envoie un Chiaoux , avec ordre de les faire entrer et de les défrayer jusqu'à la Capitale. Ils sont admis à Taudience le second jour. Le Kiaia du Visir va les prendre à leur logement , et les conduit au Palais avec leurs présens. On leur donne le Kaftan , ensuite deux Capigis Bachis les prennent chacun par- dessous les bras , et ils sont menés de la sorte jusqu'à l'appartement. Alors ils se prosternent jus- qu'à terre , et luil>aisent le bas de la veste. ÏjR Kan leur dit qu'ils sont les bien-venus. Le premier Député l'assure de la fidélité de tous les Calmouks , et offre les présens. Uu moment après on les fait tous passer à l'ap- partejneut du Visir ^ où iU sont régalés de ostc plus entrée et un siège, spèce de , toute la )rkapi se contre le éger avec et qui la ec trente Ls aîné de éralissimc se un gros •etraite du L-sept pic- ujourd'hui es Députés envoie un entrer et Us sont Le Kiaia ement, et résens. On ux Capigis dessous les rte jusqu'à ment jus- le la veste. >ien-venus, fidélité de résens. Ui3i Bser à l'ap- régalés de ET c cm RUSE». 191 eafé , de sorbet et de parfum , suivant la coutume des Turcs. Le Kan leur fait fournir pendant leur séjour à Bagchsaray une sub- sistance joumalièi*e nommée Taym , en pain , viande , volailles , épiceries , beurre , bois , orge et paille pour leurs chevaux. Il leur donne des vestes de drap à Taudience do congé. Le Gzar est lui-même obligé d'en^^yer tous les ans au Kan des Tartares deux oiseaux" de proie nomméâ Songurs , qui sont estimés mille écus pièce. Avant le Traité de Car-» lowitz il lui payait cent mille écus en pelis- ses , ou en argent , pour empêcher les Tar-« tares de faire des excursions sur ses terres. Il fut réglé par ledit Traité que ce tribut serait aboli. Le Czar tient pour Tordinaire nn Résident h la porte du Kan , qui lui fait souvent des présens de la part de son Maître , particulièrement ou grand et au petit Bairam. Le Gzar porte toujours impatiemment le tribut des deux Songurç. Il dit , il y a quel- que temps h un Mirza , que le Kan lui avait envoyé pour quelques affaires , qu'il voulait éprouver ses forces contre lui à la première guerre , avec un nombre égal de troupes y. et qu'il fesait discipliner dix mille Mosco- vites pour ce combat ; que le Kan pouvait en faire de même \ qu'ils combattraient à la tête de leurs armées ; que s'il demeurait victo*^ rieux , il n'enverrait plus de Songur au Kan ; et quç s'il était vaincu , il consentait de rétablir l'ancien tribut , sans aucun égard pour le Traité de GarlowiU* I^ Mirza à son %. ;, i()^ Lettres ÉDIFIANTES retour , ayant rapporté cette parole , le Knu fit dire âU Gzar qu'il acceptait ce défi , sans attendre un renouvellement de guerre , et ;^ donna en même-temps un rendez-vous au ^ Czar dans les déserts qui séparent la Crimée de rUkraiae , où il se trouva au jour nommé avec dix mille Tartares ; mais le Czar man- Sua au rendez-vous , soit qu'il fût occupé 'aiHres affaires , soit qu'il crut qu'il ne con- venait pas à sa dignité de combattre avec dix mille hommes , ou qu'il ne trouvât pas ses troupes encore assez aguerries. Le Kan , après l'avoir attendu quinze jours, s'en revint à Bagchsaraysdns ostentation , et sans permettre aux Tartares de ramener au- cun esclave pouç se payer de leur perte. Ce Kan était Sultan Haggi Selim Guiray , père de Sultan Gazi Guiray , qui> règn^ aujour- d'hui , l'an 1707. Avant-que de finir cet écrit , où je mets les choses telles que je les sais , mais sans au- tre arrangement que celui que me fournit ma mémoire , je suis bien aise de dire , et on ne sera peut-être pas fâché d'apprendre la rai- son pourquoi le surnom de Guiray est affecté aux ILans de Tartarie. C'est une anecdote de eette famille Royale que j'ai apprise de la propre bouche de Sultan Haggi Selim , Prince d'un très-grand sens , et fort versé dans hi antiquités de sa maison. - Il y a près de deux siècles que les petits Tartares se trouvèrent dans une grande ' confusion de guerres civiles, où tous leurs Princes pédreat, à FçxcëptiQn d'un seul âgé de ET CURIEUSES. ^ 19^ de dix ans , qu*un Laboureur , nomme Gui- ray , sauva par compassion. Les Ttirtai'es se partagèrent en plusieurs factions , et la guerre devint parmi eux longue et sanglante. S'en étant enfin lassés , et ne pouvant s'accorder sur le choix d'un Prince , ils convinrent en- tr'eux que s'ils en pouvaient trouver un de la race de leurs Kans , ils le mettraient sur le Trône. Alors Guiray présenta le jeune Prince , qui avait dix-huit ans , et qu'il fit reconnaître h plusieurs marques certaines. Les Tartares se soumirent h lui , et la trau« quillité fut rétablie. Le jeune Kan. voulant donner à son nourricier et à son libérateur des marques de sa reconnaissance , le fit ap- peler, et lui demanda quelle grûce il desirait de lui. Le bon Laboureur lui dit qu'à son âge les richesses et les emplois ne le tou- chaient plus,, mais que sensible encore à l'honneur , il le priait de prendre son nom , et d'obliger les Princes ses ,descendans à le pprtçr ; et c'est depuis ce temps-là que les Princes Tartares joignent le nom de Guixay à leur |iom de circoncision. !(;',: «■ï" ■»— * Tome m. -ti^n'L^.m '.iV'-.ll '94 Lettres ÉDiFiAf^TES i*-* II LETTRE Pu Père Stcphan , Missionnaire de la Corn-* pagttié de JéiUs tifi dinïée de Tàrtarie ^ fiu Père Fhuriau de la mêtne Compagnie, Mon REVÊRENP PÈRÏ, Notre Mission à Bagchsaraj- , Capitale de la Crimée de Tatarie , devant son (établis- sement à feu M. le Marquis de Feriol , ci- devant Ambassadeur à la Porte Ottomane ^ JBt à yos «oins , tt à vos sollicitations en France, il est juste de vous en donner sou- vent des nouvelles. Jje peu de commodités que nous avons poUr faire passer ncis Lettres ^n Ëuix>pe , est cause que vous n'en recevez que rarement. C'est donc âv^c joie que je profite de l'occasion qui èe présente très-à-* toropos , pour avoir l'honneur de vous écrire , et vous fairoir se défendre , jugea sensément que le parti le plus sûr était de monter promptement à cheval avec quelques domestiques , et de se retirer hors de la Crimée , pour ne pas de- meurer h. la merci d'un pareil ennemi \ ce qu'il exécuta sur-le-champ. La garde qui le devait arrêter , vint încon- tincàit instruire le Kan de la fuite du Chi- rhibey. Le Kan fit courir après lui ; mais jjvec ordre qu'on le laissât aller où il vou- drait , sitôt qu'il serait sorti de la Crimée ; car son dessein était qu'on dît dans le public que le Cliirmbey s'était lui-même banni de son pays. Tout fut ainsi exécuté. Nous avons appris depuis ce temps -là qu'il était allé en Cir- ET CURIEUSES. 'ar>3 eassre , pour sejeiiicr ensuite dans le paya à'Aberas, Je vous laisse h penser , mon Révérend Père , quelle fut dans cette conjoncture 1^ terreur de nos Catholiques et notre crainte pour notre Mission. Nous perdions la pro* tection que le Chirinbey nous donnait , et nous nous croyions continuellement exposés à voir notre Chapelle et notre maison pillées^ et peut-être détruites par les Schismatiques , ennemis plus à craindre que les Turgs mêmes. Mais la Providence , qui a souvent fait voir les eiTets de ses soins à l'égard de notre Mis- sion , nous a donné dans cette occasion une nouvelle marque de son assistance , d'autai^t plus sensible que nous devions moins noi^s attendre au moyen doi^t elle s'est servie pour venir a notre secours -, vous en jugerez , mon Révérend Père , par ce que je vais vous en dire. ^ . , ^- Le nouveau Kan était venu en Crimée , avec l'incommodité d'une petite plaie à son bras. Il n'avait trouvé jusqu'à présent per- sonne qui l'en eût guéri parfaitement. |1 apprit par occasion que les Missionnaires établis en cette ville , recevaient souvent des remèdes de France ; qu'ils en assistaient gra- tuitement les malades, et que les malaaes qui en usaient s'en trouvaient très-bien. Le Kan , qui voulait guérir , envoya chez nous pour nous prier de lui porter de nos remèdes. Le Père de la Tour continuelle- ment occupé des oeuvres de charité auprès 16 ;•■. y l' II* 2io4 Lettres éniFiAifTEs des mnladcs , et qui se charge de là distribu- tion de nos remèdes, lui porta ceux qu'il jugea les plus convenables à sa plaie , dont il avait pris soin de se faire instruire, et le Kiin le revint avec toute la bienveillance qu'un malade témoigne à un Médecin dont il attend sa giiérison. Le Père de la Tour lui apprit la manière •de se servir des remèdes c^u'it lui laissa. t. Quelques semaines après , le Kan l'en- voya chercher , pour lui dire la satisfaction qu'il avait de l'onguent qu'il lui avait apporté ; ' et pour lui en donner une marque , il lui 'assigna, ce qu'on appelle en Crimée^ une pension journalière , c'est-à-dire , huit cens dragines de viande , trois pains , et deux chandelles chaque jour. Cette pension a fort accommodé notre Maison ; car vous savez , mon Révérend Père , qu'elle n'est pas h son aise : mais le succès des remèdes du Père de la Tour fit encore mieux pour notre Mission ; ' car , lorsque le Kan fut entièrement guéri , il appela son bienfaiteur , et lui demanda ce qu'il pouvait faire pour son service , l'assurant qu'il ne pourrait rien lui refuser. Le Père de la Tour profita de rbccasion si favorable que la Providence lui donnait, pour demander au Kan une unique grâce , qui était d'honorer sa Mission et celle de ses Frères d'une Patente de protection , afin qu'ils pussent sûrement et librement conti- nuer leurs services à tous ceux qui en auraient besoin , et qui s'adresseraient à eux. Le Kan fut ravi de pouvoir lui accorder ET CURIEUSES. ao5 une faveur , qui ne lui coûtait que du papier. Il ordonna sui^-le-cliamprexpcdition de cette Patente , et il voulut lui-mc^me la remettre entre les mains du Père de la Tour. Vous ne sauriez croire , mon Révérend Père , tous les avantages que nous retirons de cette Patente. Elle nous donne la facilité de faire nos fonctions dans n^tre Maison , et au-deliors. Les Arméniens et les Grecs viennent librcr ment chez nous , et nous allons cliez eux les instruire , eux et leurs enfans , baptiser ceux- ci , et administrer les Sacr( mens de TEglise aux autres ; assister les moribonds , et en un mot rendre tous les services qui dépendent de notre ministère. > Après vous avoir fait part , mon Révérend Père , do cette dernière marque de l'assis- tance divine , quUl plut h Dieu d'nccordcr à notre Mission , je reviens au récit de tout ce qui suivît la fuite du Chirinbej. Quoique temps après sa fuite , dont le I^an n'avait pas manqué de donner avis au Grand- Visir , il reçut ordre du Grand-Seigneur de lever dans la Petite Tartane dix mille Tarr tares , pour aller en Perse venger le sang l'artare qui venait d'y être répandu. Le principal motif de cette levée était d'aiFaiblir les forces de la Crimée par dix mille hom- mes de moins qui l'auraient défendue. Le ATn/t , qui , selon les apparences, s'était fait donner l'ordre de cette levée , l'exéciita promptement et ponctuellement. 11 fil mar- cher en campagne les dix mille fartares. !l|n I yk' i3" ao6 Lettres édiyiartes Après cette expédition , qui le rendait le plus fort dans la Crimée , il entreprit de la réduire sous TEmpiro absolu du Grand- Seigneur. Pour en venir k bout , il ût faire la rechercbe des Chitins les plus riches et les plus attachés au Chirinbey ; et, sous prétexte de leur rébellion aux ordres du Grand-Seigneur , il fit trancher la tête aux uns , et envoya les autres dans différens coins de la Petite Tartarie , si déserts et si stériles , qu'ils n'y pourraient pas vivre long-temps sans y périr de misère ; en effet , nous avons déjà appris que plusieurs d'entr eux y sont morts : ce qui reste ici présentement de Chirins sont si misérables , qu'ils sont hors d'état de donner de l'inquiétude à la Porte. C'est par ces moyens que le Kan , sans guerre civile, a détruit cette nombreuse et puissante famille. des Chirins ^ et tous leurs anciens privilèges avec eux. Vous me demanderez ici , mon Révérend Père , quel a été l'état de notre Mission pen- dant ce temps d'alarmes ; je vous dirai qu'à la faveur de nos Patentes de protection , per- sonne ne nous a dit mot ; que les Grecs et que les Arméniens softt venus à l'ordinaire chez nous ; que nous avons été chez eux , et que jious avons même la consolation de voir que la ferveur des Catholiques , malgré la crainte des persécutions si ordinaires en ce pays , augmente bien loin de diminuer. Ils aiment la prière , et ils la font 'aimer en les voyant prier. Ils approchent très-souvent de •nos saints mystères. Ils ont une docil/ié ET CORIEUSCS. 20^ admirable pour ceux qui les gouvernent ; l'union eiitr*eux est si parfaite , qu'ils s'ap- pellent frères. Si leur commerce fait naitie quelque procès enfr'eux , ils s'en rappor- tent volontiers h un tiers , et s'en tiennent à sa décision. Us ont un grand soin de l'éduca- tion de leurs cnfans , et ils les accoutument par leur exemple et par leur conduite à un continuel travail. Au-surplus, la Catholicité est gravée si avant dans, leur cœur , qu'on les trouverait toujours prêts à perdre plutôt leurs biens et leur vie même , que la Reli- gion , dont ils font une profession ouverte. Les Catholiques d'une petite ville qui est à douze lieues d'ici nommée Cajfa , viennent de nous donner des preuves éclatantes de la sincérité de leur foi. Le Bâcha de cette ville voulant s'enrichir *, fut conseillé par des Schismaliques de le faire aux dépens des Catholiques ; ils l'assurèrent qu'ils étaient les plus riches du pays, et qu'ils avaient toujours de l'argent caché chez eux. Le Bâcha , pour profiter de cet avis , leur en fit demander par son Lieutenant ; cet Officier leur fit entendre qu'il y allait de la prison , s'ils ne satisfaisaient pas incessam- ment le Bâcha, La crainte du cachot était bien moins grande pour eux , que celle de s'attirer , par leur refus , la perle du libre exercice de leur Religion. Ils se cotloèrcnt tous pour faire la somme qu'on leur demandait. Le Lieutenant leur fit espérer que moyennant celte sommé on les laisserait en paix. Mais la Providence •i "K '•iJi ,ÎL. I m m ll;!î- ■;' M'! ••# 208 Lettres édifiantes prit soin de les venger , quelque temps après, de la violence et de l'injustice qu'on leur fesait ; car le Kasioshen , c'est-à-dire le Mufti , Général de toute la Crimée , ayant été informé de cette injuste avanie , déposa le Cadiy pour ne s'être pas opposé à cette .vexation du Bâcha ^ et envoya ordre au Baclia de restîtuet* sur l'heure l'argent qu'il avait injustement reçu , et l'avertit en même- temps qu'il y allait de sa tête , s'il forçait , comme il fesait , par ses vexations , les sujets du Grand-Seigneur, de sortir de ses Etats pour aller en Pologne , et dans d'autres Iloyaumes , mettre leurs biens et leur vie . en sûreté. ; Cette action de justice a bien consolé nos Catholiques j et a augmenté leur confiance en Dieu , qui daigne prendre leur cause en main , et leur donner souvent des preuves de ses soins paternels. Nous les recommandons à vos saints sacriQces , et à ceux de tous nos Pères. Je vous demande en particulier pour moi le secours de vos prières. J'ai l'honneur d'être avec respect, etc tT. CURIEUSES. aog RELATION Abrégée du voyage que M. Charles Ponce t^ Médecin F^rançais , fit en Ethiopie en 1698, 1699 et i-joo. J E partis du Caire , Capitale de l'Egypte , le 10 Juin de Tannée 1698 , avec Hagi Ali • Officier de l'Empereur d'Elhiopie , et le Père Charles-François Xavier de Brevedent , Mis- sionnaire de la Compagnie de Jésus. Nous nous embarquàines sur le Nil à Boulack , qui est à demi-lieue 4e cette ville. Comme les eaux étaient basses et ni6s Pilotes fort ignor rans , nous employâmes quinze jours pour nous rendre à Manfelout , quoiqu'on tasse ce voyage en cinq jours ^ quand la rivière est grosse et le vent favorable. Majifelout est une ville de la haute Egypte , favorable pour le commerce des toiles. Le Grand-Seigneur y tient cinq cens Janissaires et deux cens Spahis en garnison , pour empêcher les excursions , des Arabes qui désolent tout ce pays. Le rendez-vous des caravanes de Sennar el d'Ethiopie est à Ibnali , demi-lieue au- dessus de Manfelout. Nous campâmes dans ce village pour attendre que toute la caravane se fiit assemblée , et nous y demeurâmes plus de trois mois sous nos tentes , où nous souf- frîmes beaucoup ; car les chaleurs de ce pays sont insupportables , sur-tout aux Ëûro- filO L ET.TRES ÉDIFIANTES péens , qui rij sont pas accoutumés. Le soleil est si brûlant , que depuis dix heures du matin jusqu'au soir, nous avions de la peine à respirer. Après avoir acheté des chameaux et fait toutes les provisions néces- saires pour passer les déserts de la Lybie j nous quittâmes ce désagréable séjour le 24 Septembre sur les trois heures après midi , et nous allâmes coucher à une lieue e^ demi de là , sur le bord oriental du Nil , dans un lieu nomme Cantara , où il nous fallut en- core camper pendant quelques jours pour attendre les Marchands de Girgé et deSiout , qui n'étaient pas encore arrivés. • j. Un Parent du Roi de Sennar m'invilâ à aller à Siout , et m'envoya un cheval arabe^ Je passai le Nil sur un pont fort large et bâti de belles pierres de taille. Je crois que c'est le seul pont qui soit sur cette rivière , et j'y arrivai en quatre heures de chemin. Je vis les restes d'un ancien et magnifique amphi* théâtre avec quielques mausolées des anciens Komains. La ville de Siout est environnée Ae jardins délicieux et de beaux palmiers , qui portent les plus excellentes dattes que l'on mange en Egypte. Ayant trouvé à mon retour tout le monde assemblé , nous partî- mes le deuxième d'Octobre de grand matin , et nous entrâmes dès ce jour-là dans un désert affreux. On court de grands dangers dans ces déserts , parce que les sables étant mouvans , s'élèvent au moindre vent , obscurcissent l'air , et retombant ensuite en forme de pluie , «nsevelissent souvent les voyageurs , 1 •< -' 1 -.1 .i , : ■ £ T r. t R I E u s B s. ait ou du moins leur font perdre la route qu4U doivent tenir. L'on garde un grand ordre dans la marche des caravanes. Outre le Chef qui décide de toutes les disputes et de tous les différendt qui surviennent , il y a les Conducteurs qui marchent à la tête de la caravane , et qui donnent le signal pour partir et pour s'arrê- ter , en frappant sur une petite timbale. On se met en route trois ou quatre heures avant le jour ; il faut que tous les chameaux et toutes les bêtes de charge soient prêts en ce temps-là ; on ne peut perdre de vue la cara- vane , ni s'en écarter sans se mettre dans un danger évident de périr. Ceuxquilaccmdui*- sent sont si habiles , que quoiqu'il ne paraisse aucune trace sur le sable , ils ne lui font jamais prendre le moindre détour. Après avoir marché jusqu'à midi , on s'arrête une demi-heure sans décharger les chameaux , et l'on prend un peu de repos , après quoi l'on poursuit sa route jusqu'à trois ou quatre heures de nuit. Comme on gacde dans tout les campemens le rang qu'on a eu le jour du dépaiH , il n'y a jamais sur cela la moindre dispute entre les voyageurs. Nous arrivâmes le 6 d'Oclol)re à Helaouéi c'est une assez grosse bourgade , et la der- nière qui dépende du Grand-Seigueur. Il y a une garnison de cinq cens Janissaires et de trois cens Spahis, sous un Olïï^ier qu'on appelle en ce pays-là Kachif- Helaoiié. L'endroit est fort agréable , et répond par- faitement à son nom , (|ui signifie po^j d^ ■i.;>-a' Ip fî'l'l 'Il aia Lettres ÉDIFIANTES douceur. On y voit quantité de jardins arro- sés de ruisseaux , et un grand nombre de palmiers toujours verts. On y trouve de la coloquinte , et toutes les campagnes sont remplies de séné^ qui croit sur un arbris- seau haut d'environ trois pieds. Cette dro- gue , dont on ne croit pas se pouvoir passer en Europe , n'est d'aucun usage en ce pays- là. Les habitans à'Helaoûé, ne se servent dans leurs maladies que de la racine de VKzula , qu'ils font infuser dans du lait pen- dant une nuit , et qu'ils prennent le lende- main après l'avoir fait passer par un tamis. ,Ce remède est très-violent , mais il est h leur goût, et ils s'en louent beaucoup. \JEzula ^est un gros arbre , dont la fleur est bleue. Il se forme de cettç fleur une espèce de ballca ovale plein de coton dont les gens du pays font des toiles assez fines. Nous demeurâmes quatre jours à Helaoûé -pour prendre de l'eau et des vivres ; car nous devions passer un désert où l'on ne trouve ui fontaines , ni ruisseaux. La chaleur est si grande , et les sables de ces déserts sont si bnilans , qu'on ne peut y marcher nu- piods , sans les voir bientôt extraordinaire- ment enflés. Les nuits cependant sont assez froides ; ce qui cause à ceux qui voyagent en ce pays-lH , de fâcheuses maladies , s'ils ne pren- nent de grandes précautions. Après deux jours de marche nous arrivâmes à Chahbé (i) , (i) Chahlé signifie en Arflilje de l'alun. C'est à Chabbé 3ue commence le Bnyaume de C onio^a , qui dépend e celui de Sennar. (Note de l'ancienne édition ) ET CURIEUSES. 2l3 qui est un pays plein d'alun , et trois jours après h Selyme , oii nous prîmes de l'eau pour cinq jours dans une excellente source , qui est au milieu de ce désert. Ces vastes solitudes , où Ton ne trouve ni oiseaux , ni bêtes sauvages , ni herbes , ni même aucun moucheron , et où Ton ne voit que des montai gnes de sable , des carcasses et des ossemens de chameaux , impriment en Tâme je ne sais quelle horreur, qui rend ce voyage ennuyeux et désagréable. 11 serait bien difficile de tra- verser ces terribles déserts sans le secours des chameaux. Ces animaux sont six et sept jours sans boire et sans manger ; ce que je n'aurais jamais pu croire , si je ne l'avais observé avec exactitude. Ce qui est plus surprenant , c'est qu'un vénérable vieillard , frère du Patriar- clie d'Ethiopie j qui était dans notre cara- vane , m'assura qu'ayant fait deux fois le voyage de Seljme à Sudan dans le pays des Nègres , et ayant employé chaque fois qua- rante jours à passer par les déserts qu'où trouve dans cette route , les chameaux de sa caravane ne burent ni ne mangèrent pendant tout ce temps^lù (i). Trois ou quatre heures (i) Ce que Messieurs des Missions Etrangères raar- quenl en leur dernière Relation , n'est pas moins sur- prenant. Voici ce qu'ils rapportent de quelques Chrétien» de la Cochinchine , qui sont morts pour la défense do la Foi. Ve.t quatre antres qui restaient en prison , trois ont eomlattu jusqu'à la mort contre lajliim et la soij'j mais ■plus long-temps qu'on ne pourra peut-être croire en Eu- rope. Car je Joute que l on puisse se persuader qu'ils aient pu vivre autant qu'ils ont vécu sans boire et sans .•;i<^ .1 ■'■■i i-f. ,* 'H vm^ % ( w : l >\ tkàïu. ■i «il VU" 2i4 Lettres édifiantes de repos chaque nuit les soutiennent , et suppléent au défaut de nourriture , qu'il ne leur faut donner qu'après les avoir fait boire , parce qu'autrement ils crèveraient. Le Royaume de Sudan est à l'Ouest de celui de Sennar, Les Marchands de la haute Egypte y vont chercher de l'or et des escla- ves. Les Rois de Sennar et de Sudan sont presque toujours en guerre. Pour ce qui est des mulets et des ânes , dont on se sert aussi pour traverser ces déserts , on ne leur donne chaque jour qu'une petite mesure d'eau. t^ 'Le 26 Octobre nous arrivâmes à il/ac/zoz/ , grosse bourgade sur le bord oriental du Ni h Ce fleuve forme en cet endroit deux grandes îles remplies de palmiers , de séné et de colo- quinte. Machou y le seul lieu habité depuis Helaoilé , est dans la province de Tungi ; il appartient au Roi de Sennar , et fait le commencement du pays des Barauras , que nous appelons Barbarins, \JErhab ou le Gouverneur de cette Province , ayant appris que l'Empereur d'Ethiopie nous appelait à sa Cour , nous invita à venir à jirgos où il demeure. Cette bourgade est vis-à-vis de Machou , de l'autre côté du Nil ; nous y allumes en bateau. Le Gouverneur nous reçut avec beaucoup d'honnêteté , et nous régala pendant deux jours , ce qui nous fit tnanf^er. Le premier Jiit M. Laitrençon , (fui ne mourut ifue le quarantième jour de sa prison. Le saint vieillard ^ntoine le suivit trois jours après , et Madamf yJf^.iès porta ses langueurs jusqu'au quarante-sixième jour , qu'elle expira doucement. ( Note de Taiicienae édi^iou. ) aiS C T • C U R I E U 8 £ s. plaisir , après les grandes fatigues que nous venions d'essuyer. Le grand Douanier , qui est fils du Roi de Dongola , demeure aussi à Afgos, Ce Prince ne parait jamais en public , que monté sur un cpeval , couvert de deux cens clochettes de bronze , qui font un grand bruit, et qu'accompagné de vingt mousque-* taires , et de deux cens soldats armés de lances et de sabres. Il vint visiter nos tentes , où Ton lui présenta du café , et où l'on paya les droits qui consistent en savon et en toi- les. Il nous fit l'honneur de nous inviter le lendemain à diner. Nous y allumes à l'heure marquée. Son palais est grand et bâti de briques cuites au soleil ; les murailles sont fort élevées et flanquées d'espace en espace de grosses tours carrées sans embrasures , parce que l'on n'a point en ce pays-lh l'usage du canon , mais seulement celui du mous« quel. Après avoir dfciiieuré huit jours à Machou , nous en partîmes le 4 ^e Novembre , et nous arrivâmes le i3 du même mois h Dongolai Tout le pays que nous trouvâmes dans notre route jusqu'à cette ville , et même jusqu'à celle de Sennar , est un pays très-agréable ; mais il n'a qu'environ une lieue de largeur» Ce ne sont iau-Klelà que des déserts affreux. Le Nil passe au milieu de cette délicieuse plaine. Les bords en sont hauts et élevés ; ainsi ce n'est point l'inondation de ce fleuve qui cause , comme cn Egypte , la fertilité de cette campagne , mais l'industrie et le travail des habitaus. Comme il ne pleut que très-* ;■ ? ¥\:M4l ■.i f'Hii:! , .jji : .■■,'. -! Il ■ 'm i '■■m 'i: -lin iii, . • ' ■ t.; ,'■ ;i ! 1 216 Lettres édifiantes rarement en ce pays-là , ils ont soin d'élever , par le moyen de certaines roues , que des hœufs font tourner , une quantité prodi- gieuse d'eaux qu'ih conduisent par le milieu des terres , dans d( s réservoirs destinés à* les recevoir ; d'où ils les tirent ensuite , quand ils en ont besoin pour arroser leurs terres, qui seraient stériles et incultes sans ce secours. On ne se sert point d'argent en ce pays-là pour le commerce ; tout s'y fait par échange comme dans les premiers temps. Avec du poivre , de l'anis , du fenouil , du clou de girofle , du chourga , qui est de la laine teinte en bleu , du spica de France , du mahaleb d'Egypte , et autres choses semblia- bles , les voyageurs achètent les vivres qui leur sont nécessaires. On ne mange que du pain de Dora , qui est un petit grain rond , dont on se sert aussi pour faire une espèce de bière épaisse et d'un très-mauvais goût. Comme elle ne se conserve pas , on est obligé d'en faire presque à toute heure. Un homme qui a du pain de Dora et une calebasse pleine de cette désagréable liqueur, dont ils boi- vent jusqu'à s'enivrer , se croit heureux et en état de faire bonne chère. Avec une nourri- ture si légère , ces gens-là se portent bien , et sont plus robustes et plus forts que les Européens. Leurs maisons sont de terre . basses ., et couvertes de cannes de Dora, Mais leurs chevaux sont parfaitement beaux, et ils sont habiles à les dresser au manège. Leurs selles ont des appuis fort hauts ; ce C[jii le$. fatigue beaucoup. Les personnes de qualité n d'élever , , que des lié procli- ir le milieu stinés ù les île, quand urs terres , ce secours. i ce pays-là >ar échange . Avec cîu du clou de de la laine i'rance , du >ses sembla- i vivres qui inge que du grain rond, une espèce luvais goût. m est obligé Un homme :)asse pleine ont ils boi- sureux et en une nourri- )rtent bien , orts que les t de terre , de Dora, nent beaux, au manège. t hauts ; ce lersonnes de qualité • ETCURirrsES. 217 qualité ont la léle nue , et Ic's cheveux tressés assez proprement. Tout leur habit consiste dans une espèce d(î veste assez mal-propre et sans manches , et leur chaussure dans ime simple semelle qu'ils attachent avec des cour- roies. Les gens du commun s'enveloppent d'une pièce de toile qu'ils mettent autour de leur corps en cent manières diiTérentcs. Les enfans sont presque nus. Les hommes ont tous une lance qu'ils portent par->tout ; le fer en est crochu ; il y en a de fort propres ; ceux qui ont des épées , les portent pendues au bras gauche. Les juremens et les blasphè* mes sont fort en usage parmi ces peuples grossiers , qui d'ailleurs sont si débauchés , qu'ils n'ont ni pudeur , ni politesse , ni reli^ gîon ; car quoiqu'ils fassent aujourd'hui pro- fession du Mahométisme , ils n'en savent que la profession de foi , qu'ils répètent à tous momens. Ce qui est déplorable , et ce qui tirait les larmes des yeux au Père de Brevc- dent , mon cher compagnon , c'est qu'il n'y a pas long-temps que ce pays était Chrétien , et qu'il n'a perdu la foi que parce qu'il ne s'est trouvé personne qui ait eu assez de zèle pour se consacrer à l'instruction de celte nation abandonnée. Nous trouvâmes encore sur notre route quantité d'hermitagcs et d'Eglises à demi ruinées. ?. Nous allâmes à petites journées de Macîioa à DongoVa , pour nous délasser un peu de» grandes traites que nous avions faites en tra- versant les déserts. Il n'y avait que deux ans que tout ce pays avait été désolé par la peste. Tome ///. li. r ' ■ 1 H>!J ?, iS Lettres ÉDIFIANTES Elle fut si violente au Caire , où j'étais cette année-lù , 1696 , et où je m'exposai au service des pestiférés , qu'on assure qu'il y mourait jusqu'à dix mille personnes chaque jour. Ce terrible fléau ravagea toute la haute Egypte et le pays des Barbarins ; de sorte que nous trouvâmes plusieurs villes et un grand nom- bre de villages sans habitans , et de grandes rampagnes^ autrefois très-fertiles ^ tout-à-fait incultes et entièrement abandonnées. Quand nous fûmes à h vue de la ville de Dongola , le conducteur de notre caravane se détacha, et alla demander au Roi la permission d'y entrer avec sa compagnie , ce qu'on lui ac- corda avec plaisir. Nous étions alors dans un village qui sert comme de faubourg à cette ville , et nous passâmes la rivière dans un grand bateau» que le Prince entretient pour la com- modité du public ; les marchandises payent iin droit» mais les passagers re payent rien. La ville de Dongola est située au bord oriental du Nil , sur le penchant d'une col- line sèche et sabloneuse ; les maisons sont très«-mal bâti^s , et les rues à moitié désertes , «et remplies de monceaux de sable , que les 'ravines y entraînent de la montagne. Le châ- teau est au centre de la ville ; il est grand et spacieux » mais les fortifications sont ^eu de chose. Il tient dans le respect les Arabes , qui occupent la campagne » où ils font paitre librement fleurs troupeaux , en payant un léger tribu au Mek (i^ ou Roi de Dongola, ( (1) LeMelc ou Malek de Dongola f s'appelle Achinct> Note de i'ancienue édition. ) ETCU RIEUSE s. 2l(^ p9'ous eûmes l'honneur de manger plusieurs fois avec ce Prince , mais à une table séparée de la sienne. Dans la première audience 3u'il nous donna , il était vêtu d'une veste u velours vert, qui traînait jusqu'à terre. Sa garde est noni])reuse. Ceux qui sont près de sa personne , portent une longue épée devant eux dans le fourreau. Les gardes du dehors ont des demi-piques. Ce Prince nous vint voir dans notre tente , et comme j'avais réussi dans quelques cures que j'avais entre- prises , il nous invita à demeurer à sa Cour ; mais dès que nous lui eûmes marqué que nous avions des engagemens avec TËmpe- reur d'Ethiopie , il ne nous fît plus aucune instance. Son Royaume est héréditaire ; mais il paye tribut au Roi de Sennar. Nous partîmes de Dongola le 6 Janvier de l'année 1699, et nous entrâmes quatre jours après dans le royaume de Sennar. UErbad Ibrahim , frère du premier Ministre du Roi , que nous trouvâmes sur cette frontière , nous reçut avec honneur , et nous défraya^ jusqu'à Korty , grosse bourgade sur le Nil , où il nous accompagna , et où nous arrivâmes le i3 Janvier. Comme les petiples, qui sont au-dessus de Korty > le long du Nil , se sont révoltés contre le Koi de Sennar , et qu'ils pillent les caravanes quand elles passent sur leurs terres , on est obligé de s'éloigner des bords de ce fleuve , de prendre sa route entre l'Ouest et le Midi , et d'entrer dans le grand désert de Bihouda , qu'on ne peut traverser qu'en cinq jours , quelque diligence que l'on K a ^-'f 'V': M;J '; r:i, 910 Lettres édifiantes fasse. Ce déseit n'est pas si affreux que ceux de la Lybie , où Ton ne voit que du sable ; on trouve de tempii>en-tenips en celui-ci des lierbes et des arbres. Après l'avoir passé , nous revinmes sur le bord du Nil , h Deirrera , grosse bourg partemens de ce Palais sont ^ssez richement meublés , avec de grands tapis à la manière du Levant. On nous présenta au Roi dès le lendemain de notre arrivée. On commença par nous faire quitter nos souliers ; c'est un point de cérémonial qu'il faut que les étrangers gar- dent ; car pour les sujets du Prince , ils ne doivent jamais paraître devant lui que les pieds nus. Nous entrftmes d'abord dans une grande cour pavée de carreaux àc fayencc de différentes couleurs. Elle était bordée do gardes armés de lances. Quand nous l'eûmes presque toute traversée , on lous arrêta de- vant une pierre qui est proche d'un salon ouvert i où le Roi a coutume de donner audience aux Ambassadeurs. Nous saluâmes là le Roi selon la coutume du pays , en nous mettant à genoux , et baisant trois fois la (i) C'est peut-être une erreur de cIiiiTre. Senuar est «'t i5 degrés 4 minutes. de donner is saluâmes V's , en nous rois fois la tT CURIEUSES. a?3 terre. Le Prince , ûgé de dix-neuf ans , est noir , mais bien fait , et d'une taille majes- tueuse , n'ayant point les lèvres grosses ni le nez écrasé , comme les ont ses sujets. Il était assis sur un lit fort propre , en forme de canapé, les jambes croisées l'une sur l'au- tre , à la manière des Orientaux , et environné d'une vingtaine de vieillards , assis comme lui , mais un peu plus bas. Il était vêtu d'une longue veste de soie brodée d'or , et ceint d'une espèce d'écharpe de toile de coton très- fîne. Il avait sur sa tête un turban blanc. Les vieillards étaient à-peu-près vêtus de la même manière. Le premier Ministre , à l'en- trée du salon et debout , portait la parole au Roi , et nous répondait de sa part. Nous saluâmes une seconde fois ce Prince , comme nous avions fait dans la cour , et nous lui pré- sentâmes quelques cristaux et quelques curio- sités d'Europe, qu'il reçut avec agrément. Il nous fit plusieurs questions , qui marquent que ce Prince esi curieux , et qu'il a beau- coup d'esprit. Il nous parla du sujet de notre yoyage , et nous parut avoir beaucoup d'atta- chement et de respect pour l'Empereur d'Ethiopie. Après une heure d'audience , nous nous retirâmes , en fesant trois profon- des révérences. Il nous fit accompagner par ses gardes jusqu'à la maison où nous logions, et nous envoya de grands vases remplis de beurre , de miel et d'autres rafraîchisseraens , avec deux bœufs et deux moutons. Ce Prince va deux fois la semaine dîner à une de ses maisons de campagne , qui est à K 4 I ''•,11 ■ m ■r . .!fl /mi ''m V [î ■m ■'■à m 'Illt '^■ii I 3.» ii mi m iH*l' i ■■ '■!•■ aft4 Lettres édifiantes une lieue de la ville. Voici l'ordre qu'il tient dans sa marche. Trois à quatre cens cavaliers , montés sur de très-beaux chevaux , parais- sent d'abord. Le Roi vient ensuite, environné d'un grand nombre de valets-de-pied et de soldats armés, qui chantent à haute voix ses louanges , et qui jouent du tambour de bas- que , ce qui fait une assez agréable harmonie. Sept à huit cens filles ou femmes marchent pêle-mêle avec ces soldats , et portent sur leurs têtes de grands paniers ronds , de paille de diverses couleurs , et très-bien travaillés. Ces paniers, quireprésentent toute sorte de fleurs, et dont le couvercle est en pyramide , cou- vrent des plats de cuivre étamés et remplis de fruits et de viandes toutes préparées. Ces plats sont servis devant le Roi , et on les dis- tribue ensuite à ceux qui ont l'honneur de l'accompagner. Deux ou trois cens cavaliers suivent dans le même ordre que les premiers , et ferment toute cette marche. Le Roi , qui ne paraît jamais en public que le visage couvert d'une gaze de soie de plu- sieurs couleurs , se met à table sitôt qu'il est arrivé. Le divertissement le plus ordinaire de ce Prince est de proposer des prix aux Sei- gneurs de sa Cour , et de tirer avec eux nu blanc avec le fusil, dont ils n'ont pas encore fait grand usage. Après avoir passé la plus grande partie du jour dans cet exercice , il retourne le soir à la ville , dans le même ordre qu'il en est sorti le malin. Cette promenade se fait régulièrement le Mercredi et le Samedi de chaque Semaine. Les autres jours , il tient H ;!■ ET CURIEUSES. 27.5 conseil matin et soir , t;t s'applique à rendre la justice à ses sujets , dont il ne laisse aucun crime impuni. On ne cherche pas en ce pays-lh à proIon{;er les procès. Aussitôt qu'un criminel est arrêté , on le présente au Juge , qui l'interroge , et qui le condamne à mort , s'il est coupable. La Sentence s'exécute sur- le-champ : on prend le criminel , on le ren- verse par terre , et on le frappe sur la poi- tq^e à grands coups de bâton , jusqu'à ce qu'il expire. C'est ainsi qu'on traita pendant notre séjour^ Sennar , un Ethiopien , nommé Joseph , qui avait eu le malheur de quitter quelque temps auparavant la Religion chré- tienne pour embrasser le Mahométisme. Après cette terrible exécution , on m'ap- porta une petite fille Mahomélane ûgée de cinq à six mois , pour la traiter d'une mala- die ; comme cet enfant était à l'extrémité , et sans espérance de vie, le Père de Brevcdent la baptisa sous prétexte de lui donner un remède , et cette fille fut assez heureuse pour mourir après avoir reçu le saint Baptême. En quoi il semble que Dieu , par sa merveil- leuse Providence, avait voulu remplacer la perle de ce malheureux Ethiopien. Le Père de Brevedent , de son côté , était si pénétré de joie d'avoir ouvert le Ciel à cette ame , qu'il m'assurait , avec un transport que je ne puis exprimer , que quand il n'aurait fait que cela en sa vie , il se tenait pour bien ré- compensé de toutes les peines et de toutes les fatigues qu'il avait eues en ce voyage. Tout est à grand marché à Sennar* Un K 5 .liui U' ;: h? 'W 226 Lettres édifiantes cliameau ne coûte qilt sept à huit livres, un bœuf cinquante sous , un mouton quinze , et une poule un sou. Il en est ainsi à proportion des autres denrées. Le pain de froment n'est pas du goût de ces peuples ; ils n'en font que pour les étrangers. Celui dont ils se servent est de dora , qui est un petit grain dont j'ai déjà parlé. Ce pain est bon , quand il est frais , mais après un jour il est insipide , et on ne peut en manger ; c'est une espèce i'e gâteau fort large et de l'épaisseur d'un écu. I^ marchandises de ce pays sont les dents d'éléphant , le tamarin , la civette , le tabac , la poudre d'or , etc. On tient tous les jours marché dans la grande place , qui est au milieu de la ville , où l'on vend toutes sortes de denrées et de marchandises. On en tient encore un autre dans la place qui est devant le palais du Roi. C'est dans ce marché qu'on expose en vente les Esclaves. Ils sont assis à terre les jambes croisées l'une sur l'autre , les hommes et les garçons d'un côté , les fem- mes et les filles de l'autre. On a ull Esclave des plus forts et des plus robustes pour dix écus ; ce qui fait que les Marchands d'Egypte en enlèvent tous les ans un très-grand nombre. La monnaie la plus basse de ce Royaume, vaut un double de France ; c'est un petit morceau de fer de la figure d'une croix de saint Antoine. Ijejadda vient de Turquie ; c'est une monnaie d'argentfort mince et moins grande qu'un denier. Elle vaut un sou mar- qué. Outre ces deux monnaies , on ne se sert ^ue de réaux et de piastres d'Espagne , qui ET CURIEUSES. 227 doivent être rondes , car les carrées ne pas- sent point' dans le commerce. Les piastres valent environ quatre francs en ce pays-là. Les chaleurs de Sennar (i) sont si insup- portables , qu'on a peine à respirer pendant le jour. Elles commencent au mois de Jan- vier , et finissent à la fin d'Avril ; elles sont «uivies de pluies abondantes qui durent trois mois , qui infectent l'air , et qui causent une grande mortalité parmi les hommes et parmi les animaux. C'est un peu la faute des habi- tans qui sont mal-propres , et qui n'ont au- cun soin de faire écouler les eaux qui crou- pissent , et qui venant ensuite à se corrompre , répandent des vapeurs malignes. Ces peuples sont naturellement fourbes et trompeurs , mais d'ailleurs fort superstitieux et fort attachés au Mahométisme. Quand ils rencontrent un Chrétien dans les rues , ils ne manquent jamais de prononcer leur profession de foi , qui consiste en trois paro- les : // ny a qu'un seul Dieu , et Mahomet est son Prophète. L'eau-de-vie , le vin et l'hydromel même leur sont défendus , et ils n'en boivent qu'en cachette. Leur boisson ordinaire est une espèce de bière , semblable à celle de Dongola, Ils l'appellent Bousa ; elle est fort épaisse et d'un fort mauvais goût. Voici la manière dont ils la préparent. Ils font rôtir au feu la graine de dora ; ils la jettent ensuite dans l'eau froide , et après (ij Sennar en Arabe signifie poison et feu. (Noted» Vaucienue édition. ) K 6 ■M 4" !••! 1 ï^ f4î>.8 LlîTTUES i. OlFIANTES vingt-quatre heures ils en boivent. Ils ont aussi l'usage du café , qu'ils boivent volon- tiers. On ne s'en sert pas en Ethiopie. Les femmes de qualité sont couvertes d'une veste de soie ou de toile de coton fort fine , avec de larges manches qui pendent jusqu'à terre. Leurs cheveux sont tressés et chargés d'anneaux d'argent , de cuivre , de laiton , d'ivoire ou de verre de diverses couleurs. Ces anneaux sont attachés à leurs tresses en forme de couronnes ; leurs bras ^ leurs jambes , leurs oreilles et leurs narines même sont chargées de ces mêmes anneaux. Elles ont aux doigts plusieurs bagues dont les pierres ne sont pas fines. Toute leur chaussure consiste en de simples semelles qu'elles attachent aux pieds avec des cordons. Pour les femmes et les filles du commun , elles ne sont couvertes que de- puis la ceinture jusqu'aux genoux. Les marchandises qu'on porte au Royaume de Sennar , sont des épiceries , du papier , du laiton, du fer, du fil d'archal, du ver- millon , du sublimé , de l'arsenic blanc et jaune , de la clincaillerie , du spica de France, du mahalcb d'Egypte , qui est une graine d'une odeur forte , des couteries de Venise , qui sont des espèces de chapelets de verre de toutes les couleurs , et enfin du noir à noircir qu'ils appellent kool , et qui est fort estimé en ce pays-là , parce qu'on s'en «ert pour noircir les yeux et les sourcils. Toutes ces marchandises ont aussi cours en Ethiopie , avec cette différence qu'à Sen- nar les plus gros grains de verre sont les ET CURIETTSES. 3^9 plus estimés , et en Ethiopie les plus petits. Les Marchands de Sennar^ font un gros commerce du côté de l'Orient. Au temps de la mousson ils s'embarquent à Suaquen sur la mer Rouge. La pèche, des perles qu'on fait en ce lieu-là et la ville de Suaquen , appar- tiennent au Grand-Seigneur. Ils passent de là à Moha , ville de l'Arabie heureuse , qui appartient au Roi d' Femen , et se rendent ensuite à Surate^ où ils portent l'or , la civette et les dents d'éléphant , et en rappor- tent les épiceries et les autres marchandises des Indes. Ils emploient ordinairement deux ans à faire ce voyage. Lorsque le Roi dé Sennar csl mort, le Grand-Conseil s'assemble , et par une cou- tume également barbare et détestable , fait égorger tous les frères du Prince qui doit monter sur le trône. Le Prince Gorech , qui est demeuré inconnu jusqu'à la mort du Roi son frère, eut le bonheur d'être soustrait par sa nourrice à la cruauté de ce terrible Con- seil. On a encore sauvé un des frères du Roi qui règne aujourd'hui. Ce Prince est à la Cour d'Ethiopie , où il se distingue par son mérite et par sa naissance. Après avoir demeuré trois mois h la Cour du Roi de Sennar , qui nous combla d'hon- neurs , nous primes congé de lui. Il eut la bonté de nous donner une sauvegarde qu'on appelle Soccori , pour nous défrayer , et pour nous conduire jusqu'aux frontières de son Royaume. Nous nous embarquâmes dans un gros tronc d'arbre creusé en forme de bar- . M\ ■Il !l,,i =<1 11 f '1. ;il '1^1 !■ 5i ftîo Lettres édifiantes que ; nous passilkmes le IN il le 12 Mai iGgc), et allâmes camper à Basboch , gros village à demi-lieue de la ville de Sennar. Nous y demeurâmes trois jours pour attendre que toute notre caravane se fût assemblée , et nous en partîmes enfin le 1 5 de Mai au soir. Nous marchâmes toute la nuit jusqu'à Bac ras y grosse bourgade , dont le Seigneur était un vénérable vieillard , âgé de cent trente ans , qui nous parut aussi fort et aussi vigoureux que îr'il n'en eût eu que qtiarante. Il avait servi cinq Rois de Sennar. Nous allâmes le voir, il nous reçut fort gracieusement , et nous demanda des nouvelles de l'Europe. Nous lui fîmes un petit présent , et il nous envoya à manger dans notre tente pour nous en marquer sa reconnaissance. Nous conti- nuâmes notre routent nous arrivâmes le len- demain à Aheq , méchant hameau , où l'on ne trouve que de pauvres cabanes de bergers ; et le jour suivant à Baha , après avoir marché dix heures sans nous arrêter. Baha est un petit village sur un bras du Nil , qui était à sec. Le 19 nous allâmes coucher à Dodar , qui ne vaut pas mieux que Baha , et le len- demain , après quatre heures de chemin , à Abra , grosse bourgade , où nous perdîmes deux de nos chameaux , que nous eûmes bien de la peine à retrouver j nous gagnâmes le village de Debarké et ensuite celui de Bul- but , et après avoir marché par un pays fort beau et fort peuplé , nous nous rendîmes , le 25 de Mai , à Giesim , grosse bourgade au bord du Nil et au milieu d'une forêt dont ET CURIEUSE s. a3l les arbres sont fort dilVérensde ceux que nous avions vus jusqu'alors. Ils sont plus hauts que nos plus grands châncs , et il y en a de si gros , que neuf hommes ensemble ne les pour- raient pas embrasser. Leur feuille est à-peu- près semblable à celle du melon , et leur fruit , qui est très-amer , aux courges ; il y en a aussi de ronds. Je vis h Giesim un de ces gros arbres creusé naturellement et sans art. On entrait par une petite porte dans une espèce de chambre ouverte en haut , et dont la ca- pacité était si grande que cinquante personnes auraient pu aisément s'y tenir di^bout. Je vis un autre arbre nommé Gelingue , qui n'est pas plus gros que nos chênes, mais qui est aussi haut que ceux dont je viens de parler. Son fruit est de la figure des melons d'eau , mais un peu plus petit. Il est divisé par-dedans en cellules remplies de grains jaunes , et d'une substance qui approche fort du sucre réduit en poudre. Cette substance est un peu aigre , mais agréable , de bonne odeur et très-rafraichissante , ce qui fait plai- sir dans un pays aussi chaud que celui-là ; Fécorce en est dure et épaisse. La fleur de cet arbre a cinq feuilles blanches comme le lis , et porte une graine semblable à celle du pavot. Il y a encore en ce pays-là une autre sorte d'arbre nommé Deîeb, Il est une fois plus haut que les plus hauts palmiers , et à-peu- près de la même figure. Ses feuilles ressem- blent à un éventail , mais elles sont plus lar- ges. Son fruit est rond et en grappe , et depuis ti il !' ftBa Lettres édifiantes la queue jusqu'au milieu , un peu plus gros que ceux dont nous venons de parler. Ce fruit est couvert de cinq écailles fort dures qui forment une espèce de calice. Il est jaune quand il est mûr, et son écorce est si épaisse et si dure , que quand ces arbres sont agités par les vents , ces fruits se heurtant les uns les autres , font un bruit épouvantable. S'il s'en détachait alors quelqu'un j et qu'il vint à tomber sur la tête d'un homme , il le tue- rait infailliblement. Quand on a cassé Técorce de ce fruit , ce qu'on ne fait qu'avec peine, on découvre quantité de iilamens , qui sou- tiennent une substance à-peu-près semblable au miel. Cette substance , qui a Todeur du baume ^ est si douce et si agréable , que je ne me souviens pas d'avoir jamais rien mangé de plus délicieux. On trouve au milieu de cette substance une lentille brune , grosse et fort dure , qui est la semence de cet arbre. Outre le fruit dont je viens de parler , ce même arbre en porte encore un autre , en forme de rave , couvert de trois écorces que l'on lève^ et qui a le goût de cliataignes cuites. Le Domi est comme le mâle du Deleb. Il n*est pas si haut de la moitié qu'un palmier , mais ses feuilles sont presque aussi longues et une fois plus larges. On en fait des pan- nîers , d#?s nattes , et même des voiles pour les vaisseaux de la mer Rouge. Cet arbre pousse un fruit long d'un pied , qui est couvert de cinq ou six feuilles , et dont la substance est blanche et douce comme le lait et fort uour- hissante. ET CURIEUSES. 233 L'nrbrc qu'on appelle Covglès est encore d'une grosseur énorme. Ce sont neuf ou dix gros arbres liés et collés ensemble d'une ma- nière fort irrégulière. Il a la feuille petite , et ne porte point de fruit , mais seulement de petites fleurs bleues sans odeur. Il y a encore dons les vastes forêts de ce pays plusieurs autres arbres entièrement inconnus aux Euro- péens. • Nous demeurâmes dix-neuf jours a Giesîin, Cette ))ourgadc est à mi-chemin de la ville de Sennar et des confins de l'Ethiopie , et au dixième degré de latitude septentrionale , (i) selon l'observation qu'en fit le Père de Bre- vedenl. Quand on est arrivé à Giesi m , on est obligé de se défaire de ses chameaux h cause des montagnes qu'il faut traverser et des her- bes qui empoironnent ces animaux , et c'est ce qui fait qu'en Ethiopie on ne se sert que de mulets et de chevaux qu'on ne ferre point. On ne vend'ses chameaux à Giesîm qu'à con- dition qu'on s'en servira jusqu'à Giranna , oii ceux qui les achètent les viennent quérir. Nous vîmes à Giesim une caravane de Geber- tis. Ces peuples sont Mahoniétans et dépen- dent de l'Empereur d'Ethiopie , qui les traite en esclaves conformément à leur nom. La cnuse du long séjour que nous fîmes dans cette bourgade , dont la situation est bolle et agréable , fut la mort de la Reine , mtre du Roi de Sennar. L'Officier qui nous condui- (0 Gicaim est à 1 4 degrés ^ueUjues minutes de tude. laU- 234 Lettres édifiantes sait > retourna à Sennar prendre de nouveaux ordres du Roi son maître , et nous fûmes obligés de l'attendre. Ce fut pour nous un très-filcheux contre-temps ; car les pluies nous surprirent en ce lieu-là : il ne plut d'abord qu'après le coucher du soleil ^ cette pluie est toujours précédée d'éclairs et de tonnerres \ pendant le jour le ciel est très- serein , mais la chaleur est insupportable. Nous partîmes de Giesim le onzième Juin , et après cinq heures de chemin nous trouvâ- mes un village qu'on appelle Deleb , à cause des grandes allées d'arbres de ce nom qu'on voit à perte de vue. Nous marchâmes long- temps dans ces délicieuses allées , qui sont plantées en échiquier. Nous arrivâmes le len- demain à Chau , village sur le Nil , et le jour suivant à Abotkna où il y a une espèce de ]bris , qui n'a pas la feuille ni la fermeté du nôtre. On voit dans toute cette route de gran- des forêts de Tamarins toujours verts. La feuille en est un peu plus large que celle du Cyprès. Cet arbre a de petites fleurs bleues , d'une très -bonne odeur, et un fruit h- peu-près semblable à la prune. On l'appelle Erdeh dans ce pays. Ces forêts de Tamarins sont si touffues , que le soleil ne les peut péné- trer- Nous passâmes la nuit suivante dans la vallée de Sonnone au milieu d'une belle prairie; et en deux jours nous nous rtmdinies à Serhé , jolie ville de cinq à six cens mai- sons fort propres , quoiqu'elles ne soient bâties que de cannes d'Inde. Serhè est au milieu des montagnes dans un beau vallon ; ET CURIEUSË'S. a3j on trouve un petit ruisseau k la sortie de cette ville , et c'est ce petit ruisseau qui sépare l'Ethiopie du royaume de Sennar, Depuis Serké , d'où nous partimes le 20 Juin , jusqu'à Gondar, capitale d'Ethiopie y nous trouvâmes quantité de belles fontaines, et des montagnes presque continuelles de difTércntes figures, mais toutes fort agréables et couvertes d'arbres , qui sont inconnus en Europe, et qui nous parurent encore plusi beaux et plus hauts que ceux de Sennat\ Ces ^lontagnes , dont les unes s'élèvent en pyra- mides , les autres en cônes , sont si bien cul- tivées , qu'il n'y a point de terrain inutile ; et elles sont d'ailleurs si peuplées, qu'on dirait que &'est une ville continuelle. Nous cou- châmes le lendemain à Tambisso , gros vil- lage qui appartient au Patriarche d'Ei ' ^ lopie , et no us nous rendîmes le j our s u ivan t à Abiad^ dilué sur une haute montagne couverte àA sycomores. Depuis Giesini , jusqu'à ce vil- lage , toutes les campagnes sont remplies de coton. Nous nous arrêtâmes le 23 Juin, dans un vallon plein d'ébéniers et de cannes d' Inde ; où un lion nous enleva un de nos chameaux. Les lions sont communs en ce pays-là , et on les entend hurler toute la nuit. On les écarte en allumant de grands feux qu'on a soin d'en- tretenir. On trouve sur ces montagnes des squinautes (i) et quantité d'autres plantes et herbes aromatiques. Le 24 , nous passâmes la rivière de Ga/i- - — - ■ —^ (1) C'est le Schéuante , ou le jonc odorant* :ii : '-^M -1 !i- à36 Lettkes ébiPiAiiTcs do^a , antable ; et ces deux riviè- res unies ensemble , vont se jeter dans le Nil. Nous passâmes encore deux grosses rivières le jour suivant ; elles étaient bordées de l>uis d'une grosseur énorme , et hauts com^ nos hêtres. Ce jour-là , une de nos bêtes de charge s'étant écartée de la caravane , fut mordue à la cuisse par un onrs. La plaie était grande et dangereuse : les gens du pays ne firent que lui appliquer un caustique avec le feu et l'animal fut guéri, .Mous entrâmes le 26 dans une grande plaine remplie de grenadiers, et nous y pas- sâmes la nuit à la vue de Girana , où nous arrivâmes le lendemain. Girana e^i un village situé au haut d'une montagne , d'où Ton découvre le plus beau pays du monde. C'est dans ce lieu qu'on change de voiture, et qu'on quitte les chameaux pour prendre les chevaux , comme je l'ai déjà dit. Le Seigneur de Girana nous vint rendre visite , et nous fit apporter des rafraîchissemens. Nous y trou- vâmes une escorte de trente hommes que l'Empereur d'Ethiopie nous avait envoyés m ET CURIEUSES. 2^^ pour notre sûreté , et pour faire lionneur au frère du Patriarche qui était dans notre cara- vane ; et on nous délivra du soin de notre, bagage , selon la coutume de cet Empire. Voici la manière dont on en use. Quand l'Empereur d'Ethiopie appelle quelqu'un h sa Cour^ on confie son bagage au Seigneurdu premier village queFontrouvesur sa route. Ce Seigneur le met entre les mains - de ses vassaux , qui sont obligés de le porter jusqu'au village voisin. Ceux-ci le confient auxhabitans de ce second village , lesquels le portent jusqu'au premier village qu'ils ren- contrent; et ainsi consécutivement jusqu'à la ville capitale. Ce qui se fait avec une exacti- , tude et une fidélité merveilleuse. Les pluies , la fatigue du voyage , et sur- tout la maladie du Père de Brevedent , nous obligèrent de demeurer quelques jours à- Girana, Nous en partîmes le premier jour de Juillet î et.î^re^s trois heures de marché jwr. des montagnes'et par des chemins impi^l^K blés, nous vînmes à Barangoa, et Içi^iia;^: main à Chelga , grande et belle ville , env|-,j rpnnée d' Aloès. C'est un lieu d'un grand com- merce : il y a tûus les jours marché , où les;^ babitans des environs viennent vendre la civette , l'or et toute sorte de bétail et de vi- , vres. Le Roi de Sennar a dans celte ville , avec l'agrément de l'Empereur d'Ethiopie , un douanier pour recevoir les droits ducoton\ qu'on porte de son royaume en Ethiopie , et ces droits se partagent également entre ces 4euxL princes. 4 d^ux lieues de Chaîna , d^ l u , k -m: [fi /* \ : ' ). I 238 LETTRTtS ÉDIFIANTES côté du Septentrion , on voit un torrent qui tombe d'une montagne très-haute et très- escarpée , et qui fait une cascade naturelle , que Tart aurait peine à imiter. L'eaude cette cascade étant partagée en différens canaux , arrose toute la campagne , et la rend très- fertile. Nous arrivâmes enfin le troisième de Juillet à Barko , petite ville fort jolie , située au milieu d'une plaine très-agréable , et à une demi journée delà capitale d'Ëtbiopie. Nous fûmes obligés de nous arrêter en ce lieu-là , parce que j'y tombai grièvement malade , et que mon cher compagnon , le Père de Breve- dent , se vit en peu de jours réduit à la de^r- nière extrémité par un violent purgatif de pi gnons' d'Inde dit Catapulta qu'on lui donna fort mal-à-propos à Tripoli de Syrie. Ce remède toujours dangereux , selon un très- habile homme , (i) lui avait causé un flux dont il était incommodé y et qu'il m'avait tou- jours caché par modestie. Je n'eus pas plutôt appris l'état où il était , que je me fis porter dans sa chambre , quoique je fusse alors très- mal. Mes larmes , plutôt que mes paroles , lui firent connaître que je désespérais de sa gtiérison , et que son mal était sans remède. Ces larmes étaient sincères ; et si j'avais pu le sauver aux dépens de ma vie , je l'aurais fait avec plaisir. Mais il était mûr pour le Ciel , et Dieu voulait récompenser ses travaux apostoliques. Je l'avais connu au Caire où sa (i) Philos. GosiQOfol. ( Note de l'ancieime édition.) ET CURIEVSES. sBp réputation était si grande , qu'il passait pour un homme favorisé de Dieu par des grûces extraordinaires, et même par le don des iniracles et de prophétie. C'est l'idée que je m'en étais alors formée sur le bruit commun , mais dont je connus parfaitement la vérité dans la suite par diver- ses prédictions qu'il fit soit de sa mort , soit de plusieurs autres choses qui me sont arri- rées de la manière dont il me les avait pré- dites. Pendant tout le voyage, il ne me parla que de Dieti , et ses paroles étaient si vives et si pleines d'onction , qu'elles fesaient sur moi de profondes impressions. Dans les der- niers momcns de sa vie, son cœur se*répandit en des sentimens d'amour et de reconnais- sance envei. Dieu , si ardens et si tendres que je ne les c. ' i^ ai jamais. C'est dans ces sen- timens que " oâint homme mourut dans une terre étrangère , à la vue de la Ville capitale d'Ethiopie , comme saint François Xavier , dont il portait le nom , était mort autrefois à la vue de la Chine , lorsqu'il était près d'y entrer pour gagner ce vaste Empire à Jésus- CSRIST, pour rendre justice au Père de Brevedent , je puis dire que jamais je n'ai connu d'homme plus intrépide et plus courageux dans les dangers , plus ardent et plus ferme , lorsqu'il fallait soutenir les intérêts de la Religion , plus modeste et plus religieux dans ses ma- nières et dans toute sa conduite. Il mourut le 9 Juillet de l'année i()99 1 à trois heures I du soir. Plusieurs Heligieux d*£lthiopie , qui 11 f .* i », r/1 a4o Lettres édifiantes furent présens à sa mort , en furent si tou- cliés et si édifiés , que je ne doute pas qu'ils ne conservent toute leur vie un grand respect pour la mémoire d*un si saint Missionnaire. Ces Religieux vinrent le lendemain en corps j revêtus de leurs habits de cérémonie , ayant chacun une croix de fer à la main. Après avoir fait les prières pour les morts et les en- censemens ordinaires , ils portèrent eux- xnômes le corps dans une Eglise dédiée à la sainte Vierge , en iag^ielle il fut inhumé. Ma maladie et la douleur donl> j'étais acca- blé , m'arrêtèrent à Barko jusqu'au 21 de Juillet que je partis pour Gondar(i) où j'ar- rivai le soir. J'allai descendre au Palais (çt) , où l'on m'avait préparé un appartement pro- che de celui d*un des enfans de l'Empereur. (1) On appelle cette viHe capitale Goniar à Catma , c'est-à-dire , p^il/e du cachet. ( Note de l'ancienne édition. ) (a) La première partie du voyage de M. Poncetest curieuse, sur-tout pour la Géographie : elle est généra- lement estimée, lia seconde 1 est beaucoup moins. On est étonné de voir M. Poncet décrire de grandes villes , tandis que l'on sait que l'Empereur d'Ethiopie campe toujours sou» des tentes , it qti'iî n'y a point de Villei dans ce Royaume II y en a même qui prétendent que M. Poncet n'a jamais vu l'Empereur , ou que s'il l'a vu, Ae\a n'a pu être qu'en secret. M. Poneet , qui avait trompé les Cours de Versailles et de Rome, proj)osa en 1703 un second voyage d'Ethiopie, oii il devait être accompagné p^ar Le Père du Qeruat Ils s'emharquèreut à Suez pour le port de Gedda , mais Poncet emporta le» présens du Roi , se jeta dans VVéwen pour y chercher fortune , alla à Surate , aboutit enfin à IspaUan , uh il est mort avec la réputation d'uii aventurier et d'un im- posteur On n'a pas supprimé la Relation, parce qu'elle contient' plusieurs détails curieux et vrais. Il suffit d'avoit itréyeuu lc« lecteurs sur les fajits douteuiL ou faux. J'eus ET 'C1T111E17SE8. !l/(l J'eus rhonneur dès le lendemain de voir ce Prince , cpii me témoigna mille bontés , et qui me marqua être affligé de la mort de mon compagnon , dont on lui avait fait con- naître le mérite et la capacité. Il m'ordonna de prendre tout le repos qui me serait néces- saire pour me remettre de ma maladie , avant que de paraître en public. Il me venait voir presque tous les jours par une petite galerie , qui communiquait à son appartement. Après m'étre délassé des fatigues d'un si loi^g et si pénible voyage , il me fit l'honninir de me donner une audience publique. Ce fut le 10 d'Août sur les dix beures du matin. Ou me vint prendre dans ma cbambre , et après m'avoir fait traverser plus de vingt apparte- lens , j'entrai dans une salle ou l'Empereur était assis sur son Trône. C'était une espèce de canapé couvert d'un tapis de damas rouge à fleurs d'or :' il y avait tout au tour de grands coussins brocbés d'or. Ce Trône , dont les pieds sont d'or massif, était placé au fond de la salle dans une alcôve couverte d'un d^me tout brillant d'or et d'azur. L'Empe- reur était vêtu d'une veste de soie brodée d'or avec des mancbes fort longues. L'écbarpe dont il était ceint , était brodée de la même manière. Il avait la tête nue , et ses cbeveux tressés avec beaucoup de propreté. Une grande émeraude brillait au-dessus de son front, et lui donnait de la majesté. Il était seul dans l'alcove dont j'ai parlé, assis sur son canapé , les jambes croisées à la manière des Orientaux. Les Grands Seigneurs étaicul Tome IIL L , . I!k':. .1 I; ■ H :■*-:. H It^!^' é m a42 Lettres édifiantes dus deusL côtés debouts et en haie , ayant les mains croisées Tune sur l'autre , et gardant ' un silence plein de respect. Quand je fus au pied du Trône, je fis trois profondes révérences à l'Empereur , et lui baisai la main. C'est un honneur , qu'il n'accordje qu'aux personnes qu'il veut dis- tinguer ; car pour les autres , il ne leur donne ses mains à baiser qu'après s'être prosternés trois fois par terre , et lui avoir baisé les pieds. Je lui présentai la lettre de Monsieur Maillet , Consul de France au Caire ; il se la fit interprêter sur-le-champ , et parut en être content. Il me fit plusieurs questions s>?r la personne du Roi , dont il me parla comme du plus grand et du plus puissant Prince de l'Europe ; sur l'état de la Maison Royale ; sur la grandeur et les forces de la France. Après avoir répondu à toutes ces questions , je lui fis mes présens , qui consistaient en peintures , en miroirs , cristaux , et en d'au- tres ouvrages de verre fort bien travaillés. Ce Prince les reçut avec un air plein de bonté ; et comme j'étais encore faible, il me fît asseoir et servir une magnifique collation. Le lendemain il se mit dans les remèdes avec un de ses enfans. Ils suivirent exacte- ment l'un et l'autre le régime que je leur prescrivis. L'effet en fut si heureux , qu'en peu de temps ils furent parfaitement guéris. Ce succès m'attira de nouvelles grâces , et fit que l'Empereur me traita avec plus de fami- liarité qu'aup««« 'ant. Je remarquai dans ce Prince une grar . 'piété. Quoiqu'il fut encore / ST CURIEUSES. ^4^ clans les remèdes , il voulut communier , et paraître en public le jour de TAssomption de la Vierge , h laquelle les Ethiopiens ont une dévotion particulière. Il m'invita h cette cérémonie. Je m'y rendis sur les huit heures ; je trouvai environ douze mille hommes ran- gés en bataille dans la grande cour du Palais. L'Empereur revêtu ce jour-là d'une veste de velours bleu h. fleurs d'or , qui traînait jusqu'à terre , avait la tête couverte d'une mousst -> line rayée de filets d'or , qui formait une espèce de couronne à la manière des anciens , et qui lui laissait le milieu de la tête nii. Ses souliers étaient à l'indienne , travaillés à fleurs avec des perles. Deux Princes du sang superbement vêtus , l'attendaient à la porte du Palais avec un magnifique dais sous lequel l'Empereur marcha précédé de ses trompet- tes , timbales , fifres , harpes , hautbois et autres instrumens qui fesaient une symphonie assez agréable. Il était suivi par les sept pre- miers Ministres de l'Empire , qui se tenaient par-dessous les bras , et qui avaient la tête couverte à-peu-près comme l'Empereur , ayant chacun une lance à la main. Celui du milieu portait la Couronne Impériale tête nue , et semblait l'appuyer avec peine sur son estomac. Cette Couronne fermée et sur- montée d'une croix de pierreries , est très- magnifique. Je marchai sur la même ligne que les Ministres , habillé à la Turque , et conduit par un Officier qui me tenait par- dessous les bras. Les Officiers de la Couronne ^e tenant de la même manière, suivaient 1 \ :;i ^44 Lettres ioiFiÂNTE» chantant les louanges de l'Empereur , et se repondant les uns aux autres. Les Mousque^ taires vêtus de vestes de différentes couleurs , serrées en manière de juste-au-corps , venaient ensuite , et étaient suivis par les Archers armés d'arcs et de flèches. Cette marche était fermée par les chevaux de main de l'Empe- reur^ superbement enharnachés et couverts de magnifiques étoffes d*or qui traînaient jus- qu'à terre et sur lesquelles étaient des peaux de Tigres d'une grande beauté. Le Patriarche revêtu de ses habits Ponti- ficaux parsemés de Croix d'or, était à la porte de la Chapelle , accompagné de près de cent Religieux vêtus de blanc. Us étaieiit rangés en haie , tenant une Croix de fer à la main ; les uns dans la Chapelle , et les autres en dehors. Le Patriarche prit l'Empereur par la main droite , en entrant dans la Cha- pelle qui s'appelle Tensa Christos ^ c'est-à- dire , V Eglise de la Hésurrection , et le con- duisit près de IJAutel à travers une haie de Keligieux , qui tenaient chacun un gros flam- beau allumé à la main. On porta le dais sur la tête de l'Empereur jusqu'à son prie-dieu , qui était couvert d'un riche tapis , et à-peu- près semblable aux prie-dieux des Prélats d'Italie. L'Empereur demeura presque tou- jours debout jusqu'à la Communion que le Patriarche lui donna sous les deux espèces. Les cérémonies de la Messe sont belles et majestueuses , mais je n'en ai point une idée assez distincte pour les rapporter ici. La céréxuonie étant finie , on tira deux ->; -. ., \^ ET CUKlCrSES. fi4^ coups de canon , comme on avait fait en en- trant , et TËmpercur sortit de la Chapelle , et retourna au Palais dans le même ordre qu'il était venu. Le Ministre qui portait la Couronne , la remit entre les mains du grand Trésorier , qui la porta au Trésor accompa- gné d'une Compagnie de Fusiliers. L'Em- pereur étant entré dans la grande salle du Palais , s'assit sur un Trône fort élevé , ayant les deux Princes ses enfans à ses côtés , et après eux les Ministres. Pour moi je fus placé vis-à-vis de l'Empereur. Tout le monde était debout dans un profond silence , les mains croisées l'une sur l'autre. Après que l'Em- pereur eut pris de l'hydromel , et quelques écorces d'oranges qu'on lui présenta dans une coupe d'or , ceux qui avaient des grâces à deniander entrèrent , et s'avancèrent jus- qu'au pied du Trône , où un ^es Ministres prenait leurs placets , et les lisait h haute voix. L'Empereur se donnait aussi quelque- fois la peine de les lire lui-même , et y répon- dait sur-le-champ. Ce Prince mangea <;e jour-là en public et eh cérémonie. Il était assis sur une espèce de lit , et avait devant lui une grande table. Il y en avait plusieurs autres plus basses pour les Seigneurs de la Cour. Le bœuf , le mou- ton , la volaille , sont les viandes qu'on sert. On les met presque toutes en ragoûts ; mais on y mêle tant de poivre et tant d'autres épi- ceries qui nous sont inconnues , qu'un Euro- péen n'en peut goûter. On sert en vaiwelle de porcelaine et plat à plat. Je ne vis point L 3 4 -1 II. I, d4^ Lettres édifiantes de gibier , et on m'assura qu'on n*en man- geait point en Ethiopie. Je fus surpris de voir servir du bœuf cru sur la table de l'Empe- reur : on l'assaisonne d'une manière parti- culière. Après qu'on a coupé par morceaux une pièce de bœuf, on l'arrose du fiel de cet animal , qui est un excellent dissolvant , et on la saupoudre de poivre et d'épiceries. Ce ragoût qui est à leur sens le mets le plus exquis que l'on puisse manger , me paraissait fort dégoûtant. L'Empereur n'y toucha pas , parce que je l'avais averti que rien n'était plus contraire à sa santé. On a encore en ce pays-là une autre manière d'assaisonner les viandes crues. On prend dans la panse d^s bœufs , les herbes qui ne sont pas encore digérées ; on les mêle avec la viande , et l'on en fait avec de la moutarde un ragoût appelé Menta , qui est encore plus dégoûtant que celui dont je viens de parler. Gomme la table où l'on m'avait placé était proche de celle de l'Empereur , ce Prince m'adressait souvent la parole. Son discours roula presque tout sur la personne du Roi , et sur les merveilles de son règne. Il me dit qu'il avait été charmé du portrait qu'un de ses Ambassadeurs lui en avait fait à son retour des Indes , et qu'il regardait ce grand Prince comme le Héros de l'Europe. On fait l'essai des viandes comme en France ; l'Officier goûte à tous les meti qu'oc sert devant le "Prince. L'Empereur but d'abord un peu d'eau-de-vîa qu'on lui servitdans un vase de cristal , et de l'hydromel pendant tout le ET CURIEUSES. '^ ^47 repas* S'il lui arrive de faire quelqu'excès , on l'avertit , et dans ce moment il se lève de table. On sera peut-être surpris qu'en un Pays où il y a d'excellens raisins , on ne se serve que d'hydromel. J'en fus étonné au commen- cement ; mais j'appris que le vin fait de rai- sins ne se conserve point à cause de la grande chaleur ; et comme il se g&te aisément , l'Em- pereur ne l'aime pas non plus que le peuple ; au lieu que tout le monde aime l'hydromel , qui se fait de cette manière : on fait germer l'orge ; on la rôtit ensuite à-peu-près comme nous fesons le café , et on la pulvérise. On fait la même chose d'une racine qui croît dans le Pays , et qu'on nomme Taddo. On 5 rend un vase vernissé ; et sur quatre parties 'eau , on en met une de miel qu'on mêle ensemble ; et sur le poids de dix livres de cette eau , on met deux onces d'orge et deux onces de Taddo ; on mêle le tout en- semble ; on le laisse fermenter trois heures dans un lieu cliaud ; on le remue de temps- en-temps , et après trois jours on a d'excel- lent hydromel , qui est pur et clarifié ^ et qui prend la couleur du vin blanc d'Espa- gne. Cette liqueur est très-bonne , mais elle demande un meilleur estomac que le mien. Elle est forte , et on en tire une eau-de-vie qui est aussi bonne que la nôtre. ^ L'Impératrice vint rendre visite à l'Em- pereur après le repas. Elle était toute cou- verte de pierreries et magnifiquement vêtue : elle a le teint blanc et le port majestueux. .ns,!.. !■ \\i' 1»! .' .^1 '^48 Lettres édiViantes Aussitôt qu'elle parut , toute la Course retira ;par respect ; l'Empereur m'arrêta avec le Religieux qui me servait d'interprète. La Princesse me consulta sur quelques incom- modités dont elle se plaignait, et me de- manda ensuite si les Dames de France étaient hien faîtes , d^ quelle manière elles s'habil- laient , et quelles étaient leurs occupations les plus ordinaires. Le Palais est grand et spacieux , et la situa- tion en est charmante. Il est au milieu de la Ville , sur une colline qui domine toute la campagne ; il a environ une lieue de circuit ; les murailles sont de pierre de taille , flan- quées de tours , sur lesquelles on a élevé fl'S grandes croix de pierre. Il y a quatre cha- pelles impériales dans l'enceinte du Palais ; en les appelle Beit Christian , comme les autres Eglises de l'Empire , c'est-à-dire , 'maisons des Chrétiens. Elles sont desservies par cent Religieux , qui ont aussi soin d'un Collège, où l'on enseigne à lire l'Ecriture sainte aux Officiers du Palais. La Princesse Helcia^ sœur de l'Empe- reur , a un magnifique Palais dans la Ville Vde Gondar, Comme il n'est pas permis en Ethiopie aux. Princesses d'épouser des Etran- gers, elle est mariée à un des plus grands Seigneurs de l'Empire. Elle va trois fois la semaine au Palais rendre visite à l'Empe- reur son frère, qui a pour elle beaucoup ■ d'estime et d'amitié. Quand cette Princesse parait en public , elle est montée sur une laule richement euhanaachée, ayant à ses côtés BT CVKIEUSCS. '^ ^^g deux de ses femmes qui portent sut elle un dais. Quatre à cinq cens femmes Tenviron- nent, chantant des vers à sa louange , et . jouant du tambour de basque d'une manière vive et dégagée. Il y a quelques maisons à Gondar , bâties à la manière d'Europe , mais la plupart des autres ressemblent à ua entonnoir renversé. Quoique l'étendue de la ville de Gondar soit de trois à quatre lieues , elle n'a point l'agrément de nos Villes , et elle ne peut l'avoir , parce que les maisons n'ont qu'u'x étage , et qu'il n'y a point de boutiques ; cela n'empôche pas qu'il ne s'y fasse ua grand commerce. Tous les Marchands s'as- semblent dans une grande et vaste place pour y traiter de leurs affaires ; ils y exposent en vente leurs marchandises. Le marché dure depuis le mati n j usqu *au soi r. On y vend toutes sortes de marchandises. Chacun a un lien qui lui est propre , où il expose sur des nattes ce qu'il veut vendre. L'or et le sel aé|pi Ja monnaie dont on se sert en ce pays-là, -L'or n'est point marqué au coin du Prince comme en Europe; il est en lingots, qu'on coupe, selon qu'on en a besoin , depuis une once jusqu'à une demi-dragme, qui vaut trente sous de notre monnaie ; et afin que V(^v. rie l'altère pas , il y a par - tout des Orfèvres , qui en jugent à l'épreuve. On se sert de sel de roche pour la petite monnaie. Il est blanc comme la neige , et dur comme la pierre ; on le tire de la montagne Lafta , et on le porte dans les inagashîsyio l'Emncmir, où a5o Lettres éDiriiNTEs on le forme en tablettes , qu'on appelle uimouly, ou en demi-tablettes, qu'on nomme ^Courman. Chaque tablette est longue d'uïi pied 4 large et épaisse de trois pouces. Dix de ces tablettes valent trois livres de France. On les rompt selon le paiement que Ton a à faire, et on se sert de ce sel également pour la monnaie et pour l'usage domestique. Il y a environ cent Eglises dans la Ville de Gondar. Le Patriarche, qui est le chef - de la Religion , et qui demeure dans un beau Palais près l'Eglise Patriarcale , dépend du Patriarche d'Alexandrie , qui le consacre. Il nomme tous les Supérieurs des Monastères, et a un pouvoir absolu sur tous les Moine^, qui sont en grand nombre; car il n^y a pas d'autres Prêtres en Ethiopie , comme il n'y a point d'autres- Evêques que le Patriarche. L'Empereur a de grands égards pour ce Chef de la Religion. Il m'ordonna ûe l'aller voir , et me fît donner quelques curiosités Iptfir lui présenter. Ce Prélat , qui s'appelle Jtbona Marcos, me reçut avec civilité; il me mit d'abord une étole au cou ; et tenant en main une croix émaîllée , il récita sur ma tête quelques prières , comme pour me marquer qu'il me regarderait dorénavant comme une de ses ouailles et de ses enfans. Les Prêtres ont un grand pouvoir sur les Peuples , mais ils en abusent quelquefois. L'Empereur Ati Basilic aïeul du Prince qui règne aujourd'hui si glorieusement, eu fît }>récipiter sept mille du haut de la montagne aefialbaUf pour s'être révoltés contre loi* . ET CVRIEVSZS. .25< On peut juget* de la grande multitude qu'il y en a dans l'Empire, par ce/que me dit un jour le prédécesseur du Patriarche d'aujourd'hui, que , dans une seule ordination , il avait fait dix mille Prêtres et six mille Diacres. Toute la cérémonie de leur ordination consiste en ce que le Patriarche assis récite le commence- ment de TËvangile de saint Jean sur la tête de ceux qu'il veut ordonner Prêtres , et leur donne sa bénédiction avec une Croix de fer de sept à huit livres qu'il tient à la main. Pour les Diacres , il se contente de leur doU'- ner la bénédiction sans réciter l'Evangile. . Le prédécesseur du Patriarche d'aujour^ d'hui , qui avait été Gouverneur de l'Empe- reur , mourut lorsque j'étais à Gondar. Quoiqu'il eût été déposé pour ses mœurs peu édifiantes , le Prince plein de recon- naissance pour la bonne éducation qu'il lui avait donnée , avait toujours conservé pour lui une affection particulière. Il tomba ma- lade à Tenket , maison de campagne qui lui appartenait. L'Empereur m'ordonna de l'aller voir , et me pria de lui conserver un homme qu'il aimait. Je demeurai deux jours auprès de lui pour examiner sa maladie ; je vis qu'il était hors d'état de pouvoir guérir , ce qui m'empêcha de lui donner aucun remède, pour ne me pas décrier auprès d'une Nation ignorante, qui m'aurait peut-être attribué sa mort^ laquelle arriva deux jours après. J'eus h mon retour une aventure des plu$ extraordinaires de ma vie. Je revenais à ^. . L 6 ■ * i m il ; ii ' ;/ii ■i- ' 'm aSa LuttRÊS ÉDiriAlfTES Gondar sur une mule , qui est la voiture ordinaire du Pays , accompagné de mes domestiques > lorsque cet animal prit l'cffroî, et comme un furieux , m'emporta sans que je pusse le retenir. Je traversai avec une rapidité effroyable trois précipices très- profonds, sans me faire aucun mal. Il me semblait que, par une protection particu- lière de Dieu , j'étais comme cloué sur celle mule , qui volait plutôt qu'elle ne courait. Mourat que l'Empereur a envoyé Ambassa- deur en France, et qui est présentement au Caire ^ où il attend ses ordres, et tous mes domestiques, furent témoins de ce fait mer- veilleux , que le Père de Brevedent m'avait prédit avant sa mort. L'Empereur parut inconsolable de la mort de l'ancien Patriarche : il en prit le deuil qu'il porta pendant six semaines , et le pleura les deux premières semaines deux fois cha- que jour. L'habit violet est , comme en France , l'habit de deuil des Empereurs d'Ethiopie. L'horreur que les Ethiopiens ont pour les Mahométans et pour les Européens , est presqu'égale. En voici l'occasion. Les Maho- métans s'étant rendus puissans en Ethiopie au commencement du seiz^ènie siècle , s'em- parèrent du Gouvernement. Les Abissins tie pouvant souffrir un joug aussi dur et aussi odieux que celui des Mahométans , appelè- rent à leur secours les Portugais, qui étaient alors fameux dans les Indes , où ils venaient 4e ^'établir. Ces nouveaux oouquérans furent tT CURIEUSES. aSJ bien aises de trouver une entrée libre en Ethiopie. Ils marchèrent contre les Maho- métans^ les combau'rcnt, les défirent entiè- rement, et rétablirent la famille Impériale sur le Trône. Un service si important ren- dit les Portugais considérables à la Cour d'Ethiopie. Plusieurs d'entr'cux s'y établi- rent, et y possédèrent les premiers emplois. Leur nombre s'augmenta , leurs mœurs se corrompirent , et ils gardèrent si peu de mesure j quMls donnèrent de la jalousie aux Ethiopiens , qui crurent qu'ils voulaient s'emparer de leur Etat , et le soumettre à là Couronne de Portugal. Ce soupçon mit le peuple en fureur contre les Portugais; on courut aux armes de toutes parts, et on en fit un terrible carnage dans le temps même qu'ils se croyaient le mieux affermis dans cet Empire. Ceux qui échappèrent à ce pre- mier mouvement , eurent permission de se retirer. Il sortit d'Ethiopie sept mille familles Portugaises , qui se répandirent dans les Indes et sur les c6tes d'Afrique. Il en resta quelques-unes dans le Pays , et c'est de ces familles que sont venus les Abissins blancs qu'on y voit encore, et dont on prétend que descend l'Impératrice qui règne aujourd'hui, et dont je vous ai parlé. * On souffre les IMahométans à Gondary mais dans le bas de la ville et dans un quai^ tier séparé. On les appelle Gehertis , c'est- à-dire , esclaves. Les Etliiopiens ne peuvent souffrir qu'ils mangent avec eux ; ils ne voudraient pas même inanger de la viande i W ilî m f| ;H \M I*" a wUl rm l^^-l Û 1 , :. '." ' l'ff I , fr"- iil.i 254 Lettres édifiantes tuée par un Mahométan , ni boire dans une tasse dont il se serait servi , h. moins qu'un Keligieux ne Teùt bénie en fesant le signe de la croix, en récitant des prières, et en souf- flant trois fois sur cette tasse comme pour en chasser le malin esprit. Quand un Etliiopien rencontre un Mahométan dans les rues, il le salue de la main gauche , ce qui est une marque de mépris. L'Empire d'Ethiopie comprend une vaste étendue de Pays. Il est composé de plusieurs Royaumes. Celui de Tigré , dont le Vice- Roi s'appelle Gaurekos , a vingt - quatre Principautés dans sa dépendance. Ce sont autant de petits Gouvernemens. Le Royaume èiAgau est une des nouvelles Conquêtes de l'Empereur. C'était auparavant une Répu- blique, qui avait ses lois et son gouverne- ment particulier. L'Empereur d'Ethiopie a toujours deux armées sur pied; l'une sur les frontières du Royaume de Nerea , et l'autre sur celle du Royaume de Goyamey oix sont les plus riches mines d'or. On porte à Gondar tout ce qu'on tire dé ces mines , on le purifie , et on le met en lingots qu'on porte dans le trésor Impérial , d'où il ne sort que pour le paiement des troupes et pour les dépenses de la Cour. La grande puissance de l'Empereur vient de ce qu'il est le maître absolu de tous les biens de ses sujets. Il les ôte et les donne . comme bon lui semble. Quand le chef d'une famille meurt , il s'empare de tous ses biens- îmmeubles, dont il laisse les deux tiers à ses 'i me. ou sont ET CURIEUSES. a55 enfans ou à ses héritiers. Il dispose de Tau tre tiers en faveur d'un autre , qui devient par-là son feudataire, et qui est obligé de le servir à la guerre à ses dépens > et de lui fournir des soldats h proportion des biens qu'il lui donne ; ce qui fait que ce Prince , qui a un nombre presqu'infini de ces feudataires , peut mettre de puissantes armées sur pied en peu de temps et à peu de frais. Dans toutes les Provinces , il y a des contrôles où Ton tient un registre exact de tous les biens qui reviennent aU domaine impérial par la mort du possesseur y et qui sont donnés ensuite à des feudataires. Voici la manière dont l'Empereur les met en pos- session de ces biens. Il envoie à celui qu'il a choisi pour être son feudataire un bandeau de taffetas , sur lequel sont écrits ces mots en lettres d'or: Jésus y Empereur d'Ethiopie de la tribu de Juda , lequel a toujours vaincu ses ennemis, L'Officier qui porte cet ordre de l'Empereur, attache lui-même en céré- monie ce bandeau au front du nouveau feudataire , et va ensuite , accompagné de trompettes , de tymbales , et d'autres inslru- mens , et de quelques cavaliers , le mettre en possession des biens dont le Prince vient de le gratifier. Les ancêtres de l'Empereur avaient des jours réglés pour paraître en public. Ce Prince s'est délivré de cette servitude. Il sort quand il Te juge à propos , tantôt en céré- monie et tantôt avec moins d'éclat. Quand il sort eu cérémonie, il est au milieu d'un ' ^ a "lia "■-J a56 Lettres tniviKvr^s gros de cavalerie , sur un cheval richement e iharnaché ; il est précédé etsuivi d'une garde de deux mille hommes. Comme le soleil est si brûlant en Ethiopie , qu'il enlève la peau du visage , à moins qu'on ne prenne quelque précaution pour s'en garantir , l'Empereur met sur sa tête un carton plié en voûte ou demi-cercle, couvert d'une riche étoffe d'or , lequel s'attache sous le menton. C'est pour évitèrl'embarrasd'unparasoljetpour recevoir l'air par-devant et par derrière , qu'il en use ainsi. Le divertissement le plus ordinaire de ce Prince., est de faire faire l'exercice à ses troupes , et de s'exercer à tirer ; ce qu'il fait avec tant d'adresse , qu'il passe piour le plus habile tireur de ses Etats. Les pluies durent six mois en Ethiopie; elles commencent au mois d'avril , et ne ces- sent qn'àt la fin de septembre. Pendant les trois premiers mois, les jours sont sereins et beaux: mais, dès que le soleil se couche'^ il pleut jusqu'à ce qu'il se lève , ce qui est accompagna ordinairement de tonnerres et d'çclairs. On a cherché long-temps la cause du débordement du Nil , qui se fait tous les ans si régulièremei.l en Egypte. On l'a attri- bué mal-à-propos à la fonte d«s neiges ; car je ne crois pas qu'on en ait jamais vu en Etliiopie. Il n'en faut point chercher d'autre cause que ces pluies, qui sont si abondantes ■ qu'il semble que ce soit un déluge d'eau qui tombe. Les torrens s'enflent alors extraor- dinairement , et entraînent avec eux de l'or beaucoup plus pur que celui qu'on tire des 'î. » ET CURIEUSES. ïS^ miiics. Les paysans le ramassent avec un grand soin- Il n'y a guère de pays plus peuplé ni plu» fertile que l'Ethiopie. Toutes les campagnes et les montagnes mêmes , qui sont en grand nombre y sont cultivées. On voit des plaines entières couvertes de cardamome et de gingembre 4 qui a une odeur très-agréable. La plante en est quatre fois plus grande que ne l'est celle des Indes. La multitude des grandes rivières qui arrosent l'Ethiopie , et qui sont toujours bordées de lis , de jon- quilles , de tulipes , et d'une infinité d'au- tres fleurs que je n'ai pas vu^s en Europe , rendent ce pays délicieux ; les forêts sont remplies d'orangers, de citronniers, de jas- mins , de grenadiers , et de plusieurs autres arbres couverts de très -belles fleurs, qui répandent une odeur merveilleuse. On y trouve un arbre qui porte une espèce de roses beaucoup plus odoriférantes que les nôtres. J'ai vu en ce pays-là un animal extraordi- naire. Il n'est guère plus gros qu'un de nos chats ; il a le visage d'un homme et une barbe blanche. Sa voix est semblable à ^elle d'une personne qui se plaint. Cet animal se lient toujours sur un arbre, et on m'a assuré qu'il y naît et qu'il y meurt. Il est si sau- vage,, qu'on ne peut l'apprivoiser. Quand on en a pris quelqu'un qu.'on veut élever, quelque soin qu'on se donne , il dépérit et meurt de mélancolie. On en tira un en ma présence , qui s'attacha à une branché ar ''il y i !M! I-, I s a58 Lettres iéoiFtANTES d'arbre , en sVntrelaçant les jambes Tune dans l'autre , et qui mourut quelques jours après. Aussitôt que les pluies sont cessées , rEm< pereur a coutume de se mettre en campagne. Il fait la guerre aux Rois de Galla et de Changalla , qui sont ses plus puissans enne- mis. Ces Princes qui étaient autrefois tribu- taires de l'Empire d'Ethiopie, se servirent de la faiblesse des règnes précédens , pour secouer le joug, et pour vivre dans Tin- dépendance. L'Empereur qui règne aujour- d'hui , les a sommés de rentrer dans leurs premiers engagemens ; et, sur le refus qu'ils en ont fait , il leur a déclaré la guerre. I| les a vaincus en plusieurs combats , ce qui a tellement intimidé ces peuples , que dès que l'armée Ethiopienne paraît en campagne , ils se retirent dans des montagnes inaccessi- Mes , où ils vendent chèrement leur vie , quand on va les y attaquer. Cette guerre était au commencement très-meurtrière , et un grand nombre de braves gens y périssaient tous les jours , parce que les soldats empoi- sonnaient leurs armes avec le suc d'un fruit, qui est à-peu-près semblable à nos groseilles rouges ; ainsi dès qu'on avait le malheur d'être blessé , on perdait la vie sans ressource. Les Ethiopiens , désolés des pertes qu'ils fesaient , ont trouvé dans ces derniers temps un moyen sûr d'arrêter l'effet d'un poison si violent. Ils font un cataplasme avec leur urine qu'ils délayent dans le sable. Ce cata- plasme appliqué sur la plaie , eu tire le venin ET CURIEUSES. 25() avec tant de succès , que le malade se trouve guéri CD peu de temps. L'Empereur , avant que de se mettre en campagne , fait publier le jour de son départ , et dresser ses tentes dans une grande plaine , à la vue de la ville de Gondar. Elles sont toutes magnifiques. Celle où loge l'Empe- reur est de velours rouge , brodée d'or. Trois jours après , ce Prince fait porter par toute la ville ses deux grandes timbales d'argent, monte h cheval , et se rend à Jlningon , où est le rendez-vous de toute l'armée. L'Empe- reur emploie trois jours à en faire la revue, après laquelle on entre en action ; ce qui ne dure qu'environ trois mois. Les armées sont si nombreuses , qu'on m'a assuré que celle que l'Empereur commandait en l'année 1 699^ était de quatre à cinq cens mille hommes. Le Palais d^Arringon n'est pas moins ma- gnifique que celui de Gondar^ qui demeure presque désert en l'absence du Prince. Oa y laisse quatre à cinq mille hommes pour y gnrder la Couronne. Cette garnison est com- lii.tudée par un des principaux Ministres , qui ne doit jamais sortir du Palais. Mon peu de santé m'empêcha de suivre l'Empereur à l'armée. Il en revint quelques jours avant les fêtes de Noël qu'il célébra dans sa Capi- tale dix jours plus tard que nous : parce que les Ethiopiens , aussi bien que les Chrétiens d'Orient , n'ont pas réformé leur Calendrier. L'Elpiphanie est en Ethiopie une des Fêtes des plus solennelles ; on l'appelle Gottas , c'est-à-dire, le jour qu'on se lave ; parce :<-M' %6o Lettres édifiantes qu'on se baigne ce jour-là en mémoire da Baptême de Noire -Seigneur Jésus -Christ. L'Empereur va avec toute la Cour h. Kaa , qui est un Palais près de Gondar , où il y a un magnifique bassin d'eau , qui sert h cette pieuse cérémonie. Aux Fêtes solennelles , qui sont en assez grand nombre en Ethiopie , l'Empereur fait distribuer un bœuf h chacun de ses Officiers ; ce qui va quelquefois jusqu'à deux mille bœufs. On a été long-temps en Europe dans Ter- reur sur la couleur et le visage des Etliio- piens ; cela vient de ce qu'on les a confondus avec les Noirs de la Nubie leurs voisins. La couleur naturelle des Ethiopiens est b^ane et olivâtre. Ils ont la taille haute et majes* tueuse , les traits du visage bien marqués , les yeux beaux et bien fendus , le nez bien "pris , les lèvres petites , et les dents blan- ches :, au lieu que les habitans du Royaume de Sennar ou de la Nubie , ont le nez écrasé, les lèvres grosses et épaisses et le visage fort | noir. L'habit des personnes de qualité est unel veste de soie , ou d'une fine toile de coton avec une espèce d'écharpe. Les bourgeois sont habillés de la même manière , avec cette différence qu'ils ne portent point de soie > et que la toile de coton dont ils se servent , est plus grossière. Pour le peuple , il n'a qu'un caleçon de coton et une écharpe ,^ qui lui couvre la moitié du corps. La manière de se saluer en Ethiopie est fort particulière ; on se prend la main droite les uns aux aulresi ET CURIEUSES. a6l et on se la porte mutuellement h U bouche ; OD prend aussi récharpe de celui qu*on salue , cl on se r Attache autour du corps ; ce qui fait que ceux qui ne portent point de vestes y lonï demi-nus quand on les salue. L'Empereur se nomme Jésus. Quoiqu'il ne soit Agé que de quarante-un ans , sa famille est déjh très-nombreuse. Il a huit Princes et trois Princesses. L'Empereur a de grandes qunlilés , un esprit vif et pénétrant , une humeur douce et affable*, et la taille d\in, Héros. C'est l'homme le mieux fait que j'aie vu en Ethiopie. Il aime les sciences et les beoux arts ; mais sa passion est pour la guerre. . Il est brave et intrépide dans les combats , et toujours h la tête de ses troupes. Son amour pour la justice est extraordinaire ; il la fait rendre h. ses sujets avec une grande exacti- tude ; mais comme il n'aime pas le sang , ce n'est qu'avec peine qu'il fait mourir un cri- minel. De si grandes qualités le font égale- ment craindre et aimer de ses sujets , qui le respectent jusqu'à l'adoration. Je lui ai ouï dire qu'il n'est pas permis à un Chrétien de répandre le sang d' vin autre Chrétien sans (le grandes raisons. De là vient qu'il veut qu'on fasse d'exactes et amples informations , avant que de condamner un criminel à la mort. Le supplice des coupables est d'être pendus ou d'avoir là tête coupée. On en condamne quelques-uns': à perdre leurs biens , avec défenses à qui que ce soit , sous des peines très-rigoureuses y de les assister , et même dt) leur doQQçr à boire ou à manger ; ce qui • 'M ; 1 ! 's H- J. l'i ft6« Lettres édipiantf?. fait errer ces misérables comn .^'^c hhoi féroces. Comme TEmpereurest humain , il ne se rend pas difficile à faire grâce h ces malheureux. Il est surprenant que lesEthio- piens étant naturellement aussi vifs et aussi prompts qu'ils le sont , on n'entende presque pas parler de meurtres , ni de ces crimes énormes qui font horreur. Outre la Religion, je suis persuadé que la justice exacte que Ton rend en cet Empire , et la grande police quoa y garde , contribuent beaucoup à l'innocence et à l'intégrité des mœurs. J'avais porté en Ethiopie une caisse de remèdes chimiques ; c'était un travail de six à sept ans. L'Empereur s'informa exacterti<înt de quelle manière on préparait ces remèdes, et comment on s'en servait ; quels en étaient les effets ; pour quelles maladies on les de- vait employer. Il ne se contenta pas de le savoir , il le fit mettre par écrit ; mais ce que j'admirai davantage , c'est qu'il gpûtait extrê- mement les raisons physiques que je lui ap-l portais de toutes ces choses. Je lui appris la composition d'une espèce debezoard , dont je me suis toujours servi avec un succès extraor- dinaire pour guérir toutes les fièvres inter- mittentes , comme l'Empereur et deux des 1 princes ses enfans l'éprouvèrent. Il voulut Tpir aussi de quelle manière on tirait les essences. Dans cette vue il m'envoyJ a Tzêmha , | Monastère situé sur la rivière de Reh à demi- lieue de Gondar. L'Abbé, que l'Empereur iiooore pour sa vertu et pour sa probité , me !(l E T CritICUSEfl. i63 reçut avec beaucoup d'honnêteté. CVst un vénérable vieillard âgé de quatre-vingt-dix ans , et un des plus savans de TËmpire. J*y dressai mes fourneaux , et je préparai tout ce qui était nécessaire. L'Empereur s'y rendit incognito. Je fis plusieurs expériences en sa présence , et lui communiquai plusieurs se- crets , dont il me parut extrêmement curieux. Je me crois obligé ici d'avertir ceux qui vou- dront porter des remèdes eu Ethiopie , de ne prendre que des remèdes chimiques, parce que les électuaires et les sirops se corrom- pent aisément sous la ligne , au lieu que les essences et les esprits se transportent aisément sans se gâter , et se conservent malgré la cha- leur. Gomme je demeurai trois semaines avec l'Empereur à Tzc:nba , ce Prince curieux me parla souvent de Religion, et me marqua avoir un grand désir de s'instruii'e de notre croyance , et de savoir en quoi nous différions de la Religion des Coptes , qui est celle qu'on suit en Ethiopie. Je tâchai de le satisfaire autant qu'il me fut possible ; mais je lui avouai que n'ayant pas étudié les matières les plus subtiles de la Théologie , je lui avais amené un homme des plus habiles de l'Eu- rope , soit dans les Mathématiques^ soit dans la Théologie. L'Empereur jeta alors un pro- fond soupir , et me dit d'un air touchant : J'ai donc beaucoup perdu. Je vous avoue que j'eus dans ce moment le cœur pénétré d'une douleur très-vive de voir que la mort m'avait enlevé le P« de Breyedeot, mon cb«c 1 m'. l'i .il -',> ft64 Lettres édipiantes Compagnon ; car ce Père , qui était insinuant et ]iâbile , se serait avantageusement servi d'une occasion si favorable pour convertir ce grand Prince , et pour l'instruire à fond de la croyance de l'Eglise Catholique. Un jour que nous étions seuls, l'Abbé du Monastère , mon interprète et moi , l'Empe- reur me pressa de lui expliquer nettement mes sentimens sur la personne de Jésus- Chbist. Je lui répondis que nous ne croyons pas que la nature humaine fut perdue et ab- sorbée en Jésus-Christ dans la nature divine , comme une goutte de vin est perdue et ab- sorbée dans la mer , ainsi que l'enseignent les Coptes et les Ethiopiens , comme l'Em- pereur me l'avoua : mais que nous croyons que le Verbe , qui est la seconde personne de la très-sainte Trinité , s'était fait vérita- blement Homme ; ensorte que cet Homme- Dieu que nous appelons Jésus-Christ , avait deux natures , la nature divine en qualité de Verbe et de seconde Personne de la très-sainte Trinité , et I9 nature humaitie dans laquelle il a paru vrai Homme , a véritablement souf- fert en son Corps , et a enduré librement et volontairement la mort pour le salut de tous les hommes. Après que j'eus parlé , l'Empe- reur se tourna vers l'Abbé , et autant que j'en pus juger , s'entretint avec lui sur ce que je venais de dire. Ils ne me parurent point sur- pris , et je ne crois pas qu'ils soient fort éloi- gnés des sentimens de l'Eglise Catholique sur ce point. Depuis cette conférence , l'Abbé me marqua encore plus d'amitié qu'auparavant. "'"- '-.-'■ ^" Peiidaflll ET CURIEUSES. ^65 pendant le séjour que l'Empereur fit à Tzernba , un de ses diverlissemeus les plus ordinaires , était de voir ses pages monter à cheval , et faire le manège , à quoi cette jeu- nesse est fort adroite. Il n'y a de Tzamha aux sources du Nil , qu'environ soixante lieues de France. J'avais dessein de voir ces fameuses sources , dont on a tant parlé en Europe^ et l'Empereur avait eu la bonté de me donner une compagnie de Cavalerie pour m'y accompagner , et pour me servir d'escorte ; mais je ne pus profiter d'une occasion si favorable , m'élant trouvé alors très-incommodé d'un mal de poitrine qui me tourmente depuis long-temps. Je priai Mourat , un des premiers Ministres de TËmpereur et oncle de l'Ambassadeur dont j'ai déjà parlée de m'en instruire. Mourat est un vénérable vieillard âgé de cent quatre ans, qui a été employé pendant plus de soixante ans dans des négociations très-importantes auprès du Mogol et dans toutes les Cours des Indes. L'Empereur a tant de considération pour lui , qu'il l'appelle ordinairement Baba Mouraf , c'est-à-dik-e , Père Mourat, Voici ce que ce Ministre j qui a été souvent aux sou rv CCS du Nil , et qui les a examinées avec soin , m'en a rapporté. , Il y a dans le Royaume de Coiame une montagne fort élevée , au liaut de laquelle $ont deux grosses sources d/eau , l'une à l'Orient , et J'autre à l'Occident. Ces deux sources forment deux ruisseaux , qui se pré- cipitent avec une grande impétuosité verif TomclIL M t ,■:-. . \m Ji I :ît a66 Lettres édifiantes milieu de la montagne dans une terpe spon- gieuse et tremblante , qui est couverte de cannes et de joncs. Ces eaux ne paraissent qu'à dis ou douze lieues de là où se réunis- sant , elles forment le fleuve du Nil , qui se grossit en peu de temps par les eaux de plusieurs autres rivières qu'il reçoit. Ce qui est men'eilleux , c'est que le Nil passe au milieu d'un lac sans y mêler ses eaux. Ce lac est si grand qu'on l'appelle Bahat-Dembea ^ c'est-à-dire , la Mer de Dembea. Le Pays qui l'environne est enchanté ; on ne voit de tous côtés que de grosses Bourgades , et de beaux bois de lauriers. Sa longueur est d'en- viron cent lieues , et sa largeur de treiite- cinq à quarante. L'eau en est douce et agréa- ble , et beaucoup plus légère que celle du Nil. Il y a vers le milieu de ce lac un«e île où l'Empereur a un Palais qui ne cède en rien à celui de Gondar pour la beauté et la magnificence des bAtimens, quoiqu'il ne soit pas si grand. L'Empereur y fit un voyage , et j'eus l'iion- iieur de l'y accompagner : il passa seul dans un petit bateau conduit par trois raïueurs ; nous le suivîmes , le Neveu du Minisire , Mouratei moi , dans un autre. Ces bateaux, pu il ne peut au plus tenir que six personnes , sont composés de nattes de jonc jointes en- semble fort proprement , mais sans être gou- dronnées. Quoique les joncs de ces nattes soient fort serrés les uns contre les autres , je ne comprends pas comment ces bateaux sont à l'épreuve de l'eau, ET CURIEUSES. 26*^ Nous demeurâmes trois jours dans ce Palais enchanté , où je (îs quelques expériences de chimie , qui plurent fort à l'Empereur. Ce Palais a une double enceinte de murailles , et deux Eglises desservies par des Hçligieux, qui vivent en communauté. L'une des deux Églises est dédiée à saint Claude , et donne le nom à cette ile, qui s'appelle l'île de saint Claude, et qui a environ une lieue de cir- cuit. Un des trois jours que nous fumes en ce lieu-là , on vint avertir l'Empereur qu'il pa- raissait sur le lac quatre Hippopotames ou chevaux de rivière. Nous eàmes le plaisir de les voir pendant demi-heure. Ils poussaient l'eau devant eux et s'élançaient fort ^laut. La peau de deux de ces animaux était blanche, et celle des deux autres rouge. Leur tête res- semblait à celle des chevaux , mais leurs oreilles étaient plus courtes. Je ne pus bien juger du reste de leur corps , ne l'ayant vu que confusément. Ces Hippopotames sont des amphibies , qui sortent de l'eau pour brcnîfr l'herbe sur le rivage, où ils enlèvent souv-î* les chèvres et les moutons, dont ils s .^ nov.* - lissent. Leur peau est fort estimée; oneo hit des boucliers, qui sont ^l'épreuve du ogus- quet et de la lance. Les Ethiopiens riu.;!';, nt la chair de ces animaux , qui doit wtre u:.e mauvaise nourriture. Voici la manière dont on les prend. Lors- qu'on en aperçoit quelqu'un , on le suit le sa- hre h la main , et on lui coupe les jaml)es. Ne pouvant plus nager , il vient au boid da -. Ma m'\ :}. \'. '.Ji a68 Le TTRES ÉDIFIANTES le rivage où il achève de perdre son sang. L'Empereur commanda de tirer le canon sur ces Hippopotames j mai§ comme on ne fut pas assez prompt à le tirer , ces animaux se replongèrent dans l'eau et disparurent. De l'ile de saint Claude , l'Empereur alla a jirringon , place de guerre dont j'ai parlé, et moi je pris la route à!Einfras , qui est à une journée de Gondar. La ville à'Emfms n'est pas si grande que Gondar, mais elle est plus agréable et dans une plus belle situation ; les maisons mêmes y sont mieux bAties. Elles sont toutes séparées les unes des autres par des baies vives , toujours vertes et couvertes de fleurs et de fruits , et entremêlées d'arb'res plantés h une distance égale. C'est l'idée qu'on doit se former de la plupart des villes d'Ethio- pie. Le palais de l'Empereur est situé sur une éminence , qui commande toute la ville. Emfras est fameuse par le commerce des esclaves et de la Civette. On y élève une quan- tité si prodigieuse de ces animaux , qu'il y a des Marchands qui en ont jusqu'à trois cens. La Civette est une esfèce de cliat : on a peine a la nourrir; on lui donne trois fois la semaine du bœuf cru , et les autres jours une espèce de potage au lait. On parfume cet animal de temps-en-temps de bonnes odeurs , (^t, une fois la semaine , on racle proprement une matière onctueuse , qui sort de son corps avec la sueur. C'est cet excrément qu'on appelle Civette, du nom de l'animal même. On renferma; cette matière avec soin dans des cornes de boeuf qu'on tient bien bouchées. ' m ET CURIEUSES. 269 J'arrivai à Emfras dans le temps des ven- danges , qu*on ne fait pas en Automne comme en Europe , mais au mois de Février. J'y vis des grappes de raisin qui pesaient plus de huit livres ^ et dont les grains étaienf gros comme de grosses noix. Il y en a de toutes les cou- leurs. Les raisins blancs . quoique de très- bon goût^ n'y sont pas estimés ; j'en demandai la raison , et je conjecturai , par la manière dont on me répondit, que c'était parce qu'ils étaient de la couleur des Portugais. Les Reli- gieux d'Ethiopie inspirent au peuple une si grande aversion contre les Européens , qui sont blancs par rapport à eux , qu'ils leur font mépriser , et même haïr tout ce qui est blanc. Emfras est la seule ville d'Ethiopie où les Mahométans fassent un exercice public de leur Religion , et où leurs maisons soient mêlées avec celles des Chré liens. Les Ethiopiens n'ont qu'vae femme , maïs ils souhaiteraient fort qu'il leur fut permis d'en avoir plusieurs , et de trouver dans l'Evangile quelque ch( se qui put autoriser ce sentiment. Dans le tennips que j'étais à Tzeniha avec l'Empereur , il me demanda ce que j'en pensais. Je lui dis que la plura- lité des femmes n'était ni nécessaire à l'homme ni agréable à Dieu , p'ùîsque Dieu n'avait créé qu'une femme pour Adam , et que c'était ce que Notre-Seigneur voulait marquer, quand il dit aux Juifs que Moïse ne leur avait permis d'avoir plusieurs femmes qu'à cause de la dureté de leur cœur j mais cela n'avait pas été' -r M 3 I •; '^Ùi ■il .^klr 270 Lettres édifiantes ainsi dès le commencement. Les Relifjîeux l'y en- voyer. Je lui répondis qu'on le trait' t avec tous les honneurs que mérite le plus grand et It; plus puissant Prince d'Afrique. 7/ est encore trop jeune , me répartit l'Empereur , et le voyage est trop long et trop di^cile ; mais quand il sera plus fort et plus avancé en âge , il pourra l'entreprendre. Mon départ étant arrêté , l'Empereur me donna une audience de congé avec les céré- monies ordinaires. Lorsque je fus en sa pré- sence , le grand Trésorier apporta un brace- let d'or , que l'Empereur eut la bonté de me mettre au bras au son des timbales et des trompettes. Cet honneur répond en Ethiopie h celui que font les Princes d'Europe quand ils donnent leurs Ordres. Ensuite il me (lonna le manteau de cérémonie, et comme c'était le temps du repas , il me fit l'honneur de me retenir et de me faire manger h une table, auprè&de la sienne , mais qui n'était pas si haute. Après dîner je pris congé de l'Em- pereur , qui ordonna au grand Trésorier de me fournir tout ce que je lui demanderais. M 6 r 1^ iiij?' â ^,^^.0. IMAGE EVALUATION TEST TARGET (MT-3) .*-A^. 1.0 1.1 Uâ|2B |2.5 |jo ""^" hhm ui ni 2.0 us 1.8 ||l.25|,.4 ,.6 ^ 6" ► teau la visite dont le Gouverneur de la Pro- vince m'honora par ordre de l'Empereur. Il y fit amener un jeune éléphant que l'Ambas- sadeur devait conduire en France , et pré- senter au Roi. C'était là l'efiet des ordres renfermés dans les petites courges. De la province de Siry , nous passâmes dans celle diAdoua , dont la capitale porte le même nom. Le Gouverneur de cette Pro- vince est un des sept premiers Ministres de l'Empire. L'Empereur a donné en mariage une de ses filles au fils de ce Gouverneur, H- il i a82 Lettres édifiantes qui 1 dans sa dépendance vingt-quatre petits Couvernemens ou Principautés. Lorsque nous fûmes arrivés à sa ville capitale , il fit dresser une tente magnifique dans son Palais pour m'y recevoir ; il me logea dans un très- bel appartement, et me régala pendant seize jours que je demeurai chez lui , avec une magnificence digne de sa qualité et de son rang. Ce fut lui qui eut ordre de me fournir abondamment tout ce qui me serait néces- saire pour mon embarquement sur la Mer rouge, et il le fit de la manière du monde la plus obligeante. Je mangeai par régal du bœuf sauvage , que les Ethiopiens estimipnt fort ; la chair en est très-bonne et très-déli- cate. Ces bœufs n*ont point de cornes , et ne «ont pas si gros que nos bœufs de France. Tl y a encore quantité de chevreuils dans cette province ; mais je n'y vis ni biches , ni cerfs. Après avoir remercié ce Seigneur qui nous combla d'honnêtetés, nous poursuivîmes notre route. Nous traversâmes une forêt pleine de singes de toutes les grandeurs , qui mon- taient sur les arbres avec une vitesse surpre- nante, et qui nous divertissaient par mille et mille sauts qu'ils fesaient. Nous entrâmes ensuite dans la province de Sarat^i, oh. y eus le chagrin de voir mourir le petit éléphant dont je m'étais chargé. C'est dans cette Province qu'on trouve les plus beaux chevaux d'Ethiopie , et d'où on tire ceux des écuries de l'Empereur ; c'était aussi dans cette Province où l'Ambassadeur avait ordre de prendre les chevaux, qu'il de- 1' îl ornes , et ne CT CURIEUSES. 289 Tait conduire en France. Ces chevaux qui sont pleins de feu , et qui sont aussi gros que les chevaux Arahes, ont toujours la tête haute. Ils n*ont point de fers , parce qu'on ne sait en Ethiopie ce que c'est que de ferrer les chevaux^ ni les autres bétes de charge. De Saraifi , nous «mvftmes enfin à Du- vama , capitale du royaume de Tigra, Il j a deux Gouverneurs dans cette Province ; je n'en sais pas la raison , ni quels sont leurt départemens. On les appelle Bamagas, c'est- à-dire, Bois de la Mer, apparemment parcç qu'ils sont voisins de la Mer rouge. Dtwarnd est divisé en deux villes , la haute et la basse ^ les Mahométans occupent la basse. Tout ce qui vient en Ethiopie » par la Mer rouge , passe par Duvarna, Cette ville , qui a environ deux lieues de circuit , est comme le bureau et le magasin général des marchandises des Indes. Toutes les mai- sons sont bâties de pierres carrées ; elles ont des terrasses au lieu de toits. La rivière de Moraha , qui passe au pied de cette ville , se jette dans le Tekesel ; elle est peu large , mais fort rapide , et on ne la peut passer san« danger. Nous employâmes deux mois et demi à nous rendre de Oondaren cette ville , où je devais attendre Mourat. Peu de temps après mon arrivée , les deux et c'est apparemment de cette Eglise que la ville a pris le nom à'Heleni, Au milieu de la grande place qui est devant TEglise , on voit trois aiguilles pyramidales et triangulaires de granit , toutes remplies de hiéroglyphes. Parmi les figures de ces aiguilles , je remarquai dans chaque face une serrure , ce qui est fort singulier , car les Ethiopiens ne se servent point de serrures , et n^en connaissent pas même l!usage. Quoi- qu'il ne paraisse pas de piédestaux , ces aiguilles ne laissent pas d'être aussi hautes que Tobélisque qu'on voit dans la place de saint Pierre de Rome , posé sur son piédes-, tal. On croit que ce pays est celui de la Reine de Saba : plusieurs villages qui dépendent de cette Principauté portent encqre aujour- d'hui le^om de Sabaim, On trouve dans les montagnes du marbre qui ne le cède en rien à celui d'Europe ; mais ce qui est plus consi- dérable , est qu'on y trouve beaucoup d'or^ même en labourant la terre , et on m'en apporta en secret quelques morceaux , que je trouvai très-fins. Les Religieux de cette Eglise sont habillés de peaux jaunes , et por- tent une calotte de la même couleur et de la «nême peau. « a une 'sonne. I allant k li : il y a igniiique Ls grande dédiée à it de cette eleni. Au st devant ramidales remplies •es de ces e face ^ne r , car les serrures , ige. Quoi- Laux , ces ssi hautes 1 place de ou piédes-, le la Reine dépendent re aujour- ve dans les e en rien à >lus consi- ;oup d'or, on m'en eaux, que X de cette es , et por- lur et de la ET CUaiBUSE». ftSf Après Tarrivée du Courier qui portait la triste nouvelle de la mort du Prince Basile » les Bamagas la firent publier à son de trompe par toutes les villes de leur gouvernement. Tout le monde prit le deuil , qui consiste k se raser la tète ; ce qui se pratique pai^-tout l'Empire , tant à l'égai'd des hommes et des femmes que des enfans. Le lendemain, les deux Gouverneurs , escortés de toute la milice et d'une multitude infinie de peuple , allè- rent à l'Eglise dédiée h la sainte Vierge , où l'on fit un service solennel pour le Prince , après lequel on retourna au palais dans le même ordre. Les deux Barnagas s'assirent dans une grande salle, et me placèrent au milieu d'eux ; ensuite les Officiers et les per- sonnes de considération , hommes et femmes , se rangèrent autour de la salle. Des femmes avec des tambours de basque , et des hommes sans tambours , se placèrent au milieu de la salle , et commencèrent à faire mutuellement en l'honneur du Prince , des récits en forme de chansons , mais d'un ton si lugubre , que je ne pus m'empêcher d'en être attendri , et de pleurer pendant une heure que dura la cérémonie. Il y en avait qui , pour marquer leur chagrin , se déchiraient le visage , et se le mettaient tout en sang, ou se brûlaient les tempes avec des bougies. Il n'y avait dans cette salle que des personnes de qualité ^ le peuple était dans les cours , où il fcsaif l' des cris si lanientables , qu'il aurait attendri les personnes les plus dures. Ces cérémonies durèrent trois jours ^ s^lon la coutume. r. ;288 Lettres édifiantes Il faut remarquer que lorsque quelque Ethiopien meurt , on entend de tous côtés des cris épouvantables. Tous les voisins s'as- semblent dans la maison du défunt , et pleu- rent avec les parens qui s*y trouvent. On lave le coips mort avec des cérémonies particuliè- res , et après Tavoir enveloppé^ d'un linceul neuf de coton , on le met dans un cercueil au milieu d'une salle avec des flambeaux de cire. On y redouble les cris et les pleurs au son des tambours de basque. Les uns prient Dieu pour l'ame du défunt ;, les autres disent des vers à sa louange, ou s'arrachent les clie- ▼eux, se déchirent le visage, ou se brûlent la chair avec des flambeaux pour marquer leur douleur. Cette cérémonie , qui est affreuse et touchante, dure jusqu'à ce que les Religieux viennent lever le corps* Après avoir chanté quelques Pseaumes et fait les encensemens, ils se mettent en marche tenant'! à la main droite une croix de fer et un livre de prières à la gauche ; ils portent eux- mêmes le corps , et psalmodient pendant tout le chemin. Les parens et amis du défunt sui- ventet continuent leurs cris avec des tambours . de basque. Ils ont tous la tête rasée , qui est la marque du deuil , comme je l'ai déjà dit. Quand on passe devant quelque Eglise , le convoi s^y arrête ; on y fait quelques prières, ensuite on continue son chemin jusqu'au Heu de la sépulture. Là on recommence les encensemens ; on chante pendant quelque temps les Pseaumes d'un ton lugubre , et on auet le corps en terre. Les persoaaes copsî- dérables pelque AS c6tés ins s'asr- et pleu- On lave rticuUè- i linceul cercueil beaux de irs au son ient Dieu liseût 6es les clie- ,e brident marquer j qui est i»à ce que rps. Après et fait les che tenant' i 3t un livre rtent eux- udant tout défunt sui- stambouw.| ée , qui <^st li déjU dit. Eglisfe , le es prières , Q jusqu'au imence les Il quelque ibre , et ojk mes consi- dérables ET CTT11IE17SES. ftS^ dérables sont enterrées dans les Eglises, et les autres dans les cimetières communs , où Ton plante quantité de croix à-peu-prcs dei la même manière que ftmt les Pcies Cliar- tieux. Les assistans retournent à la maison clù défunt > où Ton fait un festin. On s'y assemble pendant trois jours matin et soir pour pleurer , et on ne mange point ailleurs pendant tout ce temps-là. Après trois jou' s. on se sépare jusqu'au huitième jour de la mort , et de huit en huit jours on se rassemble pour pleurer pendant deux heures , ce qui se pratique pendant toute l'année. C'est leur anniversaire. Quand le Prince héritier , ou quelqu'autre d'une qualité très-distinguée meurt, l'Em^ pereur est trois mois sans s'appliquer aux affaires , h moins qu'elles ne soient pressées» Gomme il voujait envoyer un Ambassadeur en France , il fit venilr Mourut^ lui donna ses ordres , lui fit remettre sa lettre de créance pour le Roi ; et après l'avoir revêtu du man- teau de cérémonie dans une audience publia que , il le fit partir. Son voyage ne fut pa^ heureux. Les chevaux qu'il devait présenter au Iloi moururent en chemin. Mourut rcn»- voya en Cour pour en avoir d'autres : cet accident retarda son voyage , et me fit pren- dre la résolution d'aller l'attendre à 3/crJua , pour donner ordre à notre embarquement. La veille de mon départ , les Barnagas , après avoir renvoyé les troupes qui m'avaient conduit à Duvarna , donnèrent ordre à cent lanciers à pied , qui avaient un Ofîlcier à Tome IIL N '■r dgb Lettres édifiantes cheval à leur tête , de se tenir prêts à mar- cher le lendemain pour m*escorter jusqu'à Messua, Je renvoyai une partie de mes domestiques, et je n*en gardai que trente. Je partis de Duvarna le 8 Septembre de Tan 1700, et je passai avec bien de la peine et du danger une rivière très -rapide nommée Moraba, Depuis Duvamay les Seigneurs des villages ne font plus porter les bagages par leurs vassaux; mais on se sert de certains bœufs ^u'on nomme Bers, et qui sont d'une espèce différente de ceux qu'on nomme Ftida , qui sont les bœufs ordinaires. Ces animaux, Idont on ne mange point la chair , font beaucoup de chemin en peu de temps. J*en avais une •vingtaine^ dont une partie portait les grandes provisions de notre vaisseau , et l'autre nos tentes ; parce que, depuis que les pluies uvaicnt cessé , nous couchions la nuit à la campagne. Les habitans de ce pays , qui sont en partie Mahométans et en partie Chrétiens ^ appor- tent des vivres et des'provisions aux caravanes qui passent. J'appris qu'à une journée de notre routé , on voyait quelque chose de fort extraordinaire dans un des plus fameux Mo- nastères du pays. Je voulus m'en assurer par moi-même ; je quittai le grand chemin, etj pris avec moi v ipgt lanciers et le Commandant pour faire plus sûrement ce petit voyage. Nous employâmes la moitié d'une journée à 1 gravir une montagne fort difficile et toute | couverte de bois. Quand nous fumes au haut, i es villages par leurs îns bœufs me espèce ^rida , qui laux, ^ont beaucoup i avais une les grandes Vautre nos les pluies a nuit à la tit en partie ns, appor- X caravanes ournée de lose de fort ameux Mo- assurer par chemin , et I oramandant | îiit voyage- le journée à I île et toute nesaubaut,! ET CURIEUSES. tt^l nous trouTàmes une Croix et le Monastère que nous cherchions. Ce Monastère est au milieu d*une forêt , dans une affreuse solitude. Il est bien bùli et a une vue fort étendue; on y découvre la Mer rouge et un vaste Pays. Il y a cent Reli- gieux dans cette maison qui y mènent une vie très-austère , et qui sont habillés de la même manière que ceux à*IJelem, Leurs cellules sont si étroites, qu'un homme u de la peine à s*y étendre. Ils ne mangent point de viande non plus que les autres Religieux d'Ethiopie. Ils sont toujours appliqués k Dieu et à la méditation dés choses saintes ; c'est là toute leur occupation. J'y vis un vieillard âgé d'environ soixante - sÎK ans , qui n'avait vécu pendant sept ans que de feuilles d'olivier sauvage. Cette mortification extraordinaire lui avait causé un crachement de sang qui l'incommodait beaucoup. Je lui donnai quelcpes remèdes , et lui prescrivis un régime de vie un peu plus doux. C'était un très -bel homme et très -poli, frère du Gouverneur de Tigra, L'abbé du Monastère nous reçut avec beaucoup de charité. Sitôt que nous fumes arrivés , il nous lava les pieds et nous les baisa , pendant que ses Religieux récitaient des prières. Après cette cérémonie, on nous conduisit à l'Eglise proccssionnelle- n -at, les Religieux chantant toujours , et nous allâmes ensuite dans une chambre où l'on nous apporta k manger. Tout le régal ne consista qu'en du pain trempé dans du beurre et en de la bière } car on ne boit ui N 9. ' iil >SiQy. Je laisse au lecteur à faire les ré-' flexions qu'il lui plaira sur ce prodige que j'ai vu> et sur ce que ces Religieux m'ont dit là-dessus. Le lendemain ayant pris congé de l'Abbé et des Religieux qui me firent l'honneur de m'accompagner fort loin, j'allai rejoindre lat caravane que j'avais quittée , et je continuai mon voyage. Je ne vis rien dans le reste de ma roule qui mérite qu'on y fasse attention* Huit jours après être partis de DuK^armi j nous arrivâmes h Jlrcouva , petite ville sur le bord de la mer Rouge , que les Géogra- phes appellent fort mal Arequiesj nous n'y demeurâmes qu'une nuit. Nous passâmes le lendemain en bateau un bras de mer , et nous nllAmes à Messoua , qui est une petite île , ou plutôt un rocher stérile sur lequel est })l\tie une forteresse, qui appartient au Grand- Seigneur, et qui est la demeure d'un Bâcha. . N 3 l! ig^ Lettres édifiantes C'est peu de chose que cette torterèsne , et un vaisseau de guerre bien armé s'en saisirait aisément. Pendant que j'y étais , un vaisseau Anglais vint mouiller à la rade , ce qui jeta l'épouvante dans toute l'île. On songeait déjà à se mettre en sûreté , lorsque le Capitaine du vaisseau envoya sa chaloupe à terre pour assurer le Commandant , qu'il n'avait rien à craindre des Anglais , qui étaient amis du Grand-Seigneur. Le Bâcha de Alessoua met un Gouverneur h Suaquenyy'ûïe dépendante de l'Empire Ottoman , sur le bord de la mer Rouge. C'est là qu'est la pêche des perles et des tortues, dont on fait un grand comme^^ce, et dont le Grand-Seigneur tire un gros 're- venu. Le Bâcha de Messoua lae reçut avec beaucoup d'honnêtetés , à la recommanda- tion de l'Empereur d'Ethiopie, qu'on craint beaucoup dans ce' pays-là , et ave.c raison ; car les Ethiopiens pourraient aisément se rendre maîtres de cette place ^ qui leur appar- tenait autrefois, en l'aâamant, et refusant de l'eau aux habitans de Messoua , qui sont obligés d'en faire venir à*^rcouua j car il n'y en a point dans l'île. ^ Pendant que j'étais à la cour d'Ethiopie , j'appris que les Hollandais avaient tenté plus d'une fois de lier commerce avec les Ethio- piens y mais soit que la différence de religion, soit que la grande puissance des Hollandai.s dans les Indes orientales > leur aient donné de la jalousie > il est certain que les Ethio- piens n'en veulent point avoir avec eux ; et je leur ai entendu dire qu'ils ne se fieraient ET CURIEUSES. ÔqS jamais à des Chrétiens qui ue jeûnent point, qui n'invoquent point les Saints , et qui n^ croient pas la réalité de Jésus-Christ dans le saint Sacrement. , i Les Anglais ont aussi envie de se lier avec les Ethiopiens ; et je sais qu'un Marchand Arménien , nommé uigapyri , s'était associé aux Anglais pour entrer dans ce commerce , qui leur serait avantageux. Car outre l'or , la civette , les dents d'éléphant , etc. on tire- rait de l'Ethiopie l'aloès , la myrrhe ^ la casse , le tamarin et le café , dont les Ethiof piens ne font pas un grand cas , et qu'on m'a dit avoir été transporté autrefois d Ethiopie dans V JTémen ou l'Arabie heureuse , d'où on le tire à présent ; car on ne le cultive aujourd'hui en Ethiopie que par curiosité. La plante du café est à-peu-près comme le myrthe ; les feuilles en sont toujours vertes, mais plus larges et plus touffues. Il porte un fruit comme une pistache , et au-dessus une gousse où sont renfermées deux fèves , et c'est ce qu'on appelle le café. Cette gousse est d'ahord verte , mais en mûrissant elle devient hrune. Il est faux qu'on fasse passer le café par l'eau bouillante pour en gâter le germe, comme quelques-uns l'ont assuré , on le lire des gousses où il est renfermé , et on l'envoie sans autre préparation. Les retardemens de l'Ambassadeur Mourat m'inquiétaient , parce que j'appréhendais de perdre Xa mousson. Je lui écrivis que j'avais pris la résolution d'aller l'attendre à Gedda, îl me répondit que je pouvais y aller , et N4 ^ : 7 ac)6 Lettres édifiantes qu'il lûchcrait de s'y rcHclre ; que la mon du prince Basile , et les embarras qu'il avait trou- vés sur sa route , l'avaient empêché de me joindre. Ainsi je congédiai tous mes domes- tiques , et je les récompensai d'une manière qui leur aura donné de l'estime pourles Fran- çais. Ils fondaient en larmes et voulaient tous me suivre ; mais je ne le leur permis pas. Gela étant fait , je pris congé du Bâcha de Messoua , et je m'embarquai le a8 Octo- bre sur une barque , qui avait été construite à Surate. Je ne voulus point me mettre sur les bâtl- mens du pays , qui me paraissaient fort m^tu- Vais et peu sûrs , les planches , quoique gcib- dronnées , n'étant attachées ensemble qu'avec d'assez méchantes cordes , aussi bien que les voiles, qui ne sont que de nattes de feuilles de domi. Cependant ces bâtimens si mal équipés , et encore plus mal gouvernés , por- tent beaucoup , et quoiqu'ils n'aient que sept ou huit hommes pour les conduire , ils sont d'un grand usage dans toute cette mer. Nous abordâmes , deux jours après notre départ de Messoua^ à une petite île nommée Deheleq. Les vaisseaux qui viennent des Indes ont coutume d'y faire aiguade et d'y prendre des provisions qu'on y trouve en abondance , excepté le pain , dont les habitans manquent souvent eux-mêmes , ne vivant la plupart du temps que ue chair et de poisson. Nous res- tâmes huit joursxiàns cette île , parce que le Vent nous devint contraire ; mais sitôt qu'il fut bon , nous passâmes à une autre île nom- !• T r r P 1 î. TfSïïS. 2()'J lïiée Ahitgafar , (|ui signilio, Pèrn. du p ir* don. Le Capitaine ne manqua pas de descen- dre , et de porter un flambeau au tombeau de ce malheureux Abugafar. Les Mabomé- tans craindraient de faire naufrage , s'ils y manquaient , et ils se détournent même de leur route pour aller visiter ce prétendu Saint* Nous cinglâmes ensuite en haute nier à tra- vers les écueils qui sont h fleur d'eau eltrès- fréquens , ce qui rend cette navigation fort périlleuse ,• mais les Pilotes qui connaissent ces écueils, passent sans^crainte tout au tra* vers, quoiqu'on en trouve à tous momens. Nous arrivAmes le sixième jourh Kaiitumhuly c'est un rocher fort élevé dans la mer , à une demi-lieue de la terre ferme d'Arabie ; nous y jetùmcs l'ancré entre l'écueil et la terre , et nous y passâmes la nuit. Le lendemain nous côtoyâmes l'Arabie , et nous mouillâmes Il Ibrahim Mersa , c'est-à-dire , aif mouU" lagc d' Abraham, ^ousconûwiîaiïes ensuite notre route , et après huit jours de naviga* tion , nous abordâmes à Consita. C'est une jolie ville, qui ïippartient au Roi delà Mecr que , et le premier port de mer de ses Etats du côté du midi. On y aborde volontiers , parce qu'on n'y paie qu'une douane ^ et qu'il en faut payer deux ailleurs. Il y a de très- beaux magasins ; on y met les marchandiies qu'on débarque , et qu'on fait passer ensuite par terre sur le dos des chameaux à Gedda , qui en est éloignée de cinq h six journée*. Nous demeurâmes huit jours à l'ancre à Con^ sila pour nous reposer et pour attendre le V • 29B Lettres édifiantes vent faVornblc. Le commerce est grand dans cette ville , parce qu'il y vient un grand nom- bre de Marchands Mahométans , Arahes et Indiens. On n'y reçoit point les Indiens ido- lâtres. Les vivres y sont h meilleur marché , et en plus grande abondance qu'à Gedda , où nous arrivâmes le cinquième de Décembre de Tannée mil sept cent. Depuis TTautuy/iM jusqu'à Gedda , nous ne naviguions cpie le jour^ et nous mouillions tous les soirs à cause des écueils. Gedda est une grande ville sur le bord de la mer à demi journée de la Mecque. Le port ou plutôt la rade en est assez si^re , quoiqu'elle ait le Nord-Ouest pour traversier. Le fond est assez bon en certains endroits, et les petits vaisseaux y sont à flot , mais les gros sont obligés de rester à une lieue. J'allai Il terre et je logeai dans un Oquel. Ce sont quatre grands corps de logis à trois étages avec une cour au milieu. L'étage d'en bas est pour les magasins , les passagers occupent les autres étages. Il n'y a point d'autres hôtel- leries en ce pays-là non plus qu'en Turquie. Il y a quantité de ces Oqueh dans Gedda. D'abord qu'uii voyageur est arrivé , il va cher- cher des chambres et des magasins qui lui -conviennent , et dont il paie au maître un prix réglé qui n'augmente ni ne diminue ja- mais. .Je donnais quatre écus par mois pour deux cbambres , une terrasse et une cuisine. Ces Oquels sont des asiles et des lieux sacrés , où l'on ne craint ni les insultes ni les vols : *e qu'il y a d'incommode , c'est qu'on n'y ET CUHIEVSES. B99 fournit rien , il faut se meubler , acheter et préparer soi-même ce qu'on veut manger , à moins qu'on ne le fasse faire par ses domes- tiques. Deux jours après que je fus arrivé à Gedda , le Roi de la Mecque y vint avec une armée de vingt mille hommes. Il fit dresser ses ten- tes et campa à la porte de la Ville qui con- duit h la Mecque. Je le vis ; c'est un homme Agé d'environ soixante ans , d'une taille majes- tueuse , mais dont le regard parait affreux y il a la lèvre inférieure fendue du côté droit; ses sujets et ses voisins ne se louent pas de sa douceur , ni de sa clémence. Il oblige» le Bâcha qui e&\.^'Gedda de la part du Grand- Seigneur , de lui donner quinze mille écus d'or et le menaça de le chasser , s'il ne lui obéissait sur-le-champ. Il fit aussi une avanie à tous les Marchands sujets du Grand-Sei- gneur, qui y sont établis pour le négoce , et il leur fit payer trente mille écus d'or. Il fit distribuer ces deux sommes à ses troupes , qui sont toujours nombreuses^ ce «mi le rend maître de la campagne. Il vient t^us les ans des caravanes des Indes et de Turquie en pè- lerinage à la Mecque, Il y en a de fort riches ; car les Marchands se joignent à ces caravanes pour faire passer leurs marchandises des Indes en Europe , et d'Europe aux Indes. Quand ces caravanes arrivent à la Mecque , il s'y tient une grande foire où se trouvent une multitude infinie de Marchands Maho- métans avec toutes les marchandises les plus précieuses des trois parties du monde , qu'on * N 6 t^> ] I i! % :| il* I r 300 LeTTRTS liDlFIANTES y éclian^c. Le-* roi de la Mecaue s'avisa de l'aire piller les earavanes des Itides et de Tur- quie en itl<)() et i-t)o. Ce Prince s'appelle CliérifoM Aobla pur excellence , parce qu'il protend être descendu du Prophète Maho- met. Le Grand-Seigneur était depuis long- temps en possession de donner l'investiture de ce Royaume ; mais ce Chérif^in est lier et hautain , s'est soustrait à l'autorité du Grand-Seigneur qu'il appelle par mépris Elon mamliiq , c'est - à - dire , Jils d'une Esclave. Médinc est la Capitale de son Royaume ; elle est fameuse parle tombeau de Mahon^et, comme la Mecque est célèbre par sa nafis- sance. Le Prince ne demeure pas souvent à Mcdine , parce qu'il est presque toujours à lu t(He de ses armées. Les Turcs en arrivant à Mèdine , ôtent leurs habits par respect , ne gardant qu'une écharpe qui leur couvre le milieu du corps ; ils viennent de trois ou quatre lieues en cet équipage ; ceux qui ne veulent pas se soumettre à cette loi , paient une somme d'argent pour faire un Sacrifice à Dieu en l'honneur de Mahomet. Gedda n'tîst pas un lieu où les Chré- tiens puissent s'établir, particulièrement les Francs h cause du voisinage de la Mecque, les Mahométans ne le souffriraient pas. Il s'y fait cependant un grand commerce , car les vaisseaux qui reviennent des Indes , y mouillent. Le Grand-Seigneur entretient ordinairement dans ces mers , trente gros vaisseaux pour le transport des marchandises. ET CURIlUStS. 3of Ces vaisseaux , qui pourraient étr^ percés pour cent pièces de canon , n'en ont point. Tout est cher h Gedàn ju&qu'à l'eau , à causo du grand abord de tant de nations dillercn- tes ; une pinte d'eau , mesure de Pai is , coiilc deux ou trois sous , parce qu'on l'apporte de quatre lieues loin. Les murailles de la Ville ne valent rien : la forteresse qui est du c6té de la mer est un peu meilleure \ mais elle ne pourrait pas soutenir un siège , quoiqu'il y ait quelques pièces de canon pour sa défense. La plupart di-s maisons sont de pierres ; elle» ont des terrasses au lieu de toit, à la manière des Orientaux. On me fit voir sur le bord de la mer h deux portées de mousquet de la Ville , un tom- beau qu'ils assurent étie celui d'Eve notre première mère. Les environs de Gedda sont tout-k-fail désagréables : on n'y voit que des rochers stériles et des lieux incultes pleins de sable. J'aurais bien souhaité voir la Mecque , mais il y a défense aux Chrétiens d'y paraî- tre , sous peine de la vie. Il n'y a point de rivière entre Gedda et la Mecque , comme quelques-uns l'ont avancé mal-h-propos ; il n'y a qu'une fontaine où l'on va puiser l'eau qu'on boit à Gèdda, 'l Après avoir demeuré un mois dans cette Ville , j'appris que l'Ambassadeur Mourut ne viendrait pas sitôt; et que s'il perdait la Mousson , il serait obligé de demeurer encore un an en Ethiopie. Cela me fit prendre la résolution de m'embarquer sur les vaisseaux qui se disposaient pour aller à àluez , et de ; 1 1 1 -n i \9 S ,1 ' 1 i m I 3 ; 1 . i ■■ipi Soi L E .. 1 R E s É D I FI A N T E S visiter le mont Sinaï , où Mourat m'avait mandé de me rendre , en cas qu'il ne vînt pas à Gedda. Je m'embarquai le douzième de Janvier de Tannée mil sept cent-un , sur des vaisseaux que le Grand-Seigneur avait fait bâtir à Surate. Quoique ces vaisseaux soient, forts grands , ils n'ont qu'un pont. Les bords en sont si élevés , qu'un homme de la plus haute taille étant debout ne peut y atteindre. Les cordages de ces vaisseaux sont très-épais et très-durs ; leurs mâts et leurs voiles sont peu difTérens des nôtres. Ce qu'il y a de particu- lier dans ces vaisseaux , c'est qu'on y pratique des chambres ou citernes , lesquelles sont si grandes , qu'elles peuvent fournir pendant cinq mois l'eau nécessaire à un équipage de cent cinquante hommes. Ces citernes sont si bien vernissées en dedans que l'eau s'y conserve très-pure et très-nette , et beaucoup mieux que dans les tonneaux dont on se sert en Europe. Nous eûmes bien de la peine à sortir des écueils qui sont autour de Gedda , et dont toute cette mer est remplie , ce qui nous obligeait à nous soutenir toujours près des terres que nous laissions sur la droite. Nous jetions tous les soirs l'ancre pour ne pas donner dans les écueils , que les Pilotes de ces mers évitent avec une adresse mer- veilleuse ; on les voit à fleur d'f au de tous côtés , et ces Pilotes passent hardiment au travers , par le grand usage qu'ils ont depuis leur enfance de naviguer sur ces mers ; car plusieurs de ces matelots sont nés sur ces ET CURIEUSES. 3o3 Mtimens , qu'on peul regarder comme de {;rands magasius ilottaus. Après cinq ou six jours de navigation , nous mouilli\mes à File d'ffassama à deux lieues de la terre ferme ; elle n'est pas habitée , mais on y fait de l'eau qui est très-bonne. De là jusqu'à Sueis on mouille tous les soirs près de terre , et les Arabes ne manquent pas d'apporter des ra- fraîchissemens. ^ , ,_.-, Douze ou treize jours après être partis d'/T^j- sama, nous arrivâmes à la rade à' ytimho. C'est une ville assez grande , défendue par un Château qui est sur le bord de la mer, dont les fortifications sont fort misérables. Elle appartient au Roi de la Mecque. Je n'allai pas la voir , parce que les Arabes qui courent de tous côtés dans ces quartiers vo- lent les passans , et maltraitent ceux qui vont à terre. Le vent contraire nous arrêta huit jours dans cette rade. Deux jours après notre départ d' Vambo , nous mouillâmes entre deux écueils , et nous y essuyâmes une si furieuse tempête , que nos deux cables se rompirent , ce qui nous mit en grand danger de nous perdre \ mais la tempête ne dura pas. Nous abordâmes à Mieula. C'est une ville à-peu-près de la même grandeur qu' Yambo , qui a au&si un Château de peu de défense. De là nous passâmes à Chiurina. C'est un très-bon port où les vaisseaux sont à l'abri des tempêtes. 11 n'y a en ce lieu-là ni ville ni village , mais quelques tentes où habitent iles Arabes, ^ous arrivâmes à Chiurma\Q i^ i.3' %■' iîi ^Mà ^' 3o4 Lettres édifiantes Avril , h cause que les vents contraires nous arrêtèrent long-temps. La Mousson étant avancée , je désespérais de pouvoir tenir plus long- temps la mer , et je débarquai à. Chiurma ; j'y pris des chameaux qui me con- duisirent à Tour en six Jours. Tour appar- tient au Grand-Seigneur : il y a garnison dans le Cliûteau avec un Aga qui y commande, et un grand nombre de Chrétiens Grecs dans le village. Ils ont un Monastère de leur rit , lequel dépend du grand Monastère du mont Sinaï. J'appris en ce lieu-là que rArchevê- que du Monastère du mont Sinaï , qui était paralytique , et qui avait été informé de mpn arrivée à Gedda , avait donné ses ordres à 7Wrpour qu'on m'engageât à l'aller voir. Je me mis donc en chemin , et je pris la route de ce fameux Monastère , où je n'ar- rivai qu'après trois jours de marche par des chemins impraticables, et par des montagnes très-difficiles. Le Monastère du mont Sinaï est situé au pied de la montagne ; les portes en sont toujours murées à cause des courses des Arabes. On m'y tira par une poulie avec des cordes , et on y fit entrer mes bardes de la môme manière. ' ' ' •'' ^* ' Je saluai d'abord l'Archevêque qui est un \énérable vieillard, âgé de quatre-vingt-treize ans. Je le trouvai paralytique de la moitié* du corps ; il me fit compassion. Je le con- naissais depuis quelques années , parce qne je l'avais traité au Caire d'une maladie dont je l'avais guéri. Je fus encore assez heureux pour le mettre en étal de célébrer pontifica- ' ET CURIE USES. ^ So5 lemcnt la Messe le jour de PAqucs , ce qu'il n'avait pu faire depuis long-temps. Ce monastère est solidement liAli , ayant de bonnes et fortes murailles. L'Eglise est magniiique , c'est un ouvrage de l'Empereur Justinien , à ce que me dirent les Religieux. Ils sont au nombre de cinquante , sans comp- ter ceux qui vont à la quête. Leur vie est très-austère ; ils ne boivent point de vin , et ne mangent jamais de viande, même dans leurs plus grandes maladies. L'eau qu'ils boivent est excellente , elle vient d'une source qui est au milieu du monastère. On leur donne , trois.fois la semaine , un pelit verre d'eau-de-vie , qu'on fait avec des dattes. Ils jeûnent très-auslèrcment les quatre Cai'émes , qui sont en usage dans l'Eglise orientale ; hors ce temps-là , on leur sert à table des légumes et du poisson salé. Ils se lèvent la nuit pour chanter l'Office divin , et ils en passent la plus grande partie au chœur. Ils me firent voir une chasse do marbre blanc , couverte d'un riche drap d'or, dans laquelle est renfermé le corps de sainte Catherine , qu'on ne voit point. On montre seulement une main de la Sainte, qui est ff>rl dessé- chée , et dont les doigts sont pleins de ba^iies et d'anneaux d'or. L'Archevêque j qui est aussi Abbé du Monastère , a sous lui uu Prieur dont le pouvoir est fort borné , quand l'Archevôque n'est pas absent. J'eus la curio- sité d'aller au haut de la montat!,ne , justju'au lieu où Oieu donna les deux tables de la loi à Moïse. L'Arcbevéque eut la bouté de m'y ■\ 3o6 Lettres édifiantes faire accompagner par quelques-uns de ses Religieux. Nous montilmes au-moins quatre mille degrés avant que d'arriver au sommet de celte fameuse montagne , où Ton a bâti une Cha- pelle assez propre. Nous vîmes ensuite la Chapelle d'Elie ; nous déjeunâmes à la fon- taine , et nous revînmes au Monastère après Avoir beaucoup fatigué. La montagne voisine est encore plus haute ; je n'eus pas le courage d'y aller , parce que je me trouvai encore accablé de la première journée. C'est sur cette seconde montagne , que le corps de sainte Catherine fut transporté par les Anges ^ «près qu'elle eut été martyrisée. ' Je demeurai un mois dans ce Monastère , en attendant l'Ambassadeur Mouvat. Je commençais à m'y ennuyer , et je désespérais de le voir , lorsqu'on m'apprit qu'il n'était pas loin , et qu'il allait arriver au Monas- tère. Cette nouvelle me causa une joie très- sensible. J'allai le recevoir , et je le présOritai à l'Archevêque , qui le reçut avec beaucoup d'honnêteté. Il me raconta toutes les dis- grâces de son voyage ; il m'apprit que la mort du Prince Basile avait d'abord retardé son départ ; que l'Empereur cependant , malgré l'accablement de sa douleur, lui avait donné audience, et l'avait expédié; qu'il s'était arrêté à Diwarna pour attendre de nouveaux ordres de l'Empeicur. Il me dit les mauvais traitemens qu'il avait reçus delà part du Roi de la Mecque , qui lui «v{iit enlevé les enfans Etliiopienb qu'il amenait ET CURIEUSES. - So^ en France ; et que, pour comble de disgrâce , le vaisseau sur lequel élaient les présens avait fait naufrage près de Tour ; que neuf gros vaisseaux chargés de café étaient demeurés dans ce port , parce qu'ils étaient partis trop tard , et qu'ils avaient perdu le temps de la mousson. Ce retardement a rendu le café fort cher au Caire , ces vaisseaux n'ayant pu gagner Suez , où ils déchargent les marchan- dises pour en prendre d'autres , qui sont des toiles , du blé , du riz , et autres denrées qu'ils tirent du Caire en échange de celle» des Indes. Après que l'Ambassadeur Mourat se fut reposé pendant cinq jours au mont Sinaï , nous reprîmes la route de Tour ^ où nous rejoignîmes ses gens et ses équipages. Nous ne demeurùmes qu'une nuit dans ce port , et nous partîmes dès le lendemain par terre , en côtoyant presque toujours la mer , pour aller à Suez , où nous arrivâmes en cin(| jours. . . . Suez est une petite ville au fond de la mer Rouge. C'est le port du Caire , dont elle est éloignée de trois journées de chemin. Cette ville est commandée par un château bâti à l'antique et mal fortifié. Il y a un Gouver- neur avec deux cens hommes de garnison , et de très-beaux magasins. Le pays n'est pas agréable , on ne voit que déserts remplis de rochers et de sables. Celte ville n'a point d'eau non plus ({vie Gedda , on l'y apporte de dehors , mais elle y est à meilleur marché. A mon arrivée à To«/', j'écrivis à M. Mail- la .«i .■î '- V'Si âo8 Lettres édifiantes let , Consul de France au Caire , pour lui faire savoir TaiTivée de l'Ambassadeur. Il me pria de me rendre au Caire ie plutôt que je pourrais. J*obéis , et je me servis de la pre- mière caravane qui partit. Elle était com- posée d'environ huit mille chameaux. Je montai sur un dromadaire ; et après avoir fait trois lieues avec la caravane , je pris les de- vans et j'arrivai en vingt-quatre heures au Caire. Ces dromadaires sont plus petits que les chameaux ; leur pas est rude , mais fort vite , et ils marchent vingt-quatre heures sans s'arrêter. On ne s'en sert que pour porter les hommes. A mon arrivée au Caire ^ je rendis compte de mon voyage à Monsieur notre Consul^ et je fis préparer une belle maison pour loger l'Ambassadeur , qui arriva deux jours après. M. Maillet lui envoya à son arrivée toutes sortes de rafraîchissemens , et convint avec lui que je passerais en France, pour ins- truire, la Cour de tout ce que je viens de raconter. * Je pourrais écrire beaucoup d'autres par- ticularités qui regardent l'Ethiopie , et par- ler du gouvernement de ce grand Empire , de la Religion , des charges , des tribunaux de justice , de la botanique même et de la médecine : mais il faut pour cela que je jouisse du repos qu'on cherche avec empres- sement après de si longs et si péni:)les vo3^a- ges , et que l'air de France m'ait rendu la santé , dont on ne goûte la douceur que lors- qu'elle est parfaite. Car , nous autres Méde- ET CURIEUSES. Sog cins , qui guérissons les autres , nous ne savons souvent pas l'art de nous guérir nous- mêmes. S5S L MÉMOIRE de l'Ethiopie, E premier nom de cette vaste partie dç la haute Afrique , que nous appelons Ëthio-^ pie , a été Lud, Lydie ; c'est sous ce nom qu'en pnrle Moïse , Isaïc , Jérémie , Ezéchiel. Le savant Bochard prouve que le cours tor- tueux du Nil avait fait donner ce nom h la Lydie Africaine , où il prend sa source , comme les détours du Méandre ont fait don- ner le même nom h la Lydie Asiatique. Moïse nous apprend que les Lydiens d'Afrique étaient une Colonie Egyptienne. Vers le temps de l'Exode , ils furent subju- gués par les Ethiopiens , c'est-à-dire , les Nègres que l'Ecriture appelle Chus , lesquels partis des bords de l'Inde , fondèrent un puissant Empire dans la Lydie Africaine , et lui donnèrent Ip nom d'Ethiopie. Ils se répan- dirent ensuite dans l'Afrique , où ils possè- dent encore à présent plusieurs*Royaumes. J'ai dit que les Ethiopiens étaient venus de l'Inde ; apparemment on les connaissait sous le nom d'Indiens , et c'est la vraie cause du mécompte de tant d'Auteurs anciens et modernes , qui ont confondu l'Jnde avec ï'Ethiopie. i Wi ilmi.i' il •'^ 3lO LCTTRCS ÉDIFIANTES Les Abissins qui j dominent aujourd'hui , kie s'en emparèrent que plusieurs siècles après l'invasion des Ethiopiens. On ignore le temps précis de leur conquête. On sait seulement qu'elle a précédé la fin de l'Empire de Cons- tantin ; ils sont originaires de l'Arabie heu- reuse , du Royaume d'Yemen , c'est-à-dire du Midi , dont Saba est la capitale. Le Peuple portait le nom d'Homerites ; la Reine qui vint voir Salomon régnait sur eux , et si l'on en croit la tradition ancienne et cons- tante de ce Peuple , elle eut de Salomon un Fils nommé Menilehec j la Reine et le Peuple embrassèrent la Religion juive. Les Eii^pe- reurs d'Ethiopie prétendent descendre de ce Fils de Salomon ; et le Père Tellèz , Jésuite , qui nous a donné en Portugais une Histoire d'Ethiopie , généralement estimée , critique judicieux , et juge rigoureux des traditions Ethiopiennes , avoue qu'il n'oserait rejeter cette origine de la famille Royale d'Etliio- |ne. M. Ludolf , docte Allemand , auquel l'Europe doit une connaissance plus dis- tincte de la Langue , des mœurs , et de l'his- toire des Abissins, propose quelques con- jectures assez faibles , contre ce fait avoué par tous ceux qui ont écrit la même Histoire. n est coiSstant que les Abissins , quand ils se convertirent au Christianisme, fesaient profession du Judaïsme ; depuis le règne du Fils de Salomon jusqu'à leur conversion, leur Histoire n'offre rien de certain ; elle n'apprend pas même , quand une partie des Homerites jointe à d'autres Arabes , passa la ET CURIEUSES. 3ll mer, conquît la province de Tigré sur les Ethiopiens, et fonda le royaume d'Axuma. Les Homerites les regardaient comme un amas de malheureux, contraints par la misère à chercher une nouvelle demeure , et le nom d'Abissin ^ selon son étymologie Arabe , est une injure. Les Peuples à qui nous le don- nons le refusent ; ils prennent le nom d'A-' gassiens , c*est-h-dire^ dans leur langue^ libres, indépendans f ils se servent aussi , en parlant de leur Pays , du nom d'Ethiopie , non qu'ils soient Nègres, leur couleur est olivâtre; ils sont fort différens des Nègres , et ordinaire- ment ils sont bien faits et ont l'air grand. Le royaume d'Axuma était gouverné par deux Frères , Abraham et Atzbée , quand Frumence , fils d'un Marchand Alexandrin et captif, leur annonça l'Evangile ; les deux Rois dont l'histoire et les Hymnes qu'on chante encore , louent la concorde , renon- cèrent au Judaïsme. Saint Athanase ordonna Frumence premier Evêque de cette Nation, qui depuis n'a jamais eu qu'un seul Evéque pour tout le Pays , et a regardé l'Eglise d'Alexandrie comme sa mère spirituelle. Elle ne lui a été que trop soumise , puis- qu'elle a reçu d'elle les erreurs de Dioscore, et s'est séparée comme elle de l'Eglise Catho- lique. Les Abissins lui étaient encore unis sous l'Empire de Juslinien leur Roi. Eles-» baam , dont l'Eglise Catholique honore la mémoire , comme d'un Saint , repa&sa la mer, détrôna Dunaam, Roi des Homerites, Juif et persécuteur des Chrétiens , et mit le 3là liETTRJES ÉDIFIANTES fils d*Arelas sur le trône. Apres cette glorieuse expédition , il envoya sa couronne à Jéru- salem , et i) embrassa l'institut Monastique. Les Ethiopiens lui donnent le nom de Calob. Tous leurs Princes ont deux noms , et sou- vent plusieurs ; car ils en prennent un nou- veau , lorsqu'ils parviennent à la couronne , et quelquefois un autre dans les grapds évo- nemens. On n'a que des conjectures sur le temps où l'Ethiopie fut engagée dans les erreurs des Jacobites. La Nubie , voisine de l'Egypte, ne fut pervertie que vers le milieu du hui- tième siècle. L'histoire des Jacobites i^ous fournit une preuve certaine , que les Patriar- ches d'Alexandrie hérétiques ne consacraient point l'Evêque d'Ethiopie au commencement de ce huitième siècle. Enfin , on ne voit dans cette Histoire la communication de l'Eglise Ethiopienne, avec les Patriarches Ja<^^o])ites, qu'au conimencement du neuvième siècle; on peut donc supposer que l'Ethiopie a con- servé la Foi jusqu'au neuvième siècle. Elle ne la perdit pas sans que ce changement de Keligion excitût des troubles. L'Evêque Jaco- bite envoyé par le Patriarche d'Alexandrie Jacob , éprouva de la résistance dans l'exé- cution de son projet. 11 fut chassé après quelques années ; mais le parti hérétique prévalut enfin. L'Abouna (i) Jacobite fut rappelé. L'Eglise Ethiopienne ne pouvait (i) Abouna signifie Pèi'9{ c'est le nom qu'on dfliinci rJilyê(j[ue d'l!îtliio|)ie. . alors ET CURIE USES. 3l5 ^lors lîrer aucun secours de l'Eglise Grecque, infectée et persécutée par les Iconoclastes. Une nouvelle Athalic voulut , vers l'an <)6o 3 détruire la famille de Salomon ; elle réussit eh partie; elle usurpa laCourpnne,ct elle la laissa à un fils né de son mariace avec un Seigneur Ethiopien. Cette nouvelle race Royale a donné de grands Rois à l'Ethiopie ; elle finitvers l'an i3oo. Ikun-Amlac, descen- dantdu seul Prince de la maison de Salomon , échappé à la fureur de l'usurpatrice , recouvra le Royaume de ses pères. Un de ses succes- seurs, nommé Constantin, envoya ses Dé- putés au Concile de Florence. David , son arrière petit-fils , âgé de douze ans , et sous la tutelle de sa grand'mère Hélène ^ demanda à Emmanuel , Roi de Portugal , du secours contre ses ennemis , et des Prédicateurs qui l'instruisissent de la foi Catholique. Après la mort de cette sage régente , David iS plongea dans Toisiveté et dans le liber- tinage ; Hamet Ganhé , Visir du Roi d'Adel, Mahométan, le chassa de presque tous ses Etats. Dans cette triste situation , il eut re-* cours à Jean III , Roi de Portugal , comme il avait eu recours à Emmanuel. Il mourut avant que d'avoir obtenu ce qu'il souhaitait. Claude, son fils et son successeur, fut plus heureux. Lé Roi de Portugal lui envoya des troupes qui lui furent très-utiles. Ce Reli- gieux Prince joignit à ces troupes un Pa- triarche, des Evêques et des Missionnaires orthodoxes ; saint Ignace , fondateur de la Compagnie de Jésus , que le Pape Jule III Tome m. O ■1i Wî - ;■' ■ 4" 1 " , ■ , Ég Mm : : l'Fii'l , I''*! .; i''*»! ': kïm l.i I ■ '.K7-iîi'-" W"* M ÏJ ''.'i' 3i4 Lettres édifiantes chargea de cette entreprise apostolique , choisit Jean Nugnez pour Patriarche , et pour Sufi'ragans et Goadjuteurs du Patriarche André Oviedo et Melchior Garnero. Le Pa- triarche partit de Lisbonhe Fan i55o. Gependant Glaude avait succédé h David son père, sous le nom d'Atznaf Saghed (i). Le Roi de Portugal n*avait pas voulu expo- ser le Patriarche à l'inconstance du Prince Ahissin ; il avait ordonné que Nugnez atten- dit à Goa le retour de Jacques Dias , son Ambassadeur vers l'Empereur d'Ethiopie. Gonzalve Rodriguez , Jésuite , accompagnait l'Ambassadeur. Ils trouvèrent le nouvel Em- pereur dans des sentimens fort contraires à ceux que David avait fait paraître. Glaude avait de grandes qualités , de l'esprit et plus d'étude qu'un Prince n'en a d'ordinaire j il fesait le Théologien , et il pouvait le faire ; car les Missionnaires avouèrent qu'il en savait -plus que ses Docteurs ^ et que, dans les dis- putes qu'il aimait , il donnait à ses erreurs lin tour fort subtil et fort imposant. Il publia une confession de foi pourjustifîer son Eglise suspecte de Judaïsme ; il avait l'arae grande : avec le secours de quatre cens Portugais , il reconquit ses Etats ; mais après dix-huit ans et quelques mois de guerre contre les MaLo- métans d'Adel, abandonné de ses troupes dans (i) Saghed ou Seghed , signifie en Ethiopie , auguste, vénérable. Tous les Empereurs d'Ethiopie, que nous jconuaissous depuis David, ont pris ce surnom j les Hislo- riens , pour n'avoir pas fait eette remaraue , ont ieté uae jg;t ande confusion dau9 'pas fait eette remarque , ont jeté lau9 rUisloire d'Ethiopie. , , ET CTT11ICVSE9. 5l£» «ne bataille , il tint ferme avec dix-huit Por- tugais, et mourut glorieusement comme eux. André Oviedo était arrivé en Ethiopie , dès Tan i557; ^^ quoique l'Empereur lui e&t défendu de parler de Acligion h ses sujets, il en avait converti un petit nombre. Adam as Seghed , frère et successeur de Claude , Prince féroce , exila Oviedo et ses compagnons, sur une haute montagne froide et stérile. Ils y passèrent huit mois, exposés aux injures de Vair , aux bâtes féroces et à un peuple plus farouche que les bétes. Privés de la consolation de pouvoir dire la Messe , on leur avait ôté jusqu'à leur calice. On per- sécuta encore plus cruellement les nouveaux fidèles ; plusieurs obtinrent la couronne du martyre. Une Princesse du Sang Royal, que la curiosité ou plutôt que la Providence avait conduite à la caverne qui servait de retraite aux Jésuites exilés , et qu'elle vit environnés d'une lumière miraculeuse, obtint d'Adamas le rappel des saints Missionnaires. Ils font de nouvelles conversions : le barbare Adamas s'irrite. Cinq Abissins, qui avaient quitté l'erreur 4 sont exposés à des lions affamés. Le miracle de Daniel se renouvelle , la férocité des lions se change en douceur ; mais le cœur du tyran ne changea pas. Il condamna Oviedo^ ses compagnons et ses disciples > à un exil plus éloigné et plus affreux que le premier. Ils allaient périr de faim et de soif , quand Dieu , touché de la prière d'Oviedo , fit pa- raître Ji leurs yeux une rivière, qui, s'tsî- tr'ouvraut après avoir appaisé leur soif , leur O z I. !»' .3i6 Lettres ÉniriANTEs présenta une multitude de poissons suffisante pour les nourrir. Un de ces saints Confes- seurs et un des soldats qui les conduisaient , et que le miracle convertit , l'ont attesté avec «prment dans des informations juridiques. Le bruit de ce miracle fit rappeler encore une fois les exilés. L'heureux succès du zèle d'Oviedo ranima bientôt la rage du per- ^cùteur. Peu s'en fallut qu'il ne tuât de sa propre main le saint Ëvéque ; il le bannit une troisième fois avec tous les Portugais, dont il retint les femmes et les enfans dans l'esclavage. Sa cruauté ne se bornait pas aux Catholiques ; ses sujets maltraités élevè- rent sur le Trône Tazcar, fils naturel de Jâcob , son frère : Adamas , pressé par les rebelles , fit revenir dans son £amp les Por- tugais et les Jésuites. D'abord il fut vaincu: dans une seconde bataille, il vainquit l'usur- pateur , et lui ôta la vie. Il né fut pas si heu- reux contre un grand Capitaine Ethiopien Isaac Barnagas , lequel mécontent d' Adamas, introduisit dans l'Ethiopie les Turcs , et réduisit Adamas à de grandes extrémités : Adamas mourut dans ce triste état de ses alFaires , l'an i563. Les Grands d'Ethiopie se partagèrent entre plusieurs prétendans à l'Empire , et ce ne fut qu'après dix-sept ans que Malac Scghed , fils d' Adamas , posséda tranquillement la Cou- ronne. Quoiqu'attaché aux erreurs de sa Secte , il laissa les Catholiques en paix. Il ^■imail la vertu. Un Historien hérétique nous ;9ippre.nd qu'il était fort touché de l'ijanocence ETCURÏEUSES. Jljf des mœurs et de la vie sainte des Jésuites , quelqu'éloîgué qu'il fût de leur doctrine. Il n'eut point de fils légitime ; mais il en eut deux naturels. Quoique son inclination le portât à mettre sur le Trône Jacob , le plus jeune de ses fils , la justice l'emporta, et se voyant prêt de mourir , il déclara Zadengliel , son neveu , son légitime successeur. Le6 Grands quivoulaient profiter d'une minorité ^ n'eurent aucun égard à la dernière volonté de l'Empereur, et ils préférèrent Jacob qui n'avait queseptans, à Zadenghel. Leur am- bition fut trompée : Jacob , sorti de l'enfance, voulut être le maître. Les deux principaux Seigneurs qui l'avaient mis sur le Trône , ramenés à leur devoir par l'ingratitude de celui auquel ils l'aViSleut sacrifié , tirèrent de pri$on Zadenghel . l<)ur R-oi Hg rlîîne •,- eî le couronnèrent. Il prit le nom d'Atznaf- Seghed IL Jacob fuyant ivec huit gardes , qui seuls n'avaient point hangé, comme sa fortune , fut arrêté et livré à l'Empereur , qui, sans écouter des défiances assez bieïi fondées , et une politique cruelle , pardonna à l'usurpateur , et se contenta de le bannir. Tous les partisans de l'usurpateur éprou- vèrent la clémence de leur Monarque légi- time ; il ne se vengea d*eux qu'en leur mon- trant , par sa conduite , combien il était digne de l'Empire , et combien ils avaient été in- justes à son égard. L'Ethiopie n'a point eu de Souverain plus accompli : s'il ménageait la vie de ses sujets même rebelles , il ne mena-* geait point la sieuue , quand le salut de l'Etat A O à !:1^^ 11 i-li! 4m mmû m m a 3r8 Lettres i^ditiantes le demandait. Les Galles , peuple barbare et belliqueux , perpétuels ennemis des Ethio- piens, avaient fait marcher trois armées pour profiler des troubles de la Cour Abissine. Le Général envoyé contr*eux , avait été défait : le Roi marche, les Galles viennent au-devant dé lui , attaquent ses troupes friiguées : déjà les Abissins, poussés avec vigueur , cédaient , rompaient leurs rangs , et fuyaient. Les Chefs pressèrent le Roi de se retirer : Que ceux gui craignent la mort plus que Vinfamie ahan^ donnent leur Prince , dit-il , pour moi je f aurai vaincre ou mourir en Roi ; il met pied à terre, et s'élance sur l'ennemi. La hoiite ranime le courage des Abissins ; ils se rallient autour de leur Prince , et chargent les Galles Avec tant d'ardeur, qu'ils remportent une pieme victoire. Il i-e^^aii deux arimfe: ^^ Cralles à combattre , Atznaf sans prendre au- cun repos , fait avancer en diligence ses trou- pes dans des chemins rudes et coupés par des montagnes , surprend la seconde armée des Galles et la taille en pièces. La troisième armée n'attendit pas ce rapide vainqueur. Oviedo , devenu Patriarche par la mort de Nugnez , mourut à Fromena l'an 15^7 , au mois de Septembre. Son extrême pauvreté , jointe aux persécutions qu'il soufirait avec une patience invincible ; sa charité , les fré- quens miracles que Dieu opérait par son ser- viteur, le fesaient rechercher également des Catholiques et des Schismaliques. Après sa Inort , tous honorèrent son sépulcre. Les gué- rissons des malades et les conversions qui s(3 ET CURIEUSES. dig ÊTent à son tombeau , le iesaient regarder comme un homme miraculeux , qui exerçait encore après sa vie son apostolat. Les cinq compagnons aOviedo continué^ rent de travaillera la conversion de rËthio- pie. François Lopès mourut le dernier , l'an 1697. Leur mémoire fut long-temps véné- rable aux Schismatiques , dont quel((ue8- uns rendaient un témoignage bien persuasif de leur sainteté dans lés informations juri- diques que l'Archevêque de Goa en fit faira par Michel de Silva , son Grand- Vicaîrô. Le Père Pierre Paès , Castillan , choisi par ses Supérieurs pour la Mission d'Ethiopie 9 avait, dès Tannée iSSo^ tenté ce voyagei , Dieu qui voulut lui faire acheter , par de cruelles souffrances , les succès qui lui étaient., réservés , l'éprouva par les plus tristes aven- tures , par de dures prisons , par l'aiFreux travail dès galères auxquelles les Turcs le condamnèrent. Enfin l'an i6o3 , il pénétra jusques dans l'Ethiopie , et fut favorablement reçu par l'usurpateur Jacob. Après la révo# lution qui rétablit le Prince légitime , Paès trouva encore plus de faveur auprès de ce Prince. Atznaf-S'eghed avait autant d'esprit que de courage ; droit et sincère , il aima et embrassa la vérité sitôt qu'il l'aperçut* Je ne puis , disait-il , ne pas reconnaftre pour Chef de l'Eglise le Successeur fie Pierre , auquel Jésus'Chnst à donné le soin de paître les brebis et les agneaux , et sur lequel il a fondé son Eglise, Je ctvis que lui refuser l'obéissance , c*est la refuser à o 4. I ' i î " ' -i ^ . m •: Siîo Lettres édifiantes Jésus- Christ, (i) Il aJ)jura ses erreurs , et après avoir caché sa conversion peu de temps , il se déclara ouvertement Catholique , et il écrivit l'an i6o4 au Roi d'Espagne Philippe III , pour demander un Patriarche , des Evo- ques et des Missionnaires. - La faveur extraordinaire de Laeça-Mariam avait irrité les Grands ; ils cherchaient un prétexte pour le perdre. LesEdits du Prince, en laveur de la Religion Romaine , leur en offrirent un , qu'ils ne négligèrent pas. Zas- lacé , homme d'une naissance ohâcure , mais que son mérite militaire égalait aux premiers de la Cour , donna le signal de la révolte , ingrat et perfide à son souverain qui l'avait rappelé de l'exil auquel l'usurpateur Jacob l'avait condamné. L'Empereur suivit le re- bellt; pour le combattre ; mais dans la marche il fut abandonné de Ras-Athanase. Ce pre- mier Officier de la Couronne, fier d'avoir donné deux Maîtres à l'Ethiopie , ne savait point obéir. Plusieurs des principaux Offi- ciers suivirent son exemple. Le Père Paès et le G'ncral Portugais conseillaient au Roi de modérer son zèle et sa valeur , de traîner en longueur la guerre , d'attendre que Vam- bition de commander divisât les conjurés. L'Empereur n'écouta pas leur conseil. L'A- bouna ou l'Evêque hérétique Pierre , était parmi les révoltés. Par un attentat inoui en Ethiopie , il osa absoudre les Abissins du (i) Ceci est tiré de Ludolfj Historien hérétique. ( Note lie 1 ancienne édiUou* ) , - ^ • ET CURIEUSES. S»! serment prêté à l'Empereur. On combattit , et l'Empereur trahi par ses propres troupes , mourut en combattant ; Lseça-Mariam justi- fia l'amitié que son Prince avait pour lui , et, fut tué en le couvrant de son corps. Susneios , arrière-petit fils de l'Empereur David , et hér'âer lét^itime de l'Empiref après Atznaf-Seglied , s'était retiré parmi les Galles , pour éviter la cruauté de l'usurpa» teur Jacob ;.il saisit l'occasion de monter sur le Trône , et il envoya un de ses amis pour traiter avec le fameux Ras-Atlianase , qui avait déjà disposé deux fois de la Couronne, mais pour assurer l'efTet de la négociation , il suivit lui-même avec ses troupes le député qu'il envoyait. Athanase délibérait , quand l'arrivée de Susneios le contraignit à se dé- terminer. Susneios fut reconnu Souverain par tQUte l'armée d' Athanase. Zaslacé était encore à la tête d'une armée rebelle. Le nou- vel Empereur lui mande fièrement qu'il ms diffère pas de se soumettre. Zaslacé demande du temps , sous prétexte de la parole qu'il avait donnée à Jacob , en le mettant sur lu Trône; mais il ajouta que si Jacob, dan$ un mois pour tout délai , ne venait le join- dre , il dégagerait sa parole , et se déclare- rait pour Susneios. La réponse de Zaslacé fut mal reçue ; l'Empereur marcha prompte- ment contre lui. Zaslacé , sans s'elTrayer , s'avança de son côté ; Susneios s'aperçut assez-tôt de l'inégalilé de ses forces , pour faire une retraite prudente dans les monta- gnes d'Amhara ; la lenteur de Jacob le sei^ 0 5 % !r!«i .;! . \ W'!^ V, ï!fW: 322 Lettres ÉDIFIANTES vit mieux que sa propre précipitation ne Veut servi. Les Chefs de Tarmëe de Zaslacé voyant que Jacob ne paraissait pas , s'impa- tientèrent et forcèrent le Général d'envoyer dix Députés rendre hommage à Susneios. Les Députés partent ;~ mais par un contre-temps bizarre Jacob arriva : Zaslacé change encore une fois de parti , rappelle ses députés et couronne Jacob. Ras-Athanase abandonne Susneios , qui aussi sage que vaillant cède au malheur , et attend en sûreté dans des montagnes impraticables des circonstances plus favorables. Jacob , pour s'assurer l'Em- {»ire , envoie lui offrir trois Provinces, avec e titre et l'autorité de Roi. Susneios refuse tout partage. Jacob ayant perdu toute espé- rance de paix , crut pouvoir finir la guerre j il alla chercher son rival dans sa retraite. L'Empereur, après avoir éludé la première impétuosité des troupes rebelles par des con- tremarches adroites ^ et étant instruit que Zaslacé campait séparément , et que , par une méprise de l'ennemi toujours funeste , il né- gligeait de faire bonne garde , tomba subite- ment sur cette partie des rebelles et la défît entièrement : Zaslacé n'eut point d'autre Î>arti à prendre que celui de rentrer dans 'obéisance de Susneios ; il crut eflacer , par cette démarche , la honte de sa défaite. Jacob qui craignait que l'exemple de Zaslacé ne fut contagieux , cherchait h engager son ennemi dans une bataille décisive ; il se confiait à la multitude de ses troupes. Susneios , en grand Capitaine^ évita de combattre jusqu'à ce 3 pitatîon né I de Zaslacé as , s'impa- 1 d'envoyer asneios. Les [)ntre-lemps ange encore j députés et abandonne raillant cède été dans des îirconstances issurerTEm- fvinces, avec isneios refuse u toute espé- lir la guerre ; s sa retraite. 3 la première 5 par des con- instruit que que , par une ineste , il né- omba subite- Iles et la défit point d'autre rentrer dans l effacer , par défaite. Jacob Zaslacé ne fut er son ennemi ,e confiait à la eios, en grand xe jusqu'à C» ET CURlEtl?'^». 3-43 qu'il eut attiré les rebelles ùans un terrain séné , où il ne pouvait être enveloppé et où le grand nombre devenait inutile à son rival. Jacob perdit la bataille et la vie. L' Abonna, c'est-à-dire , l'Evêque hérétique Pierre , qui combattait pour l'Usurpateur , périt dans le- carnage , et l'excommunication qu'il avait criminellement lancée sur l'Empereur et ses sujets fidèles retomba sur lui. Zaslacé toujours inquiet , chagrin de ne pas dominer, se van- tait déjà qu'il lui avait été prédit qu'il fe- rait mourir trois Empereurs d'Ethiopie , que Zadeughel et Jacob attendaient le troi- sième. Susneios le relégua dans un désert du Royaume de Goiame ; il s'échappa et tenta d'exciter de nouveaux troubles : mais méprisé et réduit à commander des voleurs , il fut tué par des paysans. Ras-Âthanase n'eut guère un meilleur sort : privé de ses emplois y chassé de la Cour , abandonné par sa femme , il mourut bientôt dans l'obscurité et dans l'indigence ; justes chàtimens de son ambi- tion et de ses perfidies. Un faux Jacob ne parut que comme un éclair ; il prit 'bientôt la fuite , et la fuite ne le déroba pas au sup- plice. Un autre imposteur tenta vainement de former un parti en Ethiopie , et vint mourir en France sous le nom de Zagaechit , fils de Jacob. Susneios , qui avait pris le nom de Seltan- Seghed , étant tranquille sur son trône , s'at- tacha à rétablir la justice , et à remédier aux maux que les guerres civiles avaient causés. La Religion eut sa première attention : il fit 0 6 1 1 '.j M ï: , 1 w m i ij i ki ''lî V ::P ■ Sî*^ Lettres ÉDIFIANTES venir à la Cour le Père Pierre Paès , Jésuite , qui levait converti son prédécesseur, Alznaf- Seghed ; le Père Paès gagna la confiance de Susneios , aussi proraptement qu'il avait gagné le cœur d'Atznaf ; ce digne Mission- naire , selon le témoignage des hérétiques inéme , joignait à une vertu héroïque , à un <;sprit universel , une prudence rare , et une politesse perfectionnée par la vraie charité. Il ouvrit les yeux du Prince aux lumières de la Foi. Susneios , sans être effrayé par Icj? disgrâces d'Atznaf , pensa sérieusement a rendre l'Etliiopie Catholique. Les Moines Abissins et l'Abouna ou Métropolitain helvé- tique , furent confondus dans plusieurs con- férences. Ras-Zela-Christ , frère utérin de l'Empereur , beaucoup de Grands et plu- sieurs OOIciers distingués renoncèrent au schisme. L'Eippereur crut ne devoir plus différer à ordonner que tous ses sujets reçus- sent le Concile de Chalcédoine ; l'Abouna Siméon , à la tête des Moines , employa d'abord les sollicitations les plus fortes ; enfin , il excommunia tous ceux qui aban- donneraient l'ancienne Religion; on fit peu d'attention à des excommunications si témé- raires. La révolte d'Emana Christp , frère utérin de l'Empereur , et d'j£luis , gendre" de l'Empereur , donna plus d'inquiétude ; elle fut bientôt appaisée parla mort d'iEluis et dé l'Abouna Siméon. D'autres rebelles qui s'élevèrent l'un après l'autre , eurent le même sort. L'Empereur profita de tant d'heu- Teux succès. Il déclara à ses peuples sa coa- • ET CrKIEUSES. Ba^ version par une espèce de manifeste , où il fesait d'affreux portraits des Patriarches d'Alexandrie , et des Métropolitains d'Ethio- pie. Les Moines schismatiques , que les Jésui- tes avaient tant de fois réduits au silence , eurent recours aux calomnies ; ils en répan- dirent de bien ridicules pour rendre les Pères odieux ; ils disaient qu'ils étaient des des- cendans de Pilate , parce qu'ils étaient Ro- mains comra»^ ce mauvais Juge. ^ La Mission d'Ethiopie fit l'an 1622, au mois de Mai , une grande perte. Le Père Pierre Paès , appelé par l'Empereur pour entendre sa confession générale , mourut d'une maladie contractée par la fatigue du voyage et d'un jeune rigoureux , qu'il n'avait point voulu interrompre. Son corps usé par les travaux apostoliques n'y put résister. La Cour le regretta , mais l'Empereur en fût inconsolable. Il vint dans l'Eglise des Jésui- tes se jeter sur le tombeau du Père , et l'ar- rosa de ses larmes : Ne me parlez point de modérer ma douleur , s'écriait-il , j'ai perdu Vami le plusjidèle , j'ai perdu mon Père ; le Soleil gui a dissipé les ténèbres dont l'Ethiopie était couverte , s'est*donc éclipsé ; nous n'aurons plus devant les yeux ce modèle de pénitence , de dévotion et d'hw milité ; c'est ainsi que son affliction s'expri- mait. Quatre ans après la mort du Père Paès , l'Empereur avait écrit au Pape et au Roi d'Espagne , pour demander un Patriarche et des Missionnaires. Alphonse Mendez , Jé-^ suite Portugais , fut nommé Patriarche , et " ) t+di ':i. 326 Lettres édifiantes sacré h Lisbonne Tan 16*^4. Il arriva à la Cour d'Ethiopie vers la fin de Tannée sui- vante. Il profita des favorables dispositions dans lesquelles il la trouva ; l'Empereur , le Prince son fils , les Grands , plusieurs Moi- nes , plusieurs Clercs firent leur profession solennelle d'une sincère soumission au suc- cesseur de saint Pierre , comme au Chef de l'Eglise ; on douta de la validité des ordina- tions faites par les Métropolitains héréti- ques (i). On ordonna de nouveaux Diacres et de nouveaux Prêtres , le nombre des Catholi- ques se multipliait tous les jours. Que ne promettaient pas de si beaux commence- mens ; ils furent troublés par de nouvelles révoltes. Tecla Georges , gendre du Roi , se mit à la tête des rebelles ; vaincu et pris , il fut pendu à un arbre ; la Princesse sa sœur , complice de son crime , fut condamnée au même supplice , dont l'infamie irrita au der- nier point les Princesses de la Cour. Le zèle du Roi fut trop vif , il voulut trop tôt abolir tous les anciens Rits de l'Eglise Ethiopienne , et réduire tout aux lois et aux usages de l'Eglise Romaine. Ces nouveautés aigrirent les esprits : les Grands , le Peuple animé par les Moines , demandèrent fièrement le réta- blissement de l'ancienne Liturgie. LePatriar- ' (i) Ce n'était pas sans raison , puisque toute la céré- monie de l'ordination consiste en ce que le Patriarche assis récite le commencement de l'Evangile de saint Jean sur la tête de ceux qu'il veut ordonner Prêtres : pour les Diacres , il se contente de leur donner la bénédiction , SRiis réciter l'Ëvaugiie* ( Note de Taucienue édition. ) i , I ET CURIEUSES. " B'i^ che fut obligé de céder , il y fit quelques cor- rections , mais elles furent mal observées ; on prit les armes dans plusieurs Provinces. Les Agaves , nation féroce , avaient pour Chef Melca-Christ , jeune Prince du sang Hoyal , qui prit, les titres d'Empereur et de défenseur de l'ancienne Religion. L'Empe- reur accoutumé à vaincre , poussa les rebelles -dans les rochers de Lasta , il ne put les y forcer , et il s'en fallut peu que l'aile gauche de son armée ne fut taillée en pièces. De trois Généraux auxquels il laissa ses troupes , Zela- Christ , qui avait pris la place de Ras-Zela- Christ , envoyé par le Roi pour soumettre la Province d'Amhara révoltée , fut vaincu et périt dans le combat. Melca-Christ battit en- core une fois l'armée Impéijale ; les héréti- ques imputèrent ce malheur à Zela-Christ j ils obtinrent de l'Empereur , que le Prince son frère fût dépouillé d'une partie de ses biens et exilé ; c'est ainsi qu'on récompensait sa valeur toujours victorieuse ; on lui fesaitun crime de n'avoir point vaincu Ih où il n'était pas ; on le rendait responsable des fautes ou de l'infortune de son successeur. Après avoir 6té aux Catholiques leur protecteur , on ne cessa de leur susciter des affaires , et de fati- guer l'Empereur par des représentations vives sur le péril où était l'Etat , s'il ne rétablissait promptement l'ancienne Religion. Le Vice- Roi de Goiame se déclara pour les rebelles , et tenta d'engager dans la conspiratûm le Prince héritier de l'Empire , Faciladas. Le traitre fut bientôt puni j la troisième expé^ ^.^:!t li i -A Pi m '!' 3^8 Lettres édifiantes dition de Susneios contre les rebelles fut malheureuse , mais la quatrième réussit ; huit mille périrent dans une bataille , dont l'Empereur eut tout l'avantage. Les partisans de l'hérésie saisirent celte occasion , ils mon- trèrent au Prince ces cadavres : Ce n'est point , lui dirent-îls des ennemis de la nation dont nous aidons versé le sang y ce sont nos frères , ce sont des Chrétiens ; leur attache" ment à l'ancienne Religion est outré , mais pardonnable à des gens grossiers et prévenus» L'Empereur fut touché. L'Impératrice, le Prince héritier, et presque toute la Cour profitèrent de cette compassion ; les deux Religions , disaient-ils , n'étaient pas si op- posées; on reconnaissait des deux côtés J.'C, pour vrai Dieu et pour^yrai homme, L'Em- pereur fut ébranlé , et fit publier un Edit , par lequel il accordait aux hérétiques liberté de conscience ; le Patriarche tâcha de res- treindre cette liberté à ceux qui n'avaient point encore embrassé la religion Romaine , et d'en faire exclure les relaps , il ne put l'obtenir ; le Roi affaibli par l'ûge , étonné par tant de révoltes , obsédé par sa Cour , par sa famille , crut faire assez en continuant de protéger les Catholiques. Il ne rétracta point la profession qu'il avait faite si solen- nellenient de la foi Romaine -, il fut fidèle à la grAce de sa conversion jusqu'à sa mort , qui arriva avant la fin du troisième mois depuis la publication de l'Edit de tolérance. Faciladas son fils lui succéda , et prit le méxae nom que son père avait porté , Sellan- ET CURIEUSE». Ô'if^ Seghed. Il fit d'abord éclater son aversion pour la religion Romaine ; on ôta aux Mis- sionnaires les Eglises , les principaux des Catholiques furent condamnés à la mort ou à l'exil ; du nombre de ces derniers était le Secrétaire d'Etat , qui avait toute la con- fiance du dernier Empereur. Zela-Christ ^ oncle de l'Empereur , l'ut amené devant lui chargé de chaînes ; Faciladas lui offrit de le rétablir dans ses dignités , de le mettre à la %êle de ses armées , s'il voulait renoncer h la religion Romaine. Le généreux Confesseuc de Jésus-Christ , plus grand dans ce moment que dans les jours de ses triomphes , refusa des offres si éblouissantes. Il entendit avec joie prononcer l'arrêt de sa mort. Faciladas ne voulut pas qu'il fût exécuié , il se contenta de reléguer ce grand homme dans une soli- tude fort éloignée. Ou ne tarda pas à chasser le Patriarche et les Jésuites. Apollinaire d'Almeida , Evêque de Nicée , et sept Jésui- tes résolus de s'exposer à la mort la plus cruelle , plutôt qaie d'abandonner les fidèles , demeurèrent dans l'Ethiojiie et se dispersè- rent ; la violence de la persécution n'empêcha pas le fruit de leurs travaux ; ils donnèrent à l'Eglise de nouveaux Catholiques , dont les persécuteurs firent des Martyrs. Les Mission- naires reçurent eux-mêmes , en mourant pour, la Foi , la récompense de leur zèle. Gaspard Paès et Jean Pereira , furent martyrisés l'an. |635 ; l'Evêque de JNicée , et les Pères Hya- cinthe . Franceschi et François Rodriguez eurent le même bonheur , l'an i638. . _..a m 4.,;! Ti. !' 33o Lettrc» édifiantes Bruno Bruni et Louis Gardeira , finirent par an glorieux supplice leur course Aposto- lique, Tan 1640. Le Père Bernard de Noguera resta long- temps seul Prêtre Catholique , et suivit enfin au martyre le Prince Zela-Christ , l'an i653. Faciladas avait pris d^exactcs mesures pour empêcher qu aucun Prêtre Catholique n'en- trât dans ses Etats. La Congrégation de la Pro- pagande tenta deux fois d'y faire passer des Capucins; de sept qu'elle envoya d'abord, le Père Cassien de Nantes , et Agathange de Vendôme pénétrèrent jusqu'à la Cour de l'Empereur , et furent incontinent mi^ à mort , deux furent massacrés sur la route par des voleurs, trois qu'on envoya ensuite, fu- rent décapités par l'ordre du Bâcha 'Turc de Suaquen , auquel Faciladas avait demandé leurs têtes. Les Moines d'Ethiopie ^ princi- paux auteurs de la persécution , se crurent tout permis. Après l'expulsion des Catholi- ques , ils irritèrent l'Empereur , qui tourna contre eux la fureur qu'ils avaient allumée contre les Catholiques } il en fit périr aev. mille. t- Faciladas , né Tan 1 607 , était monté sur le trône l'an 1682 , et il avait pris le nom de Seltan-Seghed , que portait aussi son père. Juste son fils aîné lui succéda ; Jean scn frère régnait en 1 6-^ 3 , sous le nom d' Aclaf-Seghed ; Jésus, fils de Je.» a, commença de régner l'an 1680 sous le nom d'Adiam-Seghed. Le Père Charles de Brevedent , Jésuite Français en- treprit , vers l'an 1 700 , de porter la Foi dans ET CURIEUSES. 33 1 l'Ethiopie ; il mourut avant que d'y être arrivé. Monsieur Poucet , Médecin Français , qui raccompagnait , et qui a écrit la relation de son voyage (i) , fait un portrait charmant de TEmpereur d'Ethiopie : c'est , dit-il , rhomme de son Royaume le mieux fait , il a Tair d'un Héros , l'esprit vif > pénétrant , rhumeur douce , affable ; il aime les sciences et les "beaux arts , mais sa passion est pour la Guerre , intrépide , et toujours à la tête de ses troupes, toujours victorieux. lia conquis le Royaume d'Agave et repoussé les Galles dans leurs montagnes. Il est inviolablement attaché à la Justice , et son exactitude tient tous les Juges dans le devoir ; cette exactitude ne va pas jusqu'à la rigueur. Sa ciéi&eace modère sa justice ; il faut ( c'est sa maxime) Quun Prince Chrétien soit a\>are du sang de$ Chrétiens ; les crimes étaient rares sous son règne , et il ne les punissait qu'après bien des recherches et de soigneuses informations. Ses Sujets le craignaient et l'aimaient jusqu'à l'adoration. Ce grand Prince fit paraître à Monsieur Poucet du penchant pourlaReli*» gion Romaine , et un grand désir de s'ins- truire; il regretta sur-tout le Père de Breve- dent ; ce Prince avait quarante et un ans en 1699 , et sa santé était affaiblie. On ne sait pas quand il a cessé de régner. Les Pères Libérât, Veis , Pié de Zerbe , et Samuel de Ëienno , Religieux Allemands de l'Ordre de ' iv (0 Elle est iiupriméedaui. celte nouvelle édition avaut ce Mémoire. t. 332 Lettres édifiantes saint François , envoyés par le Pape Clépieni XI en Ethiopie , trouvèrent en 17 14 Juste , successeur de Jésus , sur le trône. Peut-être régnait-il depuis plusieurs années ; il reçut favorablement les Missionnaires ; il leur pro- mit de les défendre aux dépens de sa vie et il leur a tenu parole , comme on va le voir. Il était charmé de leur pauvreté et d u refus cons- tant des biens qu'il leur offrait. Il leur défen- dit seulement de prtcher publiquement , dans la crainte d'émouvoir le peuple ; L'on- vra^ie , disait-il , que nous entreprenons est difficile^ il demande du temps , du ménage- tnent et de la patience ; Dieu na pas ci^/'c le monde en un instant , mais en .^ix jours. Les Missionnaires firent quelques conversions ; mais les Moines s'aperçurent bientôt du des- sein de ces Etrangers , et de riuclinalîoa du Roi pour eux ; on fit passer les Religieux Européens pour les ennemis déclarés de la Mère de Dieu. On osa répandre contre eux les plus noires calomnies ; que le pain qu'ils Consacraient'h la Messe , était fait avec delà moelle de chiens et de porcs , et que ces incir- concis ne songeaient fju'à s'em parer de l'Etliio* pie. Les calomnies ont leur effet, la èédition devient presque générale. On parle de déposer l'Empereur ; on l'empoisonne -, le poison lui cause une paralysie universelle j on léchasse du Palais ; fidèle h sa parole ^ il avait fait conduire les Missionnaires par une nom- breuse escorte dans un lieu de sûreté. La fu- reur du peuple à qui l'on avait enlevé ces vic- times s'augmenta. Il couronna un jeune ET CURIEtJSrS. 333 homme de la maison Royale , nommé David ; le nouvel Empereur fit ramener les Mission- naires à Gondar , capitale d'Ethiopie ; ils j arrivèrent le it Février i-^f 18. Le second de Mars , David les condamna h être lapidés. On leur offrit la vie s'ils voulaient renoncer à la Religion Romaine ; ils rejetèrent avec horreur cette proposition ; l'Empereur fut touché de leur fermeté , se contenta de les exiler , mais les saints Religieux s'offrirent sans peine h mourir ; ils furent lapidés le troisième de Mars 1^18. Un Prêtre Ethio- pien jeta la première pierre , en criant : MaU" dit , excommunié de là sainte f^ierge , (fui ne jettera pas cinq pierrei sur ses ennemis» On a donné H'nbord en Europe le nom de Prêtre- Jean à i'ÏÏi ''ereur d'Ethiopie. On ne fut pas long-teri p ■; reconnaître combien cette erreur était grossière , et que l'Empire du Prêtre-Jean avait été dans l'Asie , voisine de la Chine. Scaliger et d'autres savans allè- rent chercher dans le Persan , dans l'Arabe , l'étymologie de ce nom. Le simple et le na-r turel , ne sont pas du goût de certains Savans j malheureusement leurs idées ne s'accordaient ni avec le Persan, ni avec l'Arabe.; sans s'épuiser en conjectures, ils .auraient dû faire ce qu'a fait Monsieur du Gange , chercher la vérité dans les Auteurs contemporains. Guîl- laumedeTripoli , Albéric et Vincent de Beau- vais leur auraient appris cjue vers le milieu du douzième siècle , un Prêtre Nestoricn nommé Jean , plus propre à combattre qu'à prêcher , assembla des troupes de sa sccLe . itiîl »fi, 334 Lett&es édifiante»^ et leur fesant croire qu'il était de la' race des Rois Mages 4 s*einpara des états de Ghoriem- Kan son Roi , qui venait de mourir ; sou- mit 7 a Rois dans la haute Asie, et étendit sa domination dans les Indes et dans la Tarta- rie. Il envoya , Tan x i65 , des Ambassadeurs à Manuel , Empereur d'Orient , et à Frédéric Empereur d'Occident. David Ungean son frère , lui succéda et fut détrôné parle fameux Gengis-K.an. Le Prêtre conquérant n'avait pas appris de Jésus-Christ , mais de Maho- met , cette étrange manière de convertir les Infidèles. L'Eglise s'est établie , et elle s'étend par d'autres moyens. Un Esclave convertit les Ethiopiens; une Captive soumet à la Foi les Ibériens ; une autre Captive procura le même bonheur à l'Arménie ; ces personnes que Dieu choisit dans un état bas et vil en apparence , font respecter leur vertu et aimer l'Evangile qui la leur a inspirée. Ne voyons- nous pas des hommes Apostoliques marcher, après les Apôtres , à travers les croix , aussi pauvres qu'eux , triompher comme eux de l'orgueil , de la volupté et des préventions de leurs ennemis ? Ils manquent de tout , et ils exécutant te que toute la puissance du monde n'exécuterait pas ; ils gagnent les coeurs et les soumettent à la pratique de l'Evangile de Jésus-Christ. Les champs qu'ils ont arrosés de leukS sueurs , ne sont souvent fertiles qu'après avoir été arrosés de leur sang. C'est ^insi que l'Eglise Catholique a fait adorer dans tous les temps la Croix du Sauveur à tant de nations diâérentçs. - ET CURIEUSES. 33$ Pour les Sectes hérétiques , soit (qu'elles imitent la violence du Prétre-Jean , soit qu'elles usent des artifices qui leur sont ordi- naires j elles n'étal>liront jamais nulle part le Royaume de Dieu , et le mauvais arbre ne saurait porter de bons fruits. La conversion des Gentils est un des plus brillans caractè- res de la vraie Eglise; Dieu ne le donnera point aux assemblées Schismatiques. Ils pour- ront corrompre les mœurs des fidèles , et corrompre ensuite leur Foi ; mais les Infidèles n'écouteront jamais favorablement des Héré- tiques et des Schismatiques : leur sincère con- version est l'ouvrage de la grâce de Jésus- Christ , des prières et des travaux -de ses véritables enfans. E MÉMOIRE De la Mission d'Enyan^ RivAN est une ville bâtie sur la frontière de Perse , au 4o.' degré de latitude , et au 63.^ de longitude. Elle est située au bout de cette grande et fameuse plaine , où l'on croit que Noé j après le déluge , offrit à Dieu son pre- mier Sacrifice ; et elle a près d'elle le mont Ararat , où l'on dit communément que s'ar- rêta l'Arche , lorsque les eaux commencè- rent à décroître. Les fortifications d'Erivan ne sont ni belles , ni de grande défense ; elles consistent dans une double enceinte de mu- railles toutes de terre , et dans quelques grofri* ^' f^^ !***::* ii^.;l â36 Lettres édifiantes ses tours rondes qui flanquent les courtines. Les trembleraens de terre y sont fréquens. Il y en eut un si terrible il y a quinze ans , ^ue toutes les maisons en furent renversées , et la moitié des liabitans ensevelis dans les ruines. Les fruits y sont abondans , mais , mal-sains , les eaux n'y valent rien , les cha- leurs y sont excessives ; l'air y est si cor- rompu , que pendant les mois de Juillet et d'Août , on est obligé d'en sortir , et d'aller dresser des tentes à la campagne pour y met- tre sa vie en sûreté. ' Le Monastère d'Ecbmiadzin , où le grand Patriarche des Arméniens tient son Si^e, n'est pas éloigné d'Ërivan. Il fait par sa proximité le principal ornement de cette yille. Comme les Églises Arméniennes se conforment en matière de religion au senti- ment de leur Patriarche et de son Monastère , nos Missionnaires furent persuadés que leur conversion h la Foi catholique, dépendait principalement de celle du Patriarche. Dans cette persuasion , ils cherchèrent les moyens de s'approcher de ce Prélat , et de gagner ses bonnes grâces , afin de le gagner lui-même et sa Nation , à la seule et vérita- ble Eglise , qui est celle de Jésus-Chi ist. Pour réussir dans ce projet , ils crurent devoir commencer par se procurer un établissement à Erivan , où ils fussent à portée de rendre souvent leurs devoirs au Patriaiche. Le mau- vais air de cette ville , ei r-tout pour Ici Etrangers , ne fut pas cap? .. '»» de lés détour- |ier de ce dessein. Ils l'ap iréhendaiept beau- lîQup ET CURIEUSES. 3^7 coup moins que les obstacles presque îq\ in- cibles , qu'ils auraient à surmonter pour parvenir à leurs fins ; car il fallait d'abord avoir des Lettres Patentes du Roi de Perse , pour s'établir dans cette Ville , et ils n'avaient ni crédit , ni patron a sa Cour : de plus y i) fallait n'y pas trouver d'opposition de la part du Patriarche et des Vertabiets, et leur opposition était certaine. Nonobstant toutes ces difficultés , nos Missionnaires se confiant en la puissai^te protection de Dieu , mirent la main à Foeuvre. Ils cherchèrent d'abord iiccès auprès de Sa Majesté Persanne ^ mais les entrées chez ce Prince leur furent long-temps ftTmées. La Providence enfin leur ouvrit un chemin pour parvenir à son Trôpe. £n voici l'occasion, La Province de Nachivan , qui est une des principales Provinces de la grande Arménie , renferme plusieurs villages catho- liques , dont les habitans doivent aux Pères (le ^aint-Pominique , non-seulement leur conversion à la Foi de Jésus-Christ, mais encore leur fervente piété , que l'espfice de (pâtre cens ans n'a pu interrompre ni dimi- nuer. Ces fidèles Arméniens se sentant de jour en jour, et plus que jamais accablés dq, poids des mauvais traitemens qu'ils rece- vaient de leurs ennemis , ou plutôt des enne- mis de la Religion , crurent pouvoir trouver mi remède à leurs maux dans la protection (le Louis-le-Grand. Ils entendaient souvent dire que son zèle le portait à étendre la Reli- gion Catholique jusques dans les pays les moins connus et les plus reculés. Ils n'igncH Tome [IL * ^ P ■^\ ■■•-■■■■ ."■• ■ -^ , .'!;■■ î H-w ' t, fi Slh "S'i'! P^ 1 ■ j 338 Lettres édifiantes raient pas d'ailleurs la haute estime que le Roi de Perse avait conçue pour ce grand Monarque , dont la Renommée publiait par- tout tapt de merveilles. Ces considérations leur firent prendre la résolution de s'y adies- ser , et voici l'occasion qu'ils t^ eurent. Messire François Piquet , Ëvêque de Césa" ropole , fut alors nommé par le saint Siège à l'Evêcbé de Babylone , avec la qualité de Vicaire Apostolique. Louis XIV le choisit en même^temps pour être Consul de la Nation française en Perse. L'opinion que l'on avait de la sainteté de ce Prélat , jointe à ses autres titres d'honneur et de dignité , qui lui siitii- raient le respect et la vénération de tout le pays , furfint autant de motifs qui détermi- nèrent les Catholiques de JVachwan à recou- rir h ce saint Evêque , pour faire porter leurs trcs-humblés tiequêtes au Trône du Roi de jFrance : Dieu bénit leurs intentions. Le Prélat fut si touché de la misère extrême , où la dureté et l'avarice des Infidèles les avaient réduits , qu'il en écrivit au feu Père de la Chaise , pour l'engager d'être auprès clu Roi , l'Avocat et le protecteur de ces fidèles et fer>'ens Chrétiens. Le Père de la Chaise , qui connaissait Viieux que personne les dispositions du cœur de ce grand Prince, lui fit le rapport de leur Requête , et de la lettre de son Consul. Il n'en fallut pas davantage pour intéresser le Roi à leur soulagement. Il prit h l'heure inême la résolution d'écrire un^ lettre en Je ur faveur au Sophi , et chargea en même- ces ma( VT CURIKUSES. ^3^ temps Un de ses Ministres d'écrire pour le même sujet au premier Ministre du R,oi d($ Perse : U^t plus , car il voulut joindre deg présens à sa lettre , et ordonna qu'on préparât ceux qu'on croirait devoir être le plus agréa»* blés à Sa Majesté Pcrsanne. On fit faire deg ouvrages à ressort , tels qu'on n'en avait point encore vu , non-seulement en Perse , mais même en France. Ces ouvrages étaient de grandes montres qui avaient trois pieds dé face , ou environ. Ces montres représen- taient à chaque moment le mouvement ordi- naire du Soleil sur son Zodiaque , et celui de la I e ; leurs Eclipses , le mouvement- des planètes et leur conjonction ; les heureg du jour et de la nuit ; les mois et les années , et tout cela dans son ordre successif et na- turel. On entretenait le mouvement continuel d^ ces machines par le moyen des clefs qui les montaient , comme nous montons nos pen^ dules. On cruf devoir conHer ces ouvrages si magnifiques et si rares à des personnes capa- bles de les bien gouverner. Le Père Longeau j et le père Potier , Jésuites , qui devaient partir de France pour être Missionnaires en Perse , furent chargés des Lettres du Roi et du soin de ces riches présens. Ils partirent de Paris le 1 5 Octobre 1682 , et après bien des dangers et des fatigues insé^ parables d'un si long voyage par mer et par terre , ils arrivèrent à Ispahan , capitale du iloy^ume de Perse , au mois d'Octobre -^ P 2 li H. '*■ 'f«1l 34o Lettres édifiantes précisément au même jour qu'ils étaient par- tis de Paris Tannée précédente. A leur arri* ils allèrent rendre leurs «^peots à vee l'Ëvéque de Babylone , et lui rendre compte de leurs ordres. Ils en furent reçus avec autant de joie , que le Prélat avait de bonté et d'affection pour notre Compagnie. Les deux Pères Missionnaires , après quelques jours de repos , mirent les présens en état d'être offerts à Sa Majesté. L'Ëvéqué de Babylone demanda audience du Sophi , pour les lui présenter avecles lettres du Roi son maître. Le Sophi voulant dans cette occasion faire * connaître à ses sujets la distinction que méri- tait l'Ambassadeur du Roi de France , lui donna une audience magnifique , où tout ce qu'il y avait de Seigneurs les plus qualifiés de la Perse assistèrent, étant superbement vêtus. Le Roi , avec un visage affable et gra- cieux , reçut des mains du Prélat la lettre du Roi son maître , et fit , en la recevant , un éloge du Roi de France, qui marquait la haute idée qu'il s'était faite de ce grand Monarque. Le Prélat lui présenta ensuite les deux Pères Missionnaires , et les présens dont ils étaient porteurs. Le Sophi en fut d'abord charmé ; il se les fit approcher , pouï les considérer de plus près , et examiner les différens mouvemens que les ressorts don- naient à ces machines, qui lui représen- taient dans un petit objet toute la face du Ciel. Il fesait remarqvier h tous les Seigneurs qui l'environnaient , la délicatesse et la nou- y^aut^ de ces ouvrages inconnus jusqu'alors ET CUKIEU6ES. 34t à tous les Persans. Il mêlait dans ses dis- cours des louanges du Roi , qui avait des Sujets capables d'inventer et d'exécuter de si grands prodiges de Tari. Enfin Sa Majesté ajouta plusieurs choses obligeantes poi^r FËvêque de Babylone ; elle l'assura de la joie qu'elle avait de le voir à sa Cour. Le Prélat crut alors devoir profiter d'une au- dience si favorable pour présenter au Roi sa supplique. Elle contenait plusieurs articles , qui étaient autant de grâces qu'il demandait à Sa Majesté : entr'autres , il la priait de la part du Roi de France , d'avoir la bouté d'accorder aux deux Pères Missionnaires la permission de s'établir à Erivan , et d'y faire leurs fonctions conformément à leur usage. Dans un autre article de sa Requête , il sup- pliait très - humblement Sa Majesté Per- san ne de donner sa protection h ses fidèles Sujets de la Province de JVachwan , qui souffraient une continuelle oppression contre ses intentions royales. Le Roi se fit lire et interprék:r la supplique de l'Ambassadeur. Il l'assura de l'égard qu'il y aurait , et accorda , sur-le-champ et très-volontiers , aux deux Pères Missionnaires leur établissement à Erivan. L'Evêque de Babylone et les deux Pères firent au Sophi leurs respectueuses n'étions de giAces , et se retirèrent. Quelque temps après , les deux Pères Missionnaires ayant pris congé du Roi, partirent d'Ispahan pour aller à Erivan , et ils y arrivèrent le 18 Juillet de la même année. Ils allèrent d'abord au Palais du Kan , et lui présenté- P 3 f ' ■■■■■, 5 ^•,.-1, '^S. '1 34» Lettres édifia nte^ rent leurs Lettres Patentes , par lesquelles le Roi lui ordonnait d'établir les deux Pères dans la ville d*£rivan , et de leur laisser cnire avec liberté leurs instructiofts aux Chrétiens •es sujets. Le Kan les reçut très-favo; able- ment : choisissez , leur dit-il , le terrain qui vous conviendra , et je ferai défense h qui que ce soit de vous molester. Ces commencemens allaient trop bien pour n'être point troublés par une des contradic- tions qu'ils avaient prévue. Le Patriarche d'Echmiadzin fut bientôt instruit de réta- blissement que les deux Pères s'étaient pro- curé h Erivan. Les Vertabiets schismatiqèes qui étaient auprès de sa personne , n'omi- rent rien pour l'animer contre les deux Mis- sionnaires. Ils ont méprisé "votre Trône , lui Tepréseutaient-ils , ils 'veulent habiter près de vous , sans votre permission ; ils vont y enseigner une doctrine opposée à celle de votre Monastère , et vous enlever vos sujets. Il n'en fallut pas davantage pour irriter le Patriarche. Jaloux de son autorité , et animé de l'esprit de schisme , il envoya sur-le- champ faire défense expresse aux deux Mis- sionnaires de passer outre , sous peine d'ex- communication , et défendit pareillement , sous la même peine , aux Arméniens de- s'a- dresser h eux y et de favoriser leur entreprise. Cette signification ayant été faite aux deux Pères, ils demandèrent conseil aux Armé- niens Catholiques sur ce qu'ils avaient à faire pour adoucir l'esprit du Patriarche. Leur avis fut qu'ils allassent lui rendre une visite ET CVRfEVSCS. ^43 de civilité qui pourrait le gagner , et détruii'o par leur présence , les préventions qu'on lui avait données contr'eux ^ ils suivirent ce conseil , ils allèrent au Monastère ; mais le Patriarche ne voulut pas les voir. Le Kan en ayant été informé appela les deux Mis- sionnaires , et leur dit que sa seule protec- tion leur suffirait pour les mettre en posses- sion de leur établissement, conformément aux ordres qu'il en avait du Roi son maître , mais un triste et subit événement pensa dé- truire leurs projets dans leur naissance , ce fut la mort du Père Longeau. Ce Père tomba tout-à-coup dans des con- vulsions effroyables , accompagnées d'une soif continuelle , et d'une faim dévorante. Le malade se sentant frappé k mort , demanda les derniers Sacremens de l'Eglise ; il les reçut et mourut incontinent api es , c^gé seu- lement de trente-huit ans. Ceux qui l'assisté-^ rent dans les derniers jours de sa vie , jugèrent que sa mort n'était pas naturelle, et on en vit des marques après son décès : quoiqu'il en soit^ la nouvslle Mission perdit celui qui en avait jeté les premiers fondemensr Le Palriarche , toujours irrité , témoignai sa mauvaise volonté, miême après la mort du Missionnaire ; car il défendit à tous les Prêtres Arméniens de donner la sépulture à son corps , qui demeura trois jours sans être inhumé ; et il fallut employer l'autorité du Kan , pour faire rendre au défunt les der- niers honneurs. JSous devons à la mémoire de ce digne ■ I>4 I ...i^.l ■ma ^,: '% Si 344 Lettrés édifiantes 'Missionnaire , de remarcpier qu'il joignait im excellent esprit à une très-rare yertu , et une douceur , une bonté , une charité pour tout le monde , à une austère sévérité pour lui- même: les instrumens teints de son sang , qu'on trouva après sa mort, en furent des preuves bien sensibles. Son courage fut tou- jours au-dessus de toutes les contradictions qu'il eut à soutenir , rien n'étant capable de le rebuter, quand il s'agissait de la gloii^ de Dieu ; dangers , persécutions , menaces , tra- vaux , fatigues , voyages , maladies ; il était sur- tout très- propre pour aller annoncer notre Foi aux personnes d'une condition dis- tinguée ; mais il disait qu'on gagnait beau- coup plus à l'annoncer aux petits qu'aux grands. Dieu voulut récompenser son servi- teur, après avoir travaillé la première heure dans sa vigne. Le père Roux , qui était Supé- rieur de la Mission diUspalian , apprit avec une très-sensible affliction la mort du Père Longenu , et comprit la perte que fesaît la Mission naissante ; c'est ce qui lui fît prendre la résolution de venir à son secours , pour continuer ce qui y avait été commencé. Il partit à'Ispahan le 29 Novembre 1684 , et «rriva à Ërivan le 16 Janvier i685. * A son arrivée , il alla rendre ses devoirs au Kan , et lui demander la continuation de «a protection. Le Kan le reçut favorable- ment , lui fit l'éloge du feu Père Longeau ; il visita ensuite les principaux Arméniens : sa modestie et son humilité lui gagnèrent en peu de temps raâticiiou do la nation ; mais upe- avcc Père ait h endré pour ce. Il . et ;eau \ ens : Dt en mais ET CURIEUSES. ^4^5 il s^agîssait particulièrement de se concilier l'esprit du Patriarche. Il se servit d'un Armé- nien , ami de ce Prélat , pour savoir de lui s'il aurait pour agréable qu'il vint lui renare ses respects h Ëchmiadzin. Le Patriarche qui entendait dire tous les jours beaucoup de bien du Père Roux , dît h l'Arménien son ami , que le Père Missionnaire pourrait venir. Le Père Roux ne perdit point de tiimps , et se rendit incontinent au Monastère. Le Patriarche le fit entrer : le Père se présenta à lui d'un air si plein de douceur j de modestie , de politesse et de respect , que le Patriarche fut d'abord prévenu en sa faveur. Il le fut bien davantage lorsque le Père lui eut expli- qué les motifs de son voyage » et de l'établis- sement qu'il desirait faire à Ërivan , pour le- quel il venait lui demander très-humblemeift son agrément. Le Patriarche commençant à revenir de ses premières impressions y bien loin de s'opposer à la demande du Père , lui fit un bon accueil. Il l'entretint assez long- temps , et l'invita h venir souvent au Monas- tère , l'assurant qu'il le verrait volontiers. Il lui accorda sans difficulté la permission de dire la sainte Messe « de prêcher , et de faire les autres fonctions dans les Eglises Armé- niennes ; il lui offrit même ses service» dans les occasions où il pourrait en avoir besoin. Le père Roux se retira bien content de sa première audience. Quelques joiirs après, il revint au Monastère. Le Patriarche lui të-- moigna beaucoup de joie de le voir. Il le retint même pour passer quelque temps au- P 5 Cl Kl "t \ il l|f i:t:if . I ^"^M ^'\ . ■! 34^ Lettres édifiantes près de lui -, il prenait un singulier plaisir h. l'entretenir , soit en particulier , soit en pré- sence de ses Vertabicts et de ses Ëvêques. Le Père , de son côté , se conduisait si bien , qu'ayant gagné la confiance du Patriar- che , il parvint à le détromper absolument sur tout ce que les schismati(}ues lui avaient dit contre les Missionnaires. Dans une des visites que le Père rendit au Patriarche , le Prélat lui mit entre les mains une lettre qu'il 'écrivait au Révérend Père Général , dans laquelle il lui témoignait la satisfaction qu'il * avait du Père Roux , et priait sa paternité de lui envoyer de nouveaux Missionnaiics, «ui seraient très-utiles a la nation Arménienne , voulant au-surplus en avoir quelqu'un auprès ^ de lui pour son conseil , et pour faire des instructions dans son Monastère. Cette lettre arriva très-h -propos à Rome. Elle procura des ouvriers à l'Arménie et à la Perse , qui réparèrent les pertes passées , et celles qu'on était encore près d'y faire; car ^, Je Père Roux, usé des fatigues continuelles ' de sa vie laborieuse , tomba dangereusement malade. Sa maladie causa au Patriarche une douleur qu'on ne peut exprimer. Il l'envoya visiter plusieurs fois chaque jour par quel- qu'un de ses Evêques , et lui donnait libéra- lement touslf's secours dont il avait besoin. L'heure de recevoir dans le Ciel la couronne de ses travaux Evangéliques , était venue. Il finit saintement sa vie le ii Septembre 1686. Le Patriarche lui fit faire des obsèques magni- fiquesy et De cessait point de pleurer sa perte. 4 , t ET CURIEUSES. 347 Il parlait continuellement des vertus qu'il avait remarquées dans ce grrt^vi! serviteur de Dieu , qu'il appelait son père. Le Supérieur général de nos Missions en Perse et en Arménie, ^ui fait sa résidence ordinaire à Ispahan, ne fut pas plutôt averti de la mort du Père Koux , qu'il envoya le Père Dupuis pour lui succéder. Ce Père étant arrivé à la Mission d'Erivan , alla incontinent saluer le Patriarche. Le Patriarche le reçut parfaitement bien , et lui donna dans la suite toute la confiance qu'il avait eue en son pré- décesseur. Le Père Dupuis voulut plusieurs fois s'en servir pour lui persuader d'écrire au Pape , et de lui témoigner , par un acte public et solennel , qu'il voulait vivre et mou- rir dans l'union et Communion avec le saint Siège. Il lui représenta que cette action , si digne de lui^ et si convenable à la place qu'il occupait , serai t capable de détruire le schisme qui désolait l'Eglise Arménienne ; que plu- sieurs Evéques et Prêtres suivraient son exemple , et qu'une grande partie de sa nation étant Catholique , celle qui ne l'était pas se déclarerait plus hardiment pour l'Eglise Ro- maine. Le Piitriarche , à toutes ces instan- ces, se contentait de répondre, en termes généraux , que l'Eglise Arménienne n'ava|t poini d'autre créance que celle de l'Eglise Romaine. Il s'en tenait h cette décision fort équivoque. A cela près, il est certain qu'il se conduisait en Catholique , du moins à l'extérieur : il protégeait hautement les Ca- tholiques 9 ptKiiâsait bévèrement les Evéques P 6 :i , ■ J 1 ■f(- i 1 II lUtJ 34B Lettres édifiantes et les prêtres schismatiques qui les moles- taient. Cette conduite du Patriarche fesait espérer au Père Dupuis quHl en obtiendrait une profession de ébi authentique : Dans cette espérance , il le cultivait avec assiduité -, il lui fesait de petits présens ; il lui offrit un jour le portrait de Louis XIV , qu'il sou- haitait avoir. Le Patriarche le recuit avec une joie inexplicable ; il le baisa' plusieurs fois , et le fit placer sur une des portes des trois £)glises qui sont h Echmiadzin. Le Père lui ayant proposé de faire des explications de Théologie dans son Monas^ ' tère , il y consentit. Il y invitait les Evéques, les Vertabiets et les Pirêtres , et y était tou- jours présent. Il ne manquait à sa conduite qu'une déclaration plus manifeste et plus ou- verte 4^* sa sincère et véritable catholicité. Mais le point d'honneur , le respect hu- main , la crainte politique de s'attirer la 'persécution des schismatiques , et sur -tout des Vertabiets qui pourraient demander sa déposition , tous ces vains motifs le retin- rent et l'empêchèrent de faire cedernier pas , que sa conscience , que la Religion , et que les bons Catholiques exigeaîenfde lui. Quel- que temps après, la justice ou la bonté divine, ^qui punit souvent dès ce monde nos résis- ' tances à la voix de Dieu ^ permit que ce que sa "apolitique lui fesait craindre , lui arrivât en effet par un endroit qu'il n'avait pas prévu. Je rapporterai ici la lettre que le Père Ricard , l'un de nos Missionnaires , qui était alors à 'Erivan^ nous écrivit à ce sujtt. ET CURIEUSES. 349 LETTRE Du Père Bicard , Missionnaire de la Coni" , pagnie de Jésus , du "j jioût i^^*]* « A PRÈS bien des tenlalîves inutiles, pour engager notre Patriarche à envoyer au saint Siège sa profession de foi , nous en avions enfin obtenu une lettre qu'il écrivait à Sa Sainteté. Par cette lettre, il reconnaissait la Chaire de saint Pierre comme la première Chaire du monde Chrétien , d'où sortait une abondance de lumières qui éclairai t l'univers. Elle contenait d'ailleurs des termes magnifi- ques , que les Orientaux savent si bien em- ployer pour donner des louanges , et faire des complimens. En persuadant au Patriarche d'écrire cette lettre , notre vue était de don- ner occasion au Pape de répondre au Patriar- che ^ par un bref qui l'exciterait h s'unir de cœur et de sentimens à l'Eglise de Rome , à détester tout schisme , à faire une profession plus ouverte que jamais de la doctrine Catho- lique , et à faire ses efforts pour réunir toute sa nation dans la seule et unique Eglise , qui est celle de Jésus-Christ. Nous attendions le Bref du Pape qui ne pouvait avoir qu'un bon effet, lorsqu'il se répandit tout-à^-coup un bruit qucStéphanos , Evéque d'Ispahan , l'un des plus grands ennemis des Catholiques , avait obtenu par ses intrigues auprès du Roi de Perse , la déposition de notre Patriarche. ..y tfi: 'm pi '\- *'».: '% il lilii' ^«f 35o Lettres édifiantes Cette nouvelle ne se trouva que trop vérita- ble. Sitôt que nous en fumes instruits , nous courûmes à Ëchmiadzin , où le Patriarche avait déjà appris Tordre de sa déposition. Après lui avoir témoigné toute la part que nous prenions à sa disgrâce , nous lui con- seillâmes de se procurer des témoignages fa- vorables , non-seulement des principaux de sa nation , mais encore des Maliométans , dont il était très-aimé. Il les obtint aisément; les Arméniens d'Erivan sur-tout se déclarè- rent très-vivement pour sa défense , regardant comme un affront qui leur était particulier, la déposition de leur Patriarche , qui venait de leur bâtir deux belles Eglises ^ et qui avMl jeté les fondemens de deux autres. Nous ajoutâmes un second conseil au pre- mier , qui était de se retirer à Tauris , où il |»rofiterait du crédit des Pçres Capucins au- près du grand Chancelier de Perse , qui était alors dans cette ville. Sur ces entrefaites , la déposition du Patriarche lui fut signifiée par un ordre exprès du Roi de Perse. Une troupe de gardes se saisit à l'heure même de sa per- sonne pour le conduire à un Monastère où il devait être renfermé le reste de ses jours. Le Patriarche n'eut que le temps de ramasser au plus vit>3 ce qu'il put d'argent, et ce qu'il fit ^ très-à-propos; car , comme ce métal a autant de vertu en Perse que par-tout ailleurs , moyennant une gratification qu'il en fit à chaque soldat et à leur Commandant , ils le laissèrent échapper. Le prisonnier étant en liberté , s'eafuit à J'auris, Les Pères Capu- ET CURIEUSES. 35l cins le reçurent cliez eux , et employèrent volontiers en sa faveur leur crédit auprès du Chancelier. Ils lui présentèrent le Patriarche^ qui lui exposa tout ce que Tinjustice et Tarn- bitionde Stéphauos , Ëvêque d'Ispahan , qui voulait usurper sa pl.ice , avait fait contre lui. Il lui en donna les preuves , produisant les certificats que sa nation et que les Turcs même lui avaient donnés de sa bonne et fidèle conduite. Il fut aisé au Chancelier de découvrir Tinique procédé de Stéplianos , qui avait obtenu , par surprise , la déposition -de Nàhabiets et son intronisation. Le Chan- celier lui promit sa protection , et lui dit qu*il attendait dans peu de jours un nouveau Kan , qui prendrait le Gouvernement d'Eri- van , et qu'ils verraient ensemble ce qu'il y aurait à faire pour son service. Le Kan arriva en effet peu de temps* après à Tauris, accom- pagné de Stéphanos , avec ordre de la Cour de le mettre en possession du Patriarcat. Le Chancelier prévint le Kan , et ayant pris en- semble une exacte connaissance de l'affaire dont il s'agissait, ils résolurent d'en instruire le Sophi et son premier Ministre. Le Kan , après quelques jours de séjour à Tauris ^ partit pour se rendre h Erivan : Stéphanos le suivit , se croyant déjà en place , sans s'aper- cevoir de l'orage prêt à tomber sur sa tête. 'Le Kan étant arrivé h Ërivan , consulta , selon la coutume , des Astrologues , pour prendre un jour favorable à son entrée. Le jour étant pris, il fut annoncé dès le matin par le bruit du canon y et par le son des fifres K . I t !! il h'i\ m m ■mM % Iw' 352 Lettres édifiantes el des trompettes. La marche de son entrée commença par dix timbaliers et douze trom- pettes , montés sur des chameaux. Leurs timbales sont plus grosses que les nôtres , et leurs trompettcssontpluslougues. Cinquante soldats les suivaient le fusil sur Tépaule , la crosse du fusil tournée derrière le dos. Le Kan marchait ensuite à cheval. Sa longue veste , toute brillante d'or , et le superbe équipage de son cheval , le fesaient distinguer au milieu d'une nombreuse troupe d'Officiers de sa maison , qui l'escortaient. Enfin, plu- sieurs Palefreniers conduisaient les chameaux et les chevaux de main, tous richemens capa* raçonnés , et fermaient la marche. ^ Stéphanos , pour faire sa. cour au Kan , avait fait dresser une grande tente sur sa route , et l'y attendait en habit de cérémo- nie , accompagné de ce qu'il avait pu ramas- ser de Vertabicts , de Prêtres et de Moines qui s'étaient déclarés pour lui. Lorsque le Kan approcha de sa tente > il s'avança vers lui j et lui fit une harangue que le Kan enten- dit froidement , et sans y répondre. Il conti- nua sa marche jusqu'à la maison qui lui avait ^té préparée. Il y reçut les complimens et les honneurs ordinaires en pareille occasion. Stéphanos avait grand soin de lui aller faire tous les jours sa cour ; mais craignant que le Patriarcat ne lui échappât , il de- manda au Kan la permission d'en aller pren- dre possession à Ëchmiazdin. Le Kan qui ^'avait point encore reçu le contre -ordre qu'il attendait 4e la Cçtu*». le laissa aller. ET CURIEUSES. 3^3 Stéplianos , sans vouloir perdre de temps , se nt introniser par le Patriarclie Arménien de Jérusalem^ qui était alors dans ce Monas- tère. Sitôt que Stéphanos se vit en place ^ il crut n^avoir plus rien à craindre \ mais pour mieux aflermir son invasion , il voulut s'assurer de l'estime et de la considération de tout le Monastère et des Arméniens ; il aâecta à cet effet un air de sévérité et dé régularité extraordinaire. Il ne parlait que de réforme dans le vivre et dans les habits monastiques. Il prêchait continuellement aux Moines et aux Vertabiets la solitude et la résidence dans leurs cellules. Il parlait avec mépris de son prédécesseur. Il bl&mait sa conduite. Il détruisait tout ce qu'il avait fait, jusqu'à démolir des bâlimens que Nahabiet avait fait construire. Enfin , il se déclara pour le schisme et les Schismatiques , et entreprU de faire la guerre aux Catholiques. De tels commencemens nous donnaient sujet de craindre p ur nous et pour notre Mission ; mais Dieu y pourvut par l'événement que je va* is rapporter. Curgekan, Prince Géorgien , disgracié du Roi de Perse depuis quelques années, par des raisons de politique, fut rap-< pelé à la Cour. Il vint à Erivan pour y voir le Ran son ancien ami. Ce Prince y arriva malade ; le Kan^ qui avait appris Ife bon effet de quelques remèdes que nousavions reçus de France , m'envoya chercher , et -mt" pria instamment d'aller visiter le Prince son ami , et de lui procurer , s'il y avait moyen , une prompte guérison. J'y allai j et comine sa l'i ■ l'iii- ;l 354 Lettres édifiantes maladie n'était qu'une fièvre double-tierce , je lui donnai du quinquina. Dieu bénit ce -remède ; il en fut guéri , et sa guérison nous concilia sa faveur , et augmenta celle du Kan •pour nous : nous en profitâmes pour leur parler en faveur de Nababiet , et ils nous assu- rèrent que nous serions contens. Stépbanos , qui ne trouvait plus son entrée bien libre chez le Kan , et qui n'y recevait que des audiences courtes et froides , com- mença à juger qu'il n'en était pas où il croyait être. Son Trône lui parut chancelant sous ses pieds ; mais quelque temps après , il se crut près d'en être chassé , lorsqu'on vint^lui signifier , de la part du Ran , une taxe de mille sequins ;, parce qu'il avait refusé de venir à Ërivan , pour bénir les eaux de la rivière ïe 6 Janvier , selon la coutume des Arméniens. Nababiet , de son côté , apprit d'Ispahah , par des lettres de ses amis , que ses affaires allaient aussi -bien que celles de l'intrus Stépbanos allaient mal , et qu'il ne lui en coûterait que de l'argent pour remonter sur son Trône. Nababiet entendit bien ce que cet avis voulait dire ; il se pourra en peu de temps la somme de mille écus qu'on lui demandait , tt il l'envoya h Ispaban. Ce puissant moyen , joint aux lettres et aux informations du Kan et du Chancelier , aussi favorables à ÎSahabiet qu'elles étaient con- traîtW à Stépbanos , opérèrent la déposition de celui-ci, et le rétablissement du premier. Stépbanos était à table avec ses amis un Jeudi gras , lorsqu'il reçut le compliment d'un Offî- - ET CURIEUSES. ' 3j5 cier de la Cour , qui lui signifia un com- mandement du Sophi , qui non-seulement le déposait du Patriarcat, mais qui le condam- nait encore h. mille écus d'amende , et à une prison perpétuelle. Ses partisans , c'est-à- dire, les plus déclarés Scliismatiques , firent tous leurs efforts pour suspendre Te^écution de cet ordre ; mais le Roi fut toujours inexo- rable , et ordonna qu'on ne lui en parl&t plus. Nahabiet fut rétabli dans le même moment avec éloge , tant de la part des Arméniens , que de celle des Turcs dont il s'était fait aimer. Son rétablissement, dont il se dit re-^ devable à nos conseils et à nos sollicitations, a augmenté son aifection pour les Catholi- ques , et en particulier pour nous. Dieu veuille que sa bienveillance nous soit ua moyen pour l'unir parfaitement et constamr ment à l'Eglise catholique , et que toute sa Nation , à son exemple , par la grâLce de Jésus- Chrit, rentre dans le seul chemin qui con- duit à la vie. Accordez-nous , pour le succès de ce grand ouvrage , le secours de vos priè- res. Ici finit la lettre du Père Ricard. Cette lettre renouvelle la douleur d'avoir perdu un des plus vertueux et des plus cou- rageuk Missionnaires que l'Arménie ait ja- mais possédés. Il y avait environ trente ans qu'il s'était dévoué au service de nos Mis- sions , et en particulier à l'instruction des Arméniens. Pour se rendre capable de faire du fruit parmi eux , il avait étudié leurs dog- mes , leurs erreurs , leurs usages y et U k^ iii,' ■ ' ,; ' 1 II ni, - I il «il; '1 lili U il 356 Lettres édifiantes était parfaitement instruit : il s^était fait une méthode claire et efficace pour combattre tout ce que le schisme avait introduit mal-h-pro- pos dans leur Eglise. Il s'était de plus rendu très-habile dans la langue Arménienne , et il la parlait facilement, et même élégamment. Il accompagnait ses discours d'.un certain air de bonté , cl d'une douceur si insinuante ^ qu'il se fcsait écouter avec pL^isir de ses au- diteurs , et gagnait leur affection. Dieu lui a fait la grâce de réconcilier un ^rand nom- bre d'Arméniens schismatiques à l'Eglise Romaine ; mais ce n'a pas été sans essuyer de cruelles persécutions de la part des ennetnis de la Religion : car sa vie s'est trouvée sou- vent en danger par les mauvais traitemcns qii'il a éprouvés sur son corps. Sa vie apos- tolique méritait une (în pareille à la sienne ; car il nous a été enlevé le 6 Août 1719 , dans les exercices de la plus pure charité , servant et assistant les Catholiques, frappés du mal contagieux de la peste , qui a fnit cette année dans leLevantdes ravages elFroya- bles. Le mal le saisit en administrant les derniers Sacremens h des moribonds. Nos Arméniens ne cessent de le pleurer comme leur père. Notre consolation et la leur est qu'il sera dans le Ciel leur protecteur auprès de Dieu , après avoir été sur la terre" leur père, qui les a engendrés en Jésus-Christ. Avant que de finir ce chapitre de la Mis- sion d'Erivan , je ne dois pas omettre ce qui a donné occasion h nos Pères Polonais de venir en cette Mission. Un Arménien né en ET CURIEUSES. 357 Pologne , noiÀtné Simon Pétrosvitz , après avoir fait ses études h Rome , et y avgir reca l'ordre de Prôirise, revint en Pologne , où son mérite le fit employer dans plusieurs uflaircs importantes , qui réussira M au gré du Roi JesknSobieski. L'amour de ce bon Prêtre pour sa patrie , et son zèle pour le salut de ses com- patriotes , lui firent concevoir le dessein de retourner en Arménie , pour y travailler à la réunion de sa Nation a l'Eglise Romiiine. Il proposa au Roi son dessein. Sa Majesté Polo- naise y entra si volontiers , qu'elle le fit son Ambassadeur auprès du Roi de Perse , afin que ce caractère lui donnût , et h son minis- tère , plus de considération et de crédit. Il le chargea de ses lettres pour le Soplii , et pour le Patriarche d'Kchmiadzin. Le Roi , dans sa lettre au Patriarche , l'invitait à se réunir à l'Eglise Romaine j et lui représentait , dans les termes les plus touchans , Fhonneur qu'il se ferait devant Dieu et devant les hommes , s'il parvenait , par son exemple , à ramener avec lui son troupeau au véritable bercail , qui est celui de Jésus-Christ. 11 l'assurait , en finissant sa lettre , de l'assistance du pape , de celle de l'Empereur et de la sienne. Le Cardinal Primat , et les deux grands Géné- raux de Pologne , écrivirent aussi des lettres au Patriarche sur ce même sujet. Pétrosvitz , muni de ces puissantes lettres , partit de Pologne ; mais le Seigneur , dont les secrets sont impénétrables , l'arrêta au milieu de sa course. Il tomba malade en chemin , ^'t mourut avant que d'arriver à £r|- ir i 'i H illii; ii H!'' !• ^SÔ Lettres ÉDiriAiTTiss van. Sa mort , et celle du Roi Sobieski , qui suivit 4<^ près > détruisirent nos projets et ijos espérances ; rqais grûces h Dieu , elles se relè- vent aujourd'hui h l'arrivée de quelques-uns de nos Pères Polonais qui sont venus h Eri- van , animés du zèle de Petrosvilz , pour cul- tiver nos Arméniens. Ils se chargent du soin de cette Mission en particulier , et nous espé- rons que leurs travaux y produiront de grands fruits. MÉMOIRE De la Mission d'Erzeron, L A ville d'Erzeron est la capitale de la peti te Arménie , dépendante du Turc. On compte en cette ville sept ou huit mille Arméniens ^ et une centaine de familles Grecques ; elle est le passage des Turcs et des Persans , et l'entrepôt du commerce qui se fait entre ces deux Nations. Ce fut celte considération qui nous fît penser à l'établissement d'une Mis- sion dans cette ville : car , disions-nous , nous y trouverons à instruire non-seulement les Grecs et les Arméniens qui y habitent, mai* encore tous les Etrangers qui vont et vien- nent ici sans cesse par caravanes, et qui re- porteront ensuite à leurs compatriotes les instructions qu'ils auront reçues de nous. Mais avant que d'en venir à l'exécution de notre projet , nous crûmes devoir le propo- w^ ET CUKTEUSES. 359 sera M. de Guilleragues , alors Ambassadeur à la Porte, pour nous assurer de sa protec- tion. Ce fidèle Ministre du Roi aussi attentif au progrès de notre sainte Keligion, qu'au service de son maître , approuva notre des- sein, et voulut bien se charger de nous obte- nir une Patente du Grand-Seigneur, pour nous mettre à couvert autant qu'il serait pos- sible , de toutes les avanies où les Prêtres étran- gers , plus que tous autres , sont continuelle- ment exposés en ce pays-ci. M. d(; Guilleragues s'adressa au Grand- Visir , et lui demanda , de la part du Roi son maître , les lettres qui nous étaient né- cessaires pour nous établir h Erzeron. Elles furent promptement accordées. Il les' remit au Supérieur des Missionnaires , et joignit à ce bienfait toutes les marques d'une affec- tion singulière. Le Supérieur profita des circonstances favorables , pour envoyer deux Missionnaires à Erzeron j le Pi. ••e Roche et le Père Beauvoilier y furent destinés. Ils y arrivèrent au mois d'Août 1688; et, sans perdre le temps , ils allèrent présenter au Bâcha les ordres du Grand -Seigneur en leur faveur. Le Bâcha, qui était d'un caractère plus doux et plus humain que ne le sont ordinai- rement les Bâchas , les reçut gracieusement , et ordonna l'exécution des lettres dont ils étaient porteurs. Les Catholiques instruits de l'arrivée des Missionnaires, et du sujet qui les avait fvTit venir h Erzeron,' en témoi- gnèrent toute la joie possible , et s'empresse?* n il: um i l- S6o Lettres édiïiantes rent à les loger, et h leur trouver un lieu commode pour y commencer les exercices . de la Mission. Dieu avait donné de grands talens au Père , Hoche et au Père Beauvoilier , pour remplir heureusement la fonction de Missionnaire. Le Père Roche avait une douceur et une patience inaltérable , jointe à un air modeste, affable , gracieux et prévenant. Il possédait d'ailleurs la science des controverses , et s'en servait toujours avantageusement contre le schisme et l'hérésie. Le Père Beauvoilier Avait un courage capable de tout entrepren- dre et de tout souffrir pour la gloire de Dieu : il disait souvent que le caractère propre des oeuvres de Dieu était d'être contredites; ainsi, bien loin de se laisser rebuter des difïicultés , elles ne servaient qu'à l'animer. Son esprit alors était fertile en expédiens , et il y en avait toujours quelqu'un qui lui réussissait. Avec ces heureuses qualités , les deux Mis- sionnaires travaillaient conjointement à l'é- tablissement de leur nouvelle Mission. Ils gagnèrqpt d'abord l'Evêque à!Erzeron, Ce Prélat était un bon vieillard , qui cherchait de bonne foi la vérité , et qui s'y rendait sincèrement. Quelques autres Evêqucs , Vertabiels et Prêtres suivirent l'exemple de l'Evêque d'Krzeron. Son ancienneté dans l'Episcopat le rendait recommundable dans tout le pays : les peuples , qui se laissent aisément conduire par ceiîx qui sont à leur tête et qui les gouvernent , suivirent la voix de leur Passeur et celle des {Missionnaires, Les * un lieu exercices is au Père ir remplir sionnaire. [ir et une r modeste, [ possédait ES , et s'en contre le leauvoilier entrepren- e de Dieu : propre des litesj ainsi, difficultés , Son esprit et il y en réussissait. 5 deux Mis- ment a l'é- ission. Ils ^zeron. Ce chercliait s'y rendait Evêqucs , 'xeniple de mêlé dans Idable dans se laissent jsont à leur lent la voiîç |sipnnaires. • ET CURIEUSES. ' 3<^1 Les heureux commcncemenr delà Mit^sion d'Erzeron n'empêchèrent pas le Père lîcnu- voilier de penser toujours au vœu qu'il avait fait de consacrer ses jours aux Missions de la Chine , et pour lesquelles ses Supérieurs l'avaient destiné. L'arrivée d'un nouveau Missionnaire à Erzeron lui fit juger f[ue celte Mission était en état de se passer do lui. Ainsi il ne songea plus qil'h se préparer à partir pour chercher un chemin qui le conduisît à la Chine par la Tartarie. Le Père Roche vit avec douleur ces pré- paratifs; car il sentit la perte que fesait sa Mission naissante. Il ne put cependant s'op- poser à la destination et au vœu du Père Beau- voilier. Ils prirent congé l'un de l'autre : en s'emhrassant mutuellement , le Père Roche lui dit qu'ils ne se reverraient que dans une meilleure vie ; et par un pressentiment de sa mort prochaine , il conjura le Père Beauvoi- lier de demander à Dieu tous les jours pour lui une sainte mort , et de s'en souvenir par- ticulièrement au saint Sacrifice de la Messe. En eifet , quelque temps après le départ du Père Beauvoilier , la peste s'alluma dans tout le pays. Erzeron en fut d'abord attaquée; le Père Roche et son compagnon coururent aussitôt dans les maisons pour y assister ceux que le venin ^vait déjà saisis. Il en mourut un grand nombre entre leurs bras , après avoir entendu leur Confession , et avoir donné rExtrêrae-Onctîon et le saint Viatique h ceux qui furent en état de le recevoir. Le Père Roche , qui avait souvent demandé èi Dieu Tome IIL Q 'Il II yi il! : iir Û il*!! ' Ht. 4i il « '! !li^ 362 Lettres édifiantes la grâce de mourir d'un martyre de charité, s'il ne pouvait mourir en versant son sang , eut un pressentiment que cette ^râce lui était accordée. Il fit une Confession générale à son Compagnon , dit la sainte Messe ; et conti> nuant ensuite la visite de ses malades , pour apprendre a bien mourir, en préparant les autres à la mort , il fut arrêté tout-à-coup , et mourut peu de temps après du mal de ceux qui étaient morts entre ses mains. Il semble que l'ennemi du salut des hom- mes n'attendait que le moment de la mort de ce digne ouvrier de l'Evangile , pour semer la zizanie dans le champ que le Serviteur de Dieu avait ciiltivé avec tant de soin. Cet esprit infernal suscita deux Vertabiets , nommés Tcholax , et Aifiedik , hérétiques emportés contre l'iîiglise Romaine , qui commencèrent avec un Prêtre hérétique comme eux , nommé uérourhcoir , à décrier publiquement la doc- trine des Missionnaires , et à prêcher une doc- trine contraire, à vomir des blasphèmes contre le Pape et les Catholiques, h lancer des excom- munications contre eux , et dans les termes les plus injurieux. Non contens de tout cela , ils y ajoutèrent la calomnie , accusant les Mis- sionnaires de vouloir révolter les Sujets du Grand-Seigneur contre leur Prince légitime , de s'entendre avec les Moscovites pour les faire entrer en Arménie , et d'avoir chez eux à cet effet un magasin d'armes pour faire ar- mer leurs Néophytes. Fézulach Effendi , le premier Magistrat de la ville , sentit le ridicule de cette accu- charité , on sang , i lui élail raie à son et conti- les , pour parant les ;-à-coup , al de ceux des hom- la mort de our semer rviteur de .Cet esprit , nommés s emportés mencèrent X , nommé ent la doc- er une doc- mes contre desexcom- s termes les Ht cela , ils it les Mis- Sujets du légitime , !S pour les |r chez eux ir faire ar- ]VIagistrat bette accu- CT CURIEUSES. 363 sation ; mais soit qu'il appréhcnd/lt que son gilence sur cette accusation ne lui fit une afn faire à la Porte , soit qu'il fût de ces Seigneurs Turcs , qui ont coutume de donner gain de cause à la partie qui sait le mieux contenter leur avarice , il ne voulut rien écouter de tout ce que le Bâcha lui put dire pour la défense des Missionnaires et des Chrétiens. Il per- sista au contraire à vouloir leur faire un crime d'Etat de cette extravagante accusation. On serait trop long à faire le détail de cette affaire. Je dirai sommairement que des Prê- tres zélés et très -bons Catholiques furent biVtonnés ; que plusieurs Arméniens furent condamnés à payer deux mille écus de taxe ; qu'ils la payèrent avec joie , s' estimant lie i~ reux de sacrifier une partie du gain de leur commerce pour une si bonne cause ; qu'un Missionnaire fut mis aux fers , et que les au- tres furent chassés d'Ërzercn. Mais Dieu qui tient toujours en main la cause des innocens , et qui peut , quand il veut , submerg;îr dans les eaux de la mer Rouge les ennemis de son peuple , punit exer^.plaiitîment les auteurs d'unesi criante injii:Uce. Fézulach Effendi^ le plus coupable de tous , eue ordre du Grand- Seigneur de lui envoyer sa tête. Il avait été Précepteur de Mahomet IV , et avait eu grande part h la confiance de Mustapha , qui l'avait fait Grand-Mufti. Toutes les dignités dont il avait été revêtu , et les richesses qu'il avait amassées pendant sa fortune , n'empê- chèrent pas que son corps , après su mort , pe fut traîné par les rues de la Ville. Q ^ If i! lit H! 364 Lettres édifiante» Le Baclia d'Ërzerou , qui ne fut coupable que par sa mollesse dans la défense des Mis- sionnaires , ayant été accusé à la Porte de quelques vexations , causées paV son avarice , perdit la vie par le cordon , selon la coutume ordinaire. Tcholax , un des VertaLiets dont nous avons parlé , fut puni comme il le méritait , pour un crime infâme , dont il fut atteint et convaincu. L'flvêque fut condamné à cinq cens écus d'amende. Il ne restait pl'is qu'à faire rentrer les Missionnaires dans Krzeron, M. le Marquis de Cliâteau-Neuf , alors Ambassadeur à la Porte, et zélé protecteur des Missionnaires , entreprit leur rétablissement, il en fit la demande à la Porte : son crédit y était si grand , qu il robtimi aisément et prom[.lement. ' Un saint Prêtre Arménien , qui avait été banni avec les Missionnaires , prévint secrè- tement leur retour a Erzeron , et s'employa très-utilement en leur faveur auprès des Catholiques. C'est un grand sujet de joie et de cori^olation pour nous , lorsque nous pouvons nous associer de vertueux Ecclé- siavliques, qui veulent bien partager avec nous les occupations de la Mission. Les Missioiiin'iir«s étant rentrés dans Erze- ron , reprirent leurs fondions avec plus de ferveur que ^ainais. Les persécutions ont cela d'avantageux, qu'elles purifient et animent le zèle des hommt s Apostoliques , et rendent leurs disciples plus dociles à leur voix. On yoit dau$ Igs actcâ des Apôtres ; que le oou)^ ET CURIEUSES. 365 hre des premiers fidèles croissait au milieu des persécutions. Le sang des Martyrs , di^ Terlullien ^ était une semence de noiiveau:!( Chrétiens. La Mission d'Erzeron persécutée ^ eut le même avantage : le Père Ricard et le Père Monier, qui l'ont cultivée pendant plu- sieurs années, envoyèrent il y a quelque-; temps au Père Général des Jésuites , et au Père Fleuriau , un Journal de tout ce qui s'ét.^it passé sous leurs yeux. Ils y exposent d'abord que la grande étendue de leur Mis- sion les obligea de la partager en deux par-* ties. , La première , diseni-îls , porte le nom de saint Grégoire , que les Arméniens ont sur- nommé riUuminateur ; elle comprend les Villes de Torzon, Assankala^ Cars, Béa^ zit , Arahliice , et quarante Villages. La se- conde nommée saint Ignace , renferme les Villes à'ispire , Bajbourt, Ahasha , 7V'é- hizonde , Gumichkané , et vingt-sept Villa- lages. Chaque Ville compte dans son enceinte plus de quinze cens Catholiques. Le Père Ricard , qui avait fait une étude particulière de la Médecine , sachant par expérience combien elle lui était utile* pour annoncer par- tout la parole de Dieu , se donnait publi- quement pour Médecin : celte qualité lui ouvrait l'entrée dans toutes les maisons , et même dans celles des Officiers Turcs , où il était très-bien reçu. Par ce moyen , il se pro- curait, et à son compagnon , la protection qui leur était nécessaire. Le Père Monier visitait les Chrétiens pour les instruire dans leurs Q3 !i^ Il 366 Lettres édifiantes inaisons ; mais il y allait plus de nuit que de jour pour éviter Téclat, qui n*aurait sei*vi qu'à réveiller la jalousie et ranimosité des Schismatiques contre les Catholiques. Les deux Pères avaient avec eux un de nos Frè- tes , très-bon Pharmacien. Leur sage con- duite , et les services qu'ils rendaient aux ibalades de Ift Ville , avec un parfait désin- téressement , leur gagna la protection du prc- inier uéga , qiii j par amitié pour eul , leur donna une maison trèis-propre et commode à leur usage. Soutenus de cette puissante pro- tection , ils exerçaient paisiblement le minis- tère Evangéliqùe ; ils assemblaient avant le jour les Fidèles de Tun et de l'autre sexe , tantôt dans une maison , et tantôt dans une autre. Les Missionnaires fesaient séparément le Catéchisriie aux enfans , et des instructions aux personnes plus âgées ; ensuite ils écou- taient les confessions de leurs Disciples , et leur administraient la sainte Eucharistie. Lorsque le jour les surprenait , des Prêtres Arméniens , moins observés que les Pères Missionnaires , allaient les communier chez eux. Comme les Arméniens célèbrent la fête de Pâques plus tard que les Catholiques , sui- vant l'ancien Calendrier , les Missionnaires , pour éviter un concours qui aurait été sus- pect , commençaient dès l'entrée de notre Carême , h disposer leur troupeau h la Com- munion Pascale. Pour le faire plus facile- ment , et avec plus de fruit , ils séparaient la Ville en différens quartiers. Ils les visitaient ET CURIEUSES, iSfj les uns après les autres « donnant à tous les instructions nécessaires > ^ fesant ensorte que tous leurs disciples se fussent toujours reli-* gieusement acquittés du devoir Pascal avant la Pûque des Arméniens. Leurs occupations dans la Ville ne les ent" péchaient pas de prendre un temps pour par^ courir les bourgs et les villages de leur dis^ trict \ mais toujours avec les mêmes précau- tions , évitant sur-tout l'éclat et le grand jour qui les aurait fait connaître. Ils avaient dans leur confidence des Prêtres Arméniens , Mis- sionnaires comme eux , qui prenaient les devans , et qui allaient préparer la voie à ces deux Pères. Ils marquaient les lieux d'assemblées , et les temps propres pour s'y rendre. Les Catho- liques attendaient les Missionnaires avec im- patience y et les recevaient avec joie. Tous profitaient de ces occasions favorables pour s'approcher du Sacrement de Pénitence et d'Eucharistie. Ces visites ne se passaient pas sans que quelques Schismatiques n'aug- mentassent le troupeau de Jésus-Christ. Le Père Ricard , dans la course qu'il fit jusqu'à Trébizonde y en i-^ii , réconcilia h. rËglise un Evêque , aa Prêtres , et .87 5 au- tres personnes que le schisme en avait sépa- rées. Le Père Monier , de son c6té, pénétra jusques dans le Curdistan , Pays sous l'obéis^ sauce d'un Prince particulier , situé entre la Tiirquie au couchant ^ et la Perse à l'orient , et à cinq journées d'Ërzeron. Il est hahité Q4 M ,i ; il M k 4 I 368 Lettres édifiantes parles Jézidies , ou Curdes , et par des Arnié- jrit'ns qui y ont plusieurs grands Viliages. Les Jézidies , ainsi que les Manichéens , reconnaissent deux principes , un bon et un mauvais , Dieu et le diable ; mais ceux-là , Îdus insensés que les Manichéens, partagent ' eur culte entre l'un et l'autre. Ils mènent une vie vagabonde , et presqu' uniquement . occupée à exercer le brigandage : Sernperque récentes Convectare juvat prœdas , etvwcre rapto. Ils passent Tété sur des montagnes, oîjmUs trouvent du fruit et de bons pAturages , et ilV., tiennent la plaine pendant l'hiver. Les Arméniens qui habitent le Curdis- tan , et qui avaient été très-long-temps sans voir des Missionnaires parmi eux , reçurent le Père Monier , com nae une terre sèche reçoit l'eau du Ciel ; c'est-à-dire avec un désir ar- dent d'entendre la parole de Dieu. ' Les deux Missionnaires , instruits par les paroles de Jésus-Christ et par le sort des Apôtres , ne s'attendirent pas à jouir d'un long calme. L'Evêque de Cars, et quelques Prêtres à sa sollicitation j tous Schismatiques, témoins du progrès de la sainte doctrine des Pères Missionnaires , les accusèrent au Tribunal du B'achiad'inspirerla révolte auxsujets-duGrand- Seigneur , de les a/Fectionner au service des Moscovites, d'en avoir déjà gagné un grand nombre , et nommément plusieurs Galholi- les Prêtres h ET rr. lEusES. 3r>9 ques qu'ils souleiiîiienteire dans ce parli. Le hacha était alors en chemin pour la Ciimce. Le Musselin , cst-à-dire , son Lieutenant qui tenait sa place, nçut volontiers cet le ac- cusation comme une bonne aul>aine , que l'absence du Bâcha lui donnait. Pour la Ijicn faire valoir , il commença par faire grand bruit ,• il remplit les prisons des accuses , il leur fit donner la bastonnade , et iit meltre aux fers le Père Ricard et le Père Monier, et ne parlait pas moins que de les faire expirer sous le bilton. Toqtc la Ville qui connaissait l'innocence des Pères et des accuses , était indignée de la violence de cet homme avare et gagné par les Schîsmatiques : on l'obligea de porter cette affaire au Divan , c*est-h-dire> au Tribunal des j4gas. Elle y fut examinée avec-plus de justice : les informations furent faites , et les témoins y furent ouis : après les procédures ordinaires , l'accusation fut recon- nue et jugée fausse et calomnieuse. "^ Les accusateurs craignant pour eux , se rétractèrent ; les prisonniei s furent élargis , et les deux Missionnaires mis en liberté. Ce ne fut pas tout ; car sur ces entrefaites , le Musselin , c'est-à-dire , le Lieutenant dii Bâcha , fut déposé. Son successeur arriva dans ce même temps , et prit sa place : ce nouvel Officier fut d'a])ord informé des injustices et des vexations de son prédécesseur. Il en fut si indigné , que pour donner une première et bonne idée de son espritde justice , il comi- meuça sa première fonction par faire mettre aux fers celui qu'il venait de déposséder , et Q5 I. 1. r, il il I' ' '} ■ ta .t IMAGE EVALUATION TEST TARGET (MT-3) ^ ^ ^^^^s & />^>^ ^ ' ^^5^ 1.0 1.1 110 12.5 1^ m ■«Il 2.2 Sut * «s -.n mil 2.0 1125 i 1.4 II 1.6 Photographie Sdenœs Corporation 23 WEST MAIN STREET WEBSTER, N. Y. 14580 (716)872-4503 i'jo Lettres èdifiaictes ]c fit conduire dans la même prison où les deux Pères avaient été mis auparavant parles ordres de cet homme injuste. Entrant dans la prison , il donna mille malédictions aux Scli is- màtiques , les accusant d'avoir été les auteurs de ses injustices , et d'être présentement la cause de son malheur. C'est ai nsi que Dieu défendit ses serviteurs ; mais il voulut encore éprouver leur patienct* à Erzeron , pour les rendre plus dignes de leur saint ministère. Il permit que plusieurs Vertabiets ne se contentèrent pas de renoy- veller contr'eux leurs anciennes accusations ; ils y en ajoutèrent de nouvelles, mais tout aussi mal fondées que les premières. Pour faire cesser ces continuelles persécutions , que la jalousie des Schismatiques excitait çontr'eux , les deux Missionnaires jugèrent à propos de se retirer de dessous les yeux de leurs ennemis , et de s'absenter d'Erzeron. Ils prirent donc le parti d'aller à Tré- bizonde , où ils avaient plusieurs fervens disciples ; mais Dieu les envoyait pour don- ner un nouvel exercice à leur charité ; C;ir les chaleurs du mois de Juillet , alors excès- sives , y avaient allumé le feu de la peste qui y fesait un cruel ravage. Les deux Pères n'y furent pas plutôt arri- vés , qu'ils se livrèrent au service des Chré- tiens qui en étaient attaqués, et dont un j|rand nombre mourut entre leurs mains. Mais pendant que toute la Ville , et que les infidèles même fesaient l'éloge de leur zèle et de leur courage , au milieu du danger où t-: eurs ; iencc les de sieurs •enov- tioiis -, s tout Pour ionb , xcilail gèrent eux de Ton. Tré- :ervens T don- lé ; car exces- iie qui ^t arri- Cliré- mi un kins. et que lur zèle Iger où. ET CURIEUSES. 87! ils s*exposaient continuellement , un Relaps schismatique qui devait au Père Ricard sa première éducation dans la Religion Catho» lique , n*eut pas plus de peine à renoncer à tous les sentimens d'humanité pour son bien- faiteur , qu'à abjurer sa foi : il vint exprès à Trébizonde , à dessein d*en faire chasser le Père Ricard ; il se mit à la têle des Schis- matiqucs , et fit tous ses efforts pour sou- lever la Ville contre lui. Mais Dieu donna à ce Père un puissant protecteur , qui arriva en mêm/j-temps à Trébizonde. Ce protecteur était A/i/jtop^^^a. Il avait -été ci-devant guéri d'une maladie , par le moyen des remèdes qu'on nous envoie de France ; sa guérison lui avait donné de l'af- fection pour le» Missionnaires , et il les pro- tégeait hautement. Le Schismatique intimidé par les menaces qui lui furent faites de sa part , n'osa plus rien dire , ni rien faire contre eux. Comme Mustapha Agji avait une considé- ration particulière pour le Pèra Monier , il lui dit qu'il voulait le ramener h Ërzeron , où il saurait bien le maintenir e^. sûreté , lui et son compagnon. Le Père Monier , qiii aimait tendrement sa Mission d'Erzeron > accepta ses offres , et le suivit , pendant que le Père Ricard alla à Constantinople pour y solliciter un nou- veau Commandement qui assurât leur état. Le Père Monier étant de retour à E^zeron , y exerça librement ses fonctions sous la protec- tion de Mustapha Aga. Voici ce qu'il en écri- Q6 P -i-- ■j 372 Lettres édifiantes vit au Père Flcuiiau le i3 Septeiribre 1713. ' Grâces à Dieu, les persécutions passées à Erzeron n'ont servi qu'à affermir la Foi catholique , à augmenter entre les Fidèles une mutuelle charité 5 et faire croître leur amou^r pour la véritable Eglise , sur-tout quand ils ont connu par expérience l'ani- mosité et la perfidie que le schisme met dans le cœur de ceux qui en sont infectés. Ce 'Père ajoute qu'un saint Prêtre , en son ab- •sence , les avait secourus et fortifiés dans leur foi et dans lisur confiance en Dieu ; que de- puis son retour à Erzeron , il avait reçu l'ab- juration de douze Prêtres Schismatiques , et d'environ cent cinquante autres personnes , dont sept ou huit avaient été les plus ani- mées contre les Catholiques. Le même Père dit encore dans sa lettre , que la peste ayant enlevé à Erzeron plus de vingt mille âmes , il n'y avait eu dans ce nombre que 70 Catho- liques qui en fussent morts ; qu'en mourant , ils avaient renouvelé leur profession de foi ,, et remercié Dieu de la grâce qu'il leur avait faite de mourir dans la véritable Eglise. Enfin le Père Monier finit sa lettre par des actions de grâces qu'il rendait au Père des miséricordes, de ce que le nombre des Catho- liques d'Erzeron se trouvait augmenté , au mois de Janvier 1714 > ^^ y^VLS de sept cens Néophytes. Ses vœux les plus ardens étaient de demeurer dans celte Mission , parce que Mustapha Aga lui donnait les moyens de travailler plus sûrement et plus utilement que jamais à l'œuvre de Dieu. iijiTP' iSr^mimm-:-^ ET CURIEUSES. 3^3 Mais le maître. de la moisson, qui dis- pose de ses ouvriers comme il le (ugî h pro- jpos , retira quelque temps après le Père Monier de sa Mission ;' car la mort nous ayant enlevé le Père Ricard , qui devait pren- dre le gouvernement de nos Missions en Perse , le Père Monier reçut ordre de nos Supérieurs de se rendre incessamment à Ispahan , pour y prendre la place que le feu père Ricard devait occuper. On ne peut expliquer la peine qu'eut ce Père à qui! ter la Mission d'Erzeron , où il travaillait avec fruit ; mais ce Père étant le plus ancien et le plus ex}>érimenté dans le ministère Ëvangélique auprès des Armé- niens , était aussi de tous les Missionnaires le plus nécessaire à Ispahan ; car la Mission que nous avons en cette Ville , est comme le Séminaire où l'on vient apprendre les Lan- gues étrangères , et se former à la vie Ëvan- gélique. Celle d*Erzeron ne souffrira pas de ce changement : la Providence a déjà pourvu à ses besoins ; elle nous donne quatre nouveaux Missionnaires , dont deux sont arrivés ; les deux autres sont en chemin. Notre Compa- gnie , qui a toujours des ouvriers prêts h par- tir , pour porter notre sainte Foi jusqu'aux extrémités du monde , ne nous en laissera jamais manquer. Au reste, ceux que la France nous a envoyés , et ceux qu'elle -nou§ en- verra , jouiront d'un avantage que nous souhaitions depuis long-temps et que nous devons au feu Roi Louis XIV. Je crois de- y ^■:x S' 374 Lettres ÉoiriAVTES voir ,' à sa glorieuse mémoire , rapporter ici ce qui f*est passé sous nos yeux à ce sujet. Les Ministres du feu Roi , continuellement attentifs à tout ce qui pouvait augmenter le bonlieur de son règne , ayant été informés des grands biens qui reviendraient à la France « du commerce que feraient ses sujets dans l'Empire des Perses , exposèrent à Sa Majesté Futilité et la facilité de l'établissement de ce commerce , et lui proposèrent en même- temps d'envoyer quelqu'un à Ispahan , Capi- tale de ce Royaume, pour s'assurer de la vérité des faits , prendre connaissance de tou- tes les marchandises commerçables à l'usage de la France , et pour convenir , avec les Ministres du Sopbi , des conditions d'un Tfaité entre les deux Nations. Le Roi , toujours prêt à écouter favorable- ment ce qui pouvait procurer le bonheur de son Royaume et de son peuple , approuva ce projet , et en ordonna l'exécution. Le sieur Michel fut choisi pour faire incessamment le voyage de Perse ; on lui dressa ses instruc- tions : il partit de Paris avec ses lettres de créance , et arriva heureusement à Ispahan. A son arrivée il s'adressa au premier Minis- tre du Sophi , et après les premières civilités ordinaires , il lui exposa le sujet de son voyage. Le Ministre reçut très-favorablement les pro- positions de l'Envoyé de France. Il en rendit compte à son maître , et prit son ordre pour conduire le sieur Michel à une audience pu- blique. Dans cette audience , où la Cour fut , par ordre exprès du Roi> plus nombreuse 7- ' ET CtTKifeTTSCS. StS et plus brillante qu'à rordinaire , le Sopni reçut la lettre du Roi avec tous les témoi- gnages d'une joie extraordinaire. Il fit l'éloge de notre Monarque , comme du plus grand Souverain , et du plus fameux conquérant qui e&t jamais paru en Europe. Le sieur Michel répondit au Sophi , en l'assurant de tous les sentîmens d'estime et d'amitié du Koi son maître pour Sa Majesté Persanne , et dit que pour lui en donner des preuves certaines , le Roi son maître desirait unir ses sujets avec les siens , par le lien d'un com- merce qui leur serait également avantageux. Le Sophi lui répartit alors , que le sujet de son voyage , dont il avait été instruit , lui était très-agréable^ et qu'il entrerai^ avec plaisir dans les intentions du Roi son maî- tre. En effet , il ordonna sur-le-champ à son Ministre de faciliter , par tous les moyens possibles , l'exécution des propositions de l'Envoyé de France , qui étaient si glorieu- ses à son règne. Le Ministre , aussi-bien intentionné que son maître pour cet établis- sement , eut plusieurs conférences avec le sieur Michel. Ils dressèrent de totacert les articles du traité qui devai| être signé de part et d'autre. Le Sophi les ayant approuvés, et le sieur Michel ayant satisfait h sa commission avec tout le succès qu'il pouvait désirer , prit son audience de congé , et se remit en chemin pour venir rendre compte en France de l'exécution de ses ordres. ' jLe rapport qu'il fità son retour de ce quHl. 3']S Lettres édifiantes avait vu et fait en Perse , confirma ce qui avait été dit des avantages que retirerait la France de ce nouveau commerce , dont d'au- tres nations avaient profité jusqu'à présent. Il assura de plus que les Persans, qui aimaient et estimaient les Français par préférence h. tous les autres peuples , attendaient avec im- patience , et verraient arriver avec joie un Consul de la nation Française et des Négo- cians Français , pour donner commencement à l|;ur commerce. Enfin le sieur Michel crut devoir ajouter que la religion Chrétienne, dont un grand nombre des sujets du Roi de perse fesait profession , acquérerait une puis- sante protection par la résidence d'un Consul Français dans la capitale de cet Empire , lequel serait continuellement à portée d'em- ployer l'auguste nom du Roi de France en faveur des Chrétiens et des Missionnaires qui les instruisent. Toutes ces raisons , et particulièrement la dernière , qui regardait les intérêts de notre Religion , déterminèrent le Roi à donner son agrément au sieur Gar- danne , pour exercer le Consulat de la nation Française dans la ville capitale de l'Empire des Perses. On lui mit ses instruc- tions en main , dont les principaux articles , et les plus recommandés , concernaient la Religion et les Catholiques. Nous avons eu bien de la joie de voir ar- river, dans cette ville Impériale, »M. Gar- danne, après avoir fuit un long et pénible voyage par mer et par terre. Il ne lui fallait pas moins que l'honorable réception qu'on ET CURIEUSES, ^7^ ' lui a faîte en cette Cour , pour le dédomma- ger des disgrâces qu'il a essuyées sur la route» et qui lui ont été causées par ceux qui se sont crus intéressés h faire échouer le projet de la France. Nonobstant leurs efforts, ils ont été témoins de toutes les marques d'hon- neur qui lui ont été accordées par le Sophi et par les Grands du Royaume , en considé- ration du Roi de France son maître. Je dois ajouter ici> pour lendre justice k notre nouveau Consul , que sa sage conduite et son habileté en matière d'affaires , lui ont gagné l'estime et la considération de ceux qui ont à traiter avec lui. Il attend les ordres de là France , sur les importantes ^îprésen- lations qu'il a cru devoir faire à S. A. R. Monseigneur le Duc d'Orléans. Au reste , nous ne pouvons assez nous louer de la bonté de M. ôardanne pour nous : nos deux Missionnaires qui ont eu l'honneur d'être à sa suite sur la route , lui ont dé grandes obligations. Depuis son arri- vée en cette ville , il nous témoigne toute la bienveillance possible ; nous nous ressentons déjà de son crédit en Cour : l'honneur qu'il nous fait de se servir de nous pour ses Cha- pelains , rend notre Eglise , qui est assez belle d'ailleurs, et très-commode, beaucoup plus fréquentée qu'elle ne l'était auparavant. Enfin sa protection , et celle dont notre digne Ar- chevêque , de l'Ordre de saint Dominique , nous honore, nous mettent plus en état que jamais de remplir nos fonctions évangéliques, avec autant de libeité que de fruit. ^ :•■> . t\ 378 Lettres ÉDiriAVTEs- Nous pouvons donc assurer les ouvriers qui viendront partager avec nous nos occu- pations , qu'ils auront de quoi satisfaire leur «èle Le Père Bachoud , Vun de nos deux Mis- sionnaires qui ont accompagné M. GardannCi tious.écrit de Camakié , où il fait Mission , qu*il n'aurait jamais cru trouver un travail aussi grand et aussi continuel que celui que •a Mission lui donne, et qui demanderait plusieurs ouvriers. Le Père de la Garde •on compagnon , qui est demeuré ici avec nous, en dit autant de notre Mission dls- pakan. £n parlant d|i Père de la Garde , n^us devons , à son occasion et par reconnaissance, finir ce Mémoire par le récit d'un accident qui devait nous le ravir en chemin , et dont il sortit heureusenient par la puissante in- tercession du bienheureux François Régis. La caravane du Père de la Garde et du Père Bachoud , ayant eu avis qu'une troupe de soixante voleurs était en embuscade dans un bois pour la surprendre et la voler ^ se détourna de son droit chemin pour l'éviter, et en prit un autre par des montagnes très- escarpées , qui ne laissaient aux voyageurs qu'un sentier raboteux et étroit , bordé d'af- freux précipices , que l'œil n'osait regarder. Le cheval du Père de la Garde , qui n'était pas des meilleurs de la caravane , fit par malheur un faux pas , qui le fit tomber lui et son cheval , chargé d'une grosse valise. tu roulèrent ensemble jusqu'au fond de cet ST CURIEUSES. ^-^t^ abime. Ceux qui marchaient devant et après lui , ne firent qu'un cri à la vue de cettt chute effroyable. Le Père Bachoud , tout troublé de cet accident , se sentit inspiré de recommander son cher compagnon au bienheureux Jean- François Régis. Chacun pleurait déjà la perte du Père de la Garde ^ qui avait Testime et l'amitié de toute la caravane , et qu'on croyait perdu. Le Père Bachoud , suivi de quelques voya* geurs , firent leurs efforts pour descendre dans ce précipice , s'attachant h des bran- ches d'arbres , et à tout ce qu'ils pouvaient saisir. Après avoir fait quelques pas en des- cendant , ils entendirent la voix du Père de la Garde , qui leur disait : Grâces à Dieu s je ne suis point blessé. Je laisse à penser quelle fut alors la joie du Père Bachond et oe toute la caravane. Chacun s'empressa pout l'aider à remonter du fond de cet affreux abime. Il se trouva en effet sain et sauf. Toute la caravane qui fut témoin de cet événement miraculeux , rendit des actions de grâces à Dieu , et h son serviteur le bien- heureux Jean -François Régis , que Dieu continue d'honorer par toutes les grâces qu'il accorde si souvent à sa puissante intercession. . Fin du troisième Folume. ,%ii.Àt\.jiiA^:^\.\ .. :i),':ÇVàV%S%. 3So MHMi TABLE Des Lettres contenues dans ce volume. L ETtRE iiu Père Monter i de la Compa^ gnie de Jésus , au Père Fleurlau , de la même Compagnie, Page i CHAPITRE PREMIER. Etat présent de l'Arménie, ^ 6 CHAPITRE IL \ Division de V Arménie. CHAPITRE IIL Etat présent des Arméniens, * CHAPITRE IV. Gouvernement Ecclésiastique, CHAPITRE V. L'établissement du Christianisme dans l'Ar- ménie, 36 CHAPITRE VI. Du Mit des Arméniens schismatiçues, 79 CHAPITRE VIL Des erreurs des Arméniens* ^ 10*7 ^1 25 29 TABLE. CHAPITRE VIII. 3Si Manière de traiter asfec tes u4nnéniens. ii6 Lettre du P, *** , Missionnaire de la Compagnie de Jésus , au Père le Camus , de la même Compagnie. m Lettre à Monseigneur le Marquis de Torcy, Ministre et Secrétaire d'Etat, sur le nouuel établissement de la Mission des Pères Jésuites dans la Crimée. la-j Repos s ES à quelques questions faites au sujet des Tar tares Circasses. 1^3 Ko Y Ati i: de Crimée en Cire assie par le pays des Tartarcs Nogais ^fait l'an i-joa par le sieur Ferrand^ Alédecin Français. 177 Lettre du Père Stephan , Missionnaire de la Compagnie de Jésfis en Crimée de Tartarie , au Père Fleuriau de la même Compagnie. 1 94 JHe LALioN abrégée du voyage que M, Char' . les Poncet , Médecin Français , fit en Ethiopie en 1698, 1699 et 1700. 209 Mémo ntE de l'Ethiopie. 809 Mé moire de la Mission d'Eriuan. 335 Lettre du Père Ricard , Missionnaire de la Compagnie de Jésus , du 7 Août 1697. 349 fiÏÉMOiRE de la Mission d'Erzeron. 358 ' . , y.' ■ . '/ . . ; ' .. - ■ ... JFin de la Table du troisième Volume. , A •; .